A la baguette : un exemple très concret d'un management autoritaire justifiant une sanction disciplinaire mais pas un licenciement

Cet arrêt de la CAA de Versailles en date du 21 janvier 2021, n°19VE01849-20VE00140, concernant la fonction publique territoriale, demeure très illustratif d'un management très autoritaire pouvant justifier une sanction disciplinaire mais non un licenciement.

Une contractuelle en CDI a été licenciée sans préavis ni indemnités en raison d'un "comportement autoritaire excédant les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique (contrôle excessivement étroit de ses collaborateurs privés d'initiatives dans l'exécution de leurs tâches et dans leurs contacts professionnels avec l'extérieur) et qui est à l'origine d'un sentiment de dévalorisation, d'un climat dégradé du service et d'anxiété auprès du personnel".

Pour appuyer davantage cette sanction, la commune met en avant "des violences physiques et verbales, [...] des abus de pouvoirs et [...] des menaces à l'égard des agents placés sous son autorité". Notamment, au titre de l'abus de pouvoir, il lui est reproché d'avoir sommé un agent d'aller lui chercher une baguette de pain...

Déjà déboutée en première instance, la commune fait appel sans davantage de succès.

Aux termes d'un examen des faits, la CAA de Versailles relève que l'abus de pouvoir n'est pas caractérisé compte tenu des circonstances car "l'intéressée, qui ne parvenait pas à se concentrer sur son travail aurait émis le souhait de sortir prendre l'air et qu'à cette occasion, Mme B... lui aurait demandé d'aller chercher une baguette de pain". Les violences physiques et verbales ne sont pas plus étayées au vu du dossier. Si son service présentait un taux d'absentéisme pour maladie supérieur aux autres, le rapport n'a pas permis d'établir le lien avec le comportement de Mme B...

Toutefois, la cour admet que "Mme B... fait preuve d'un comportement autoritaire à l'égard des agents placés sous son autorité, qu'elle exerce un contrôle excessivement étroit de ses collaborateurs qui a conduit à un climat de travail dégradé et qui excède les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Mme B... fait notamment un usage excessif des messages électroniques et procède à des relances systématiques des agents à des intervalles très réduits. En outre, cette méthode lui a été reprochée par le passé sans que l'intéressée modifie ses habitudes de travail. Les défaillances de Mme B... dans l'exercice de ses fonctions d'encadrement sont fautives et justifient le prononcé d'une sanction disciplinaire".

Compte tenu de ses évaluations passées et de "l'absence de lien établi par les pièces du dossier entre l'état de santé des agents et le comportement de Mme B..., la sanction du licenciement dont elle a fait l'objet était disproportionnée à la gravité des faits qui lui sont reprochés".

En première instance, le tribunal administratif avait annulé la sanction et enjoint de réintégrer l'intéressée, ce qui n'a pas été effectué. La commune a explique que le poste avait été supprimé, ce qui peut être un argument admissible mais la CAA de Versailles juge que la réintégration dans un emploi identique ou équivalent n'était pas impossible. Et en titre les conséquences en matière de droits sociaux : "l'annulation d'une décision licenciant illégalement un agent public, implique nécessairement, à défaut d'une reconstitution de sa carrière à laquelle Mme B... ne peut prétendre en sa qualité d'agent contractuel ne bénéficiant pas des avancements et progressions de carrière réservés aux fonctionnaires ou agents sous statut, la reconstitution de ses droits sociaux, et notamment des droits à pension de retraite, qu'elle aurait acquis en l'absence de l'éviction illégale et, par suite, le versement par l'administration des cotisations nécessaires à cette reconstitution", et ce, depuis "la date de son éviction irrégulière[...] et jusqu'à sa réintégration".

Ainsi, la solidité du dossier disciplinaire est réellement au coeur du dispositif ; témoignages contradictoires, faits non établis, mauvaise appréciation d'un fait, sont autant d'éléments qui appellent à la prudence lors de la détermination de la sanction, au risque d'une annulation si cette dernière est trop sévère. La CAA de Paris a eu l'occasion de le rappeler dans sa décision du 12 octobre 2018, APHP, n°17PA01682 pour un agent en CDI car, sur les trois griefs reprochés, un seul était établi. Il en a été de même pour des faits de harcèlement moral (non caractérisés) et un management inapropprié (CAA de Douai, 22 septembre 2020, Centre hospitalier de Ham, n°19DA01028). Dans cette dernière décision, "il ne ressort pas des pièces du dossier que le climat de tension régnant au sein du bureau des admissions et de la facturation et ses dysfonctionnements puissent être regardés comme exclusivement imputables à Mme E…" d'autant que "les résultats de l'enquête sur la qualité de vie au travail menée en 2016, qui révèlent que les rapports entre les agents du service se sont dégradés alors même que Mme E… était absente du service depuis plusieurs mois"...

Car finalement, dans la décision de la CAA de Versailles, seul le management très autoritaire mais non qualifié de harcèlement a été retenu comme conduisant à un climat de travail dégradé et qui excède les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Et cela ne motive pas un licenciement...