La défense pénale des agents d’un centre hospitalier est couverte par la garantie de protection juridique souscrite par le contrat d’assurance

  • Cour administrative d'appel Nantes Société Protexia France 22/12/2017 - Requête(s) : 16NT00750

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT

1. Considérant que le 3 janvier 2014, le centre hospitalier départemental Georges Daumezon a signé avec la société Protexia France un contrat d'assurance de protection juridique, pour une durée de cinq ans à compter du 1er janvier 2014 ; qu'en raison du suicide de leur fils, patient du centre hospitalier, le 24 octobre 2012, M. et Mme A… ont porté plainte, avec constitution de partie civile, contre les agents du centre hospitalier ; que la société Protexia France a refusé de prendre en charge les frais d'avocat exposés par le centre hospitalier à raison de cette procédure pénale ; que, par un jugement du 17 décembre 2015, le tribunal administratif d'Orléans a condamné la société Protexia France, d'une part, à accorder sa garantie de protection juridique au centre hospitalier pour cette procédure pénale, et d'autre part, à lui verser la somme de 2 280 euros en remboursement des frais d'avocat déjà exposés dans cette procédure ; que la société Protexia France relève appel de ce jugement ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 127-4 du Code des assurances, repris à l'article 8 des conditions particulières du contrat d'assurance signé le 3 janvier 2014 : « […] en cas de désaccord entre l'assureur et l'assuré au sujet de mesures à prendre pour régler un différend, cette difficulté peut être soumise à l'appréciation d'une tierce personne désignée d'un commun accord par les parties ou, à défaut, par le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés. […] » ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'elles visent les désaccords qui opposent l'assuré et son assureur sur les mesures à prendre pour régler un différend qui oppose l'assuré à un tiers ; qu'elles ne s'appliquent pas aux désaccords qui opposent l'assuré et son assureur quant à l'interprétation du contrat d'assurance et à l'étendue des garanties couvertes par celui-ci ; qu'il suit de là que la société Protexia France n'est pas fondée à soutenir que le centre hospitalier départemental Georges Daumezon n'était pas recevable à saisir le tribunal administratif d'Orléans sans avoir au préalable soumis le différend à une tierce personne chargée de l'arbitrer ;

Sur l'étendue de la garantie couverte par le contrat d'assurance signé le 3 janvier 2014 :

4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 127-6 du Code des assurances, qui est d'ordre public en vertu de l'article L. 111-2 du même code : « Les dispositions du présente chapitre ne s'appliquent pas : […] 2° À l'activité de l'assureur de responsabilité civile pour la défense de la représentation de son assuré dans tout procédure judiciaire ou administrative lorsqu'elle s'exerce en même temps dans l'intérêt de l'assureur. » ; et qu'aux termes de l'article 2.3 des dispositions générales du contrat d'assurance signé le 3 janvier 2014, l'assureur ne garantit pas les litiges « mettant en cause votre responsabilité civile lorsqu'elle est garantie par un contrat d'assurances ou devrait l'être en vertu des dispositions législatives ou réglementaires » ;

5. Considérant que ni les dispositions précitées de l'article L. 127-6 du Code des assurances, qui n'excluent des contrats de garantie protection juridique que les actions de l'assureur en responsabilité civile lorsque celui-ci agit également dans son propre intérêt, ni les stipulations précitées de l'article 2.3 des dispositions générales du contrat d'assurance, qui n'excluent de ce contrat que les actions mettant en jeu la responsabilité civile du centre hospitalier soumise à l'obligation d'assurance, ne concernent les actions pénales engagées contre le centre hospitalier et ses agents ; que figure d'ailleurs expressément dans le point 4 des conditions particulières du contrat d'assurance, consacré aux « litiges garantis », la « défense pénale » des agents du centre hospitalier ; que la circonstance que le suicide de M. A… le 24 octobre 2012 est susceptible d'engager la responsabilité civile du centre hospitalier est indépendante de l'action pénale engagée par les parents de M. A…, de sorte que les frais juridiques occasionnés par cette seconde action ne sont pas nécessairement inclus dans ceux pris en charge au titre de la responsabilité civile ; qu'enfin, aucune stipulation contractuelle ne conditionne la mise en jeu de la garantie protection juridique au fait que les agents visés par une action pénale aient été convoqués par un juge ; qu'il suit de là que la société Protexia France n'est pas fondée à soutenir que l'action pénale engagée par M. et Mme A… relèverait de la responsabilité civile du centre hospitalier et serait, à ce titre, exclue du contrat signé le 3 janvier 2014 ;

6. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 127-2-1 du Code des assurances : « Est considéré comme sinistre, au sens du présent chapitre, le refus qui est opposé à une réclamation dont l'assuré est l'auteur ou le destinataire. » ; que l'article 2.2 des conditions particulières du contrat d'assurance définit le litige comme « Toute opposition d'intérêt entre l'assuré et un tiers » ; qu'aux termes de l'article 4.1 de ces conditions particulières relatif à la défense pénale : « Le contrat garantit la défense de l'assuré poursuivi dans le cadre de l'exercice de ses fonctions professionnelles d'agent de l'établissement souscripteur, en qualité d'auteur, de co-auteur ou de complice d'une infraction pénale résultant notamment d'une maladresse, imprudence, négligence, inattention, méconnaissance ou inobservation des lois et règlements, d'un manque de précaution ou d'une abstention fautive » ; qu'aux termes de l'article 6 des mêmes conditions particulières : « Les litiges susceptibles d'être pris en charge doivent : - être fondés en droit ; - avoir une origine postérieure à la date d'entrée en vigueur du contrat ; - sont cependant pris en charge les litiges dont l'origine est antérieure à la date d'entrée en vigueur du contrat alors que l'assuré exerçait déjà une fonction d'agent public [que ce soit au sein de l'établissement souscripteur ou d'un autre établissement], si l'assuré justifie n'en avoir eu connaissance que postérieurement à cette date. » ;

7. Considérant que le litige pour lequel le centre hospitalier demande la mise en œuvre de la garantie de protection juridique du contrat signé le 3 janvier 2014 n'est pas né du suicide de M. A… le 24 octobre 2012 mais de la plainte avec constitution de partie civile déposée devant le tribunal de grande instance d'Orléans par les parents de M. A… contre les agents du centre hospitalier ; qu'il n'est pas contesté que le centre hospitalier a eu connaissance de cette plainte, déposée au cours de l'année 2014, en novembre 2014, soit pendant la période d'exécution du contrat ; que, par suite, la société Protexia France n'est pas fondée à soutenir que la défense pénale des agents du centre hospitalier à raison de la plainte déposée par M. et Mme A… n'est pas couverte par la garantie de protection juridique souscrite par le contrat signé le 3 janvier 2014 ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Protexia France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement litigieux du 17 décembre 2015, le tribunal administratif d'Orléans l'a condamnée, d'une part à accorder sa garantie de protection juridique au centre hospitalier départemental Georges Daumezon pour la procédure pénale initiée par M. et Mme A…, et d'autre part, à lui verser la somme de 2 280 euros en remboursement des frais d'avocat déjà exposés pour cette procédure ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative :

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que le centre hospitalier départemental Georges Daumezon, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à la société Protexia France la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

10. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Protexia France la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le centre hospitalier départemental Georges Daumezon et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Protexia France est rejetée.

Article 2 : La société Protexia France versera au centre hospitalier départemental Georges Daumezon la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Protexia France et au centre hospitalier départemental Georges Daumezon.

CAA Nantes, Société Protexia France, 22 décembre 2017, n° 16NT00750

II – COMMENTAIRE

Les différends entre un hôpital et son assureur sont suffisamment rares devant les juridictions administratives pour que l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Nantes le 22 décembre 2017 retienne toute notre attention.

Les faits étaient les suivants : le centre hospitalier départemental George Daumezon avait signé avec la société Protexia France un contrat d'assurance de protection juridique pour une durée de 5 années à compter du 1er janvier 2011.

À la suite du suicide de leur fils hospitalisé dans l'établissement, ses parents avaient porté plainte avec constitution de partie de civile contre les agents du centre hospitalier.

L'assureur avait refusé de prendre en charge les frais d'avocat qui avaient été exposés par l'hôpital.

En première instance, l'hôpital a obtenu gain de cause, puis l'assureur a interjeté appel mais sa demande a été rejetée par le juge d'appel de Nantes.

Deux enseignements sont à retenir de l'arrêt rendu.

En premier lieu, la défense pénale des agents était couverte par le contrat d'assurance, peu importe que les suicides étaient susceptibles d'engager la responsabilité civile de l'hôpital.

En second lieu, l'assureur soutenait que le fait générateur qui était constitué par le suicide du jeune patient était antérieur à la souscription du contrat d'assurance et par conséquent, toujours selon l'assureur, le litige né de ce fait générateur ne pouvait pas être couvert par le contrat.

L'argument a été rejeté par le juge administratif au motif que la mise en œuvre de la garantie de protection juridique du contrat n'est pas née du suicide du patient mais de la plainte avec constitution de partie civile qui a été déposée après la souscription du contrat d'assurance.

C'est pourquoi la cour administrative d'appel de Nantes a considéré que la défense pénale des agents de l'hôpital en raison de la plainte déposée par les parents était couverte par la garantie de protection juridique souscrite par le contrat d'assurance.

L'hôpital devait donc être remboursé par son assureur des frais exposés par les agents pour leur défense devant la juridiction répressive.