Dans le cas d’une perte de chance due à un défaut d’information médicale, la souffrance morale due à l’impréparation au risque médical peut être présumée

  • Conseil d'État Sieur B c/ Hospices civils de Lyon 16/06/2016 - Requête(s) : 382479

I – LE TEXTE DE L'ARRȆT


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B… a subi le 4 décembre 2008 à l'hôtel-Dieu de Lyon une coloscopie avec mucosectomie rendue nécessaire par la découverte d'un polype du côlon transverse avec dysplasie sévère ; qu'une perforation colique a nécessité, le même jour, une colostomie transverse ; que la continuité intestinale a été rétablie le 13 février 2009 ; que M. B… a recherché la responsabilité des Hospices civils de Lyon pour ne pas l'avoir informé du risque de perforation colique que la coloscopie comportait ; que, par un jugement du 8 avril 2014, le tribunal administratif de Lyon a, d'une part, estimé qu'un défaut d'information n'avait pu faire perdre à l'intéressé une chance de se soustraire au risque en refusant l'intervention, qui était impérieusement requise en présence d'une affection cancéreuse, et, d'autre part, que M. B… n'établissait pas avoir subi un préjudice d'impréparation ; qu'eu égard aux moyens qu'il soulève à l'appui de son pourvoi, l'intéressé doit être regardé comme demandant l'annulation du jugement en tant seulement qu'il rejette ses conclusions tendant à l'indemnisation de son préjudice d'impréparation ;


2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique : « Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus » ;


3. Considérant qu'indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité ; que s'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée ; qu'il suit de là qu'en exigeant de M. B… qu'il établisse la réalité du préjudice résultant de cette souffrance, le tribunal administratif de Lyon a entaché son jugement d'une erreur de droit ; que ce jugement doit, pour ce motif, être annulé en tant qu'il statue sur la réparation du préjudice d'impréparation ;


4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des Hospices civils de Lyon le versement d'une somme de 3 500 euros à M. B… au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ;


DÉCIDE :


Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 8 avril 2014 est annulé en tant qu'il statue sur la réparation du préjudice d'impréparation.


Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure au tribunal administratif de Lyon.


Article 3 : Les Hospices civils de Lyon verseront une somme de 3 500 euros à M. B… au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.


Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A… B… à la caisse primaire d'assurance maladie de Lyon et aux Hospices civils de Lyon.


CE, Sieur B c/ Hospices civils de Lyon, 16 juin 2016, n° 382479



II – COMMENTAIRE


Cette décision du Conseil d'État, prise sur renvoi de la cour administrative d'appel de Lyon d'une saisine en appel d'un jugement du tribunal administratif de céans, ne va pas manquer d'être commentée car la haute juridiction administrative considère que la perte de chance revêt deux formes : la première, matérielle, qui concerne la pathologie du patient, et la seconde qui fait référence à sa souffrance morale due au risque d'impréparation que l'absence d'information lui a provoquée. Le premier risque doit être prouvé pour être dédommagé, à savoir : existait-il une alternative thérapeutique qui aurait avantagé le patient ? Alors que le second risque dit « d'impréparation » est dit « présumé » car quelle que soit l'issue thérapeutique de l'alternative proposée, le fait de ne pas avoir informé le patient des risques encourus, a entraîné, lors de leur révélation, une souffrance morale due à l'impréparation psychologique. Ce risque d'impréparation ne peut être que présumable.


Dans une autre espèce, le Conseil d'État avait conclu dans le même sens, annulant l'arrêt d'une cour administrative d'appel pour cause d'irrégularité car ladite cour n'avait pas statué sur les préjudices nés des inquiétudes morales éprouvées par le patient (CE, Sieur A, 27 mai 2015, n° 371697 ; FJH n° 63, septembre 2015, disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com). Les « inquiétudes morales » sont devenues la « souffrance morale » pour aboutir au concept de perte de chance qualifiée d'impréparation psychologique du patient.


Le Conseil d'État renvoie l'affaire pour un nouveau jugement devant le tribunal administratif de Lyon en tenant compte de ce nouveau risque d'impréparation psychologique qui, rappelons-le, doit être présumé.