Le calcul des droits à allocations chômage en cas de double démission

  • Conseil d'État Mme A… B… 28/12/2017 - Requête(s) : 407009

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le directeur de l'établissement public de santé mentale de la Marne (EPSMM), au sein duquel Mme A… B… avait occupé un emploi d'infirmière en qualité d'agent contractuel du 17 novembre 2009 au 30 juillet 2010, puis en qualité de fonctionnaire stagiaire du 1er août 2010 au 31 janvier 2012, a refusé le 24 décembre 2012 de lui accorder le bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi, au motif qu'ayant démissionné de son emploi au sein de cet établissement puis refusé le renouvellement le 1er juin 2012 de son contrat à durée déterminée auprès du centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims, elle ne pouvait être regardée comme ayant été involontairement privée d'emploi et qu'elle ne justifiait pas avoir accompli, après cette date, une période de travail d'au moins 91 jours. Mme B… se pourvoit en cassation contre le jugement du 23 juin 2015 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du directeur de l'EPSMM.

2. Aux termes de l'article L. 5422-1 du Code du travail : « Ont droit à l'allocation d'assurance les travailleurs involontairement privés d'emploi […], aptes au travail et recherchant un emploi qui satisfont à des conditions d'âge et d'activité antérieure ». L'article L. 5424-1 du même code dispose que : « Ont droit à une allocation d'assurance dans les conditions prévues aux articles L. 5422-2 et L. 5422-3 : / 1° Les agents fonctionnaires et non fonctionnaires de l'État et de ses établissements publics administratifs, les agents titulaires des collectivités territoriales ainsi que les agents statutaires des autres établissements publics administratifs ainsi que les militaires ; / 2° Les agents non titulaires des collectivités territoriales et les agents non statutaires des établissements publics administratifs autres que ceux de l'État […] ». En vertu de l'article L. 5424-2 de ce code, les employeurs mentionnés à l'article L. 5424-1 assurent en principe la charge et la gestion de l'allocation d'assurance chômage.

3. En premier lieu, en vertu de l'article 2 du règlement général annexé à la convention du 6 mai 2011 relative à l'indemnisation du chômage, conclue sur le fondement de l'article L. 5422-20 du Code du travail et agréée par arrêté du ministre du travail, de l'emploi et de la santé du 15 juin 2011, applicable aux agents publics involontairement privés d'emploi, sont notamment regardés comme involontairement privés d'emploi ou assimilés les salariés dont la cessation du contrat de travail résulte d'une fin de contrat de travail à durée déterminée ou d'une démission considérée comme légitime. Si l'article 41 du décret du 6 février 1991, relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986, impose à l'établissement public de santé qui recrute un agent contractuel pour une période déterminée susceptible d'être reconduite de notifier à l'intéressé, dans un certain délai avant le terme du contrat, son intention de le renouveler ou non, l'agent contractuel qui fait connaître à son employeur, avant que ce dernier lui ait notifié son intention de renouveler ou non le contrat, qu'il refuse un tel renouvellement, sans que ce refus soit fondé sur un motif légitime, ne saurait, alors même qu'aucune proposition de renouvellement de son contrat ne lui aurait ensuite été faite, être regardé comme involontairement privé d'emploi à l'issue de son contrat de travail à durée déterminée.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par une lettre du 24 mai 2012, Mme B… a demandé au CHU de Reims de ne pas renouveler son contrat à durée déterminée, en faisant état de deux motifs, portant l'un sur ses conditions de travail et l'autre sur sa rémunération. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'en jugeant qu'elle ne pouvait utilement se prévaloir de ce que son employeur ne lui avait pas notifié dans les délais son intention de renouveler ou non son contrat pour soutenir qu'elle avait été involontairement privée de son emploi au CHU de Reims, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit. Il n'a pas davantage dénaturé les pièces du dossier en estimant qu'elle ne démontrait pas les mauvaises conditions de travail et de rémunération par lesquelles elle avait justifié son refus de renouvellement ni, par suite, inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que sa décision ne reposait pas sur un motif légitime de nature à permettre de la regarder comme involontairement privée d'emploi.

5. En second lieu, l'article 4 du règlement général annexé à la convention du 6 mai 2011 relative à l'indemnisation du chômage dispose que : « Les salariés privés d'emploi justifiant d'une période d'affiliation comme prévu à l'article 3 doivent : / […] e) N'avoir pas quitté volontairement, sauf cas prévus par un accord d'application, leur dernière activité professionnelle salariée, ou une activité professionnelle salariée autre que la dernière dès lors que, depuis le départ volontaire, il ne peut être justifié d'une période d'affiliation d'au moins 91 jours ou d'une période de travail d'au moins 455 heures […] ». Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un salarié a, après avoir quitté volontairement un emploi, retrouvé un autre emploi dont il a été involontairement privé, il ne peut se voir ouvrir des droits à indemnisation au titre de l'assurance chômage qu'à la condition d'avoir travaillé au moins 91 jours ou 455 heures postérieurement à son départ volontaire.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par une lettre du 23 janvier 2012, Mme B… a démissionné de l'emploi d'infirmière stagiaire qu'elle occupait au sein de l'EPSMM, en demandant que sa démission prenne effet le 1er février 2012. Elle a ensuite occupé plusieurs emplois jusqu'au 1er juin 2012, dont, du 5 mars au 1er juin 2012, celui d'infirmière contractuelle au CHU de Reims, qu'elle a, comme il a été dit au point 4, quitté volontairement. Si sa plus longue période d'affiliation à l'assurance chômage correspond à son emploi au sein de l'EPSMM, cette circonstance est sans effet sur la détermination de l'activité professionnelle à prendre en considération pour apprécier la période d'affiliation exigée par le e) de l'article 4 du règlement général après un départ volontaire, qui est nécessairement la dernière activité quittée volontairement. Par suite, seuls ses emplois postérieurs au 1er juin 2012 pouvaient être pris en compte pour apprécier ses droits à indemnisation au titre de l'assurance chômage et elle ne pouvait utilement faire valoir que sa démission de l'emploi d'infirmière au sein de l'EPSMM aurait été fondée sur un motif légitime. Il en résulte que le tribunal administratif, qui n'a pas dénaturé les pièces du dossier, n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'elle devait justifier à compter du 1er juin 2012, date à laquelle elle avait volontairement quitté son emploi au CHU de Reims, d'une nouvelle période d'affiliation d'au moins 91 jours ou 455 heures pour bénéficier des allocations d'assurance chômage.

7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B… n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'EPSMM qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par celui-ci au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le pourvoi de Mme B… est rejeté.

Article 2 : Les conclusions de l'établissement public de santé mentale de la Marne présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A… B… et à l'établissement public de santé mentale de la Marne.

CE, Mme A… B…, 28 décembre 2017, n° 407009

II – COMMENTAIRE

Le bénéfice des allocations pour perte d'emploi, communément qualifiées d'allocations chômage, est soumis à des conditions très précises dont la principale est d'avoir involontairement perdu son emploi. Tel sera le cas à la fin du contrat à durée déterminée ou de licenciement, mais également en cas de démission dite légitime. À défaut, il est possible de « neutraliser » les effets d'une démission en travaillant un certain temps et en perdant involontairement cet emploi.

L'affaire soumise à la sagacité du Conseil d'État illustre particulièrement bien le mécanisme et mérite un examen attentif car elle démontre l'analyse stricte des conditions permettant le bénéfice des allocations chômage par exception.

En l'espèce, une infirmière est mise en stage à l'EPSMM et, avant la fin dudit stage le 31 janvier, informe son employeur de son intention de démissionner à effet au 1er février. Sa démission n'est pas, a priori, légitime.

Elle enchaîne des contrats successifs dont un, ultime, auprès du CHU de Reims, qui prend fin au 1er juin ; mais, avant même de recevoir une proposition de renouvellement de son contrat (ou pas), elle informe le CHU qu'elle refuse le renouvellement.

Elle sollicite alors le bénéfice des allocations chômage auprès de l'EPSMM qui est l'établissement qui l'a le plus longtemps employé.

Las, le Conseil d'État analyse cette double « démission » pour refuser l'indemnisation aux termes d'un raisonnement imparable.

1. Pour bénéficier des allocations chômage, il faut avoir involontairement perdu son emploi.

2. Si tel n'est pas le cas, l'on peut admettre qu'une démission soit légitime. Le Conseil d'État a ainsi considéré, dans une décision du 13 janvier 2003 que « l'agent mentionné à l'article L. 351-12 du Code du travail, qui refuse le renouvellement de son contrat de travail, ne peut être regardé comme involontairement privé d'emploi, à moins que ce refus soit fondé sur un motif légitime ; qu'un tel motif peut être lié notamment à des considérations d'ordre personnel ou au fait que le contrat a été modifié de façon substantielle sans justification de l'employeur […] » (« Un contractuel refusant le renouvellement de son contrat peut-il bénéficier des allocations chômage ? », Questions-réponses, [en ligne], www.hopitalex.com). Ainsi, au titre des considérations d'ordre personnel, les juges admettent la démission pour suivre son conjoint ou lorsque le contrat proposé est substantiellement différent du précédent (voir « Le chômage des agents publics », FDH n° 258, p. 4089, disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com).

En l'espèce, elle évoquait, sans davantage le prouver, de mauvaises conditions de travail au CHU et des arguments sur sa rémunération. Ces éléments n'ont pas été retenus en première instance.

Par conséquent, elle ne pouvait arguer d'une démission légitime.

3. Restait alors l'ultime possibilité c'est-à-dire la neutralisation de la démission par une période d'activité suffisante qui aurait pris fin indépendamment de sa volonté. Nul doute qu'ici, la requérante a mal compris l'article 4 du règlement général annexé à la convention du 6 mai 2011 relative à l'indemnisation du chômage alors en vigueur. Selon cette disposition, « Les salariés privés d'emploi justifiant d'une période d'affiliation comme prévu à l'article 3 doivent : / […] e) N'avoir pas quitté volontairement, sauf cas prévus par un accord d'application, leur dernière activité professionnelle salariée, ou une activité professionnelle salariée autre que la dernière dès lors que, depuis le départ volontaire, il ne peut être justifié d'une période d'affiliation d'au moins 91 jours ou d'une période de travail d'au moins 455 heures […] ». Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un salarié a, après avoir quitté volontairement un emploi, retrouvé un autre emploi dont il a été involontairement privé, il ne peut se voir ouvrir des droits à indemnisation au titre de l'assurance chômage qu'à la condition d'avoir travaillé au moins 91 jours ou 455 heures postérieurement à son départ volontaire ». L'on précisera que depuis la convention d'assurance chômage du 14 avril 2017, effective depuis le 1er novembre 2017, la durée d'affiliation doit être d'au moins 65 jours ou 455 heures travaillées (p. 14 de la convention).

L'agent supposait probablement que le calcul de son activité professionnelle remonterait à la date de son départ de l'EPSMM. Or, c'est la dernière activité, c'est-à-dire celle au CHU qui ouvre les droits à condition que la fin des relations ne soit pas le fait de l'agent, ce qui est le cas en l'occurrence puisqu'elle a annoncé son intention de refuser un renouvellement.

Le Conseil d'État le résume parfaitement : « Si sa plus longue période d'affiliation à l'assurance chômage correspond à son emploi au sein de l'EPSMM, cette circonstance est sans effet sur la détermination de l'activité professionnelle à prendre en considération pour apprécier la période d'affiliation exigée par le e) de l'article 4 du règlement général après un départ volontaire, qui est nécessairement la dernière activité quittée volontairement. Par suite, seuls ses emplois postérieurs au 1er juin 2012 pouvaient être pris en compte pour apprécier ses droits à indemnisation au titre de l'assurance chômage et elle ne pouvait utilement faire valoir que sa démission de l'emploi d'infirmière au sein de l'EPSMM aurait été fondée sur un motif légitime. »

Jurisprudence
Le point sur
Le point sur web
Questions-réponses