Le changement d’affectation sans perte de rémunération ou d’avantages pécuniaires, sans perte de garantie de carrière et sans perte de responsabilité équivaut à une mesure d’ordre intérieur insusceptible de recours pour excès de pouvoir

  • Cour administrative d'appel Bordeaux MCA c/ CH de Boscamnant 15/12/2015 - Requête(s) : 14BX02805
  • Cour administrative d'appel Bordeaux Dame C. B. c/ CH de Saint-Martin 15/12/2015 - Requête(s) : 14BX02526

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT

1re espèce : Sans la perte de rémunération ou la rétrogradation de responsabilité, le changement d'affectation est une mesure d'ordre intérieur

1. Alors affecté en qualité de magasinier sur le site principal du centre hospitalier de Boscamnant, M. A… a été victime, le 18 janvier 2011, d'un accident reconnu imputable au service, ayant occasionné une incapacité permanente partielle de 4 %. Le 5 mai 2011, le médecin du travail a estimé, d'une part, que son poste nécessitait des aménagements et une assistance pour les opérations de manutention, d'autre part, qu'un changement d'affectation pourrait être envisagé. Le 30 juin suivant, il a, toutefois, émis un avis défavorable à l'affectation à l'entretien des locaux annexes du secteur hospitalier. En revanche, le 10 novembre 2011, il a approuvé l'affectation en cuisine de l'intéressé, d'ailleurs titulaire de diplômes de cuisinier et de pâtissier. Estimant que cette affectation ne correspondait pas à son grade, M. A… s'y est opposé. Le 30 janvier 2012, l'administration l'a informé que dans un souci d'apaisement, elle renonçait à cette mesure et que dans l'attente d'une possible mutation au sein de l'établissement pour personnes âgées de Montguyon, dans le même département, il restait affecté provisoirement à son poste de magasinier sur le site de Boscamnant. Par décision du 30 mai 2013, M. A… a été muté à compter du 1er janvier 2014, sur un poste de magasinier à Montguyon. Il relève appel du jugement du 30 juillet 2014 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

2. Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre une telle mesure, à moins qu'elle ne traduise une discrimination, est irrecevable, alors même que la mesure de changement d'affectation aurait été prise pour des motifs tenant au comportement de l'agent public concerné.

3. En l'espèce, il n'est pas contesté que le changement d'affectation de M. A… n'entraîne aucune perte d'avantages pécuniaires ou de garanties de carrière et s'il soutient qu'il a été porté atteinte à ses responsabilités professionnelles, il ressort, toutefois, des pièces du dossier, notamment des études ergonomiques de chacun des postes, des « fiches de fonctions » et des précisions apportées en défense que le cadre d'emploi de M. A… lui donnait vocation à assumer les fonctions envisagées, qui sont au nombre des missions à caractère technique visées pour les membres du corps des techniciens hospitaliers à l'article 3 du décret du 27 juin 2011 et comportent des responsabilités d'un niveau au moins équivalent à celles exercées dans sa précédente affectation dans laquelle aucune fonction d'encadrement ne lui était dévolue. De plus, le 17 avril 2013, le médecin du travail a relevé que le changement d'affectation réduisait la distance entre le domicile de M. A… et son lieu de travail et a indiqué que le poste envisagé correspondait à « son esprit d'initiative et à ses compétences […] tout en le ménageant physiquement grâce aux aides à la manutention ». Ainsi, cette mesure, justifiée par les nécessités du service et qui ne révèle aucune discrimination, ne présente pas le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée et alors même qu'elle a été prise en considération de la personne de M. A…, en particulier de son état de santé, constitue, contrairement à ce qu'a retenu le jugement attaqué, une mesure d'ordre intérieur insusceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Dès lors, la demande présentée devant le tribunal administratif tendant à l'annulation de cette mesure n'était pas recevable et ne pouvait qu'être rejetée.

4. Il résulte de ce qui précède que M. A… n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier de Boscamnant, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme quelconque au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner M. A…, à payer au centre hospitalier de Boscamnant quelque somme que ce soit sur ce même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A… est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier de Boscamnant présentées au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C… A… et au centre hospitalier de Boscamnant.

CAA Bordeaux, MCA c/ CH de Boscamnant, 15 décembre 2015, n° 14BX02805

2e espèce : Le changement d'affectation ne constituant pas une sanction disciplinaire déguisée est une mesure d'ordre intérieur

1. Mme C… B…, infirmière en fonction depuis le 1er janvier 2008 au service de consultations externes du centre hospitalier Louis Constant Fleming, a fait l'objet le 5 mai 2012 d'une plainte de la part d'une patiente. Par une décision du 21 juin 2012, le directeur de l'établissement l'a affectée aux soins dans le service de médecine à compter du 2 juillet suivant. Saisi par Mme B…, le tribunal administratif de Saint-Martin a, par un jugement du 19 juin 2014 dont le centre hospitalier relève appel, annulé cette décision.

2. Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre une telle mesure, à moins qu'elle ne traduise une discrimination, est irrecevable, alors même que la mesure de changement d'affectation aurait été prise pour des motifs tenant au comportement de l'agent public concerné.

3. En l'espèce, le changement d'affectation de Mme B… est intervenu au sein du même établissement, sans diminution de ses responsabilités, perte de rémunération ou atteinte à ses droits et avantages notamment statutaires. Ainsi que le soutient le centre hospitalier, un tel changement d'affectation ne peut être regardé comme constitutif d'une modification de sa situation de nature à lui faire grief, alors même qu'il aurait été fondé sur un motif tenant au comportement personnel de Mme B… Ainsi, quelles que soient les circonstances postérieures, invoquées par la requérante, en particulier la suppression durant son congé de maladie d'une prime liée à l'exercice effectif des fonctions, ce changement d'affectation, qui ne constitue pas une sanction disciplinaire déguisée et ne traduit aucune discrimination, présente le caractère d'une mesure d'ordre intérieur insusceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Il suit de là que la demande présentée par Mme B… devant le tribunal administratif de Saint-Martin n'était pas recevable. Dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner ses autres moyens, le centre hospitalier Louis Constant Fleming est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont fait droit à cette demande.

4. Les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier Louis Constant Fleming, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque au titre des frais exposés par Mme B… et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de la condamner à payer au centre hospitalier Louis Constant Fleming une quelconque somme sur le même fondement. Aucuns dépens n'ayant été exposés au cours de l'instance, les conclusions présentées à ce titre ne peuvent être accueillies.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Saint-Martin du 19 juin 2014 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme B… devant le tribunal administratif de Saint-Martin est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du centre hospitalier Louis Constant Fleming et les conclusions de Mme B… présentées au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier Louis Constant Fleming et à Mme C… B…

CAA Bordeaux, Dame C… B… c/ CH de Saint-Martin, 15 décembre 2015, n° 14BX02526

II – COMMENTAIRE

En droit de la fonction publique, qui gère les droits et obligations des fonctionnaires et des agents publics (contractuels de droit public), nul n'est propriétaire de son poste : on est – et c'est déjà considérable – titulaire de son grade par lequel on a accédé grâce à la réussite à un concours ou un examen professionnel. À grade égal ou équivalent, l'autorité hiérarchique peut, au gré des nécessités de service, modifier l'affectation des agents publics sans que cela soit assorti d'une procédure particulière, voire contradictoire. Le juge considère qu'il s'agit d'une mesure d'ordre intérieur ne relevant pas de sa censure. Bien évidemment, tout changement d'affectation, comme toute mesure d'ordre hiérarchique, peut être contesté devant le juge administratif qui va alors vérifier si ledit changement d'affectation n'est pas une mesure disciplinaire déguisée. Dans la première espèce, le juge considère que sans perte de rémunération ou sans la rétrogradation de responsabilité, le changement d'affectation est une mesure d'ordre intérieur. Dans la deuxième espèce, le juge de la même cour administrative d'appel de Bordeaux confirme que le changement d'affectation ne constitue pas d'emblée une sanction disciplinaire et est donc bien une mesure d'ordre intérieur.

Dans la 1re espèce, la censure du juge aurait pu s'exercer sans que le changement d'affectation soit considéré comme disciplinaire : ainsi l'affectation d'une sage-femme sur un poste de formation dans un institut de formation aux soins infirmiers (Ifsi) est annulée par le juge, au motif que cette modification de poste entraînait un changement d'activité extérieure aux compétences des sages-femmes (CE, CH de Besançon, 15 mai 2013, n° 352605 ; FJH n° 62, septembre 2013, disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com). De plus, les juges de la cour administrative d'appel de Bordeaux ont considéré avec raison que la mutation sur un autre site du centre hospitalier, alors qu'il était situé dans le même département et seulement distant de quelques kilomètres, sur un emploi identique à celui qu'occupait précédemment cet agent avant ses congés pour maladie, était bien une mesure d'ordre intérieur.

Dans la 2e espèce, les juges de la cour administrative d'appel de Bordeaux considèrent que le changement d'affectation avec modification des tâches à accomplir, sans perte de responsabilité ou de salaire, ne porte pas préjudice à l'agent, et ainsi ne peut être assimilé à une mesure disciplinaire déguisée.

Ainsi, il ne s'agirait pas d'une mesure d'ordre intérieur si l'on peut relever une diminution des attributions ou des responsabilités (CE, CH d'Alès, 15 octobre 2014, n° 362605 ; FJH n° 003, 2015, p. 17, disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com). Le changement d'affectation qui ne porte pas atteinte aux droits et prérogatives de l'agent est valable, dès lors qu'il ne traduit pas une discrimination (CE, 25 septembre 2015, n°372624).

Rappelons que la mutation d'office dans l'intérêt du service consécutif à un redéploiement de personnel suite à une suppression d'activité chirurgicale, n'est pas assimilable à un licenciement dû à une mesure discriminante et ne permet pas la prise en charge des frais de changement de résidence (CAA Marseille, Dame Corenzo-Macias, 8 juillet 2010, n° 08MA03117 ; FJH n° 86, novembre 2010, disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com). Cependant, si le changement d'affectation, sans intention disciplinaire, est légal, il exige, selon le juge administratif, la communication du dossier à l'intéressé (CAA Nantes, Sieur Pinel, 1er octobre 2010, n° 10NT00081 ; FJH n° 016, 2011, p. 75, disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com).

La mauvaise affectation d'un agent engage la responsabilité de l'établissement qui est condamné pour préjudice moral (CAA Bordeaux, J.-P. Maillot, 17 octobre 2006, n° 04BX00496 ; FJH n° 8, janvier 2007, disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com). Pour ne pas avoir apporté une attention particulière à des demandes de changement d'affectation, de réorientation professionnelle ou de formation en vue d'un reclassement, l'hôpital employeur a commis une faute entraînant le dédommagement d'un agent pour préjudice moral (CAA Marseille, Dame Arrighi, 5 novembre 2013, n° 10MA01819 ; FJH n° 15, février 2014, disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com).