Le délai de prescription quadriennale s’applique à la demande indemnitaire présentée par un agent au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence subis du fait de son exposition au cours de sa carrière professionnelle à l’inhalation de poussières d’amiante

  • Cour administrative d'appel Bordeaux M. A… 09/10/2017 - Requête(s) : 16BX00216

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT

Considérant ce qui suit :

1. M. B…, qui a exercé la profession de thermicien chauffagiste de 1978 à 2004 et de chef du service technique de l'hôpital Saint-André de 2004 à 2008 au sein du centre hospitalier universitaire de Bordeaux, a formé le 10 juin 2013 une demande indemnitaire d'un montant global de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice « d'anxiété » et des troubles dans les conditions d'existence qu'il a subis à raison de son exposition aux poussières d'amiante. M. B… relève appel du jugement du 20 novembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa requête ;

Sur la régularité du jugement :

2. M. B… ne peut utilement invoquer, pour contester la régularité du jugement, une erreur de droit que le tribunal aurait commise, un tel moyen ayant trait, en tout état de cause, au bien-fondé du jugement et non à sa régularité. Il en est de même pour l'erreur de fait et l'erreur manifeste d'appréciation que les premiers juges auraient commises en se méprenant sur le fondement de la demande présentée par le requérant qui n'ont, à les supposer établies, d'incidence la encore que sur le bien-fondé.

Sur l'exception de prescription quadriennale :

3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, relative à la prescription des créances sur 1'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : « Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. […] ». Aux termes de l'article 2 de la même loi : « La prescription est interrompue par : Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. 1. Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; […] ». Aux termes de l'article 3 de cette même loi : « La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ».

4. Lorsque la victime d'un dommage causé par des agissements de nature à engager la responsabilité d'une collectivité publique dépose contre l'auteur de ces agissements une plainte avec constitution de partie civile, ou se porte partie civile afin d'obtenir des dommages et intérêts dans le cadre d'une instruction pénale déjà ouverte, l'action ainsi engagée présente, au sens des dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, le caractère d'un recours relatif au fait générateur de la créance que son auteur détient sur la collectivité et interrompt par suite le délai de prescription de cette créance. Or, M. B… n'établit, ni même n'allègue, que lui-même ou des tiers aient fait les diligences nécessaires pour obtenir du CHU de Bordeaux la réparation des préjudices qui résulteraient d'une exposition aux poussières d'amiante, notamment par la présentation d'une demande indemnitaire ou l'introduction d'une action juridictionnelle à fin de condamnation de l'établissement hospitalier.

5. Le fait générateur de la créance que M. B… prétend détenir sur le centre hospitalier universitaire de Bordeaux est la faute commise par cet établissement en sa qualité d'employeur dans la mise en œuvre des règles d'hygiène et de sécurité relatives à la protection des travailleurs contre les poussières d'amiante. Le requérant soutient qu'en application des dispositions précitées de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, son préjudice, qui est lié au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante se poursuit autant que le risque de déclaration d'une telle pathologie existe soit jusqu'à trente-cinq ou quarante ans après la fin de l'exposition, qui se poursuit actuellement.

6. En premier lieu, M. B… indique expressément dans sa requête avoir pris conscience des risques encourus liés à une exposition aux poussières d'amiante et souffrir du préjudice d'anxiété depuis l'année 1998. A cette même période, le centre hospitalier universitaire a installé un comité de pilotage amiante et la médecine du travail a étendu aux agents de sécurité le contrôle systématique mis en place pour les agents des services techniques à partir de 1996, consistant en une radio pulmonaire tous les deux ans et un scanner tous les dix ans. Enfin, les services de médecine du travail ont formé l'ensemble des agents exposés à l'amiante sur les risques encourus, les mesures de protection et les précautions à prendre au cours des années 2000 et 2001.

7. En deuxième lieu, M. B… doit être réputé avoir nécessairement eu connaissance de l'étendue du risque à l'origine du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence dont il demande réparation et dans lesquels est incorporé le préjudice d'anxiété à compter de la publication du décret du 23 octobre 2001 relatif à la procédure d'indemnisation des victimes de l'amiante publié le 24 octobre 2001 qui présente notamment le détail de la procédure d'indemnisation et reconnaît la possibilité d'une origine professionnelle de l'affection liée à l'exposition à l'amiante alors que des maladies professionnelles liées à l'amiante ont été déclarées au CHU de Bordeaux à compter des années 1995 et 1998, et ce même si cet établissement ne faisait pas partie de la liste des établissements particulièrement signalés, et sans que l'attestation individuelle, délivrée par son employeur, dont il se prévaut, qui ne fait qu'indiquer la nature et les périodes d'exposition aux fibres d'amiante ainsi qu'inventorier les équipements de protection tant individuels que collectifs, mis à sa disposition dès l'année 2000, ne puisse être regardée, ni comme une cause interruptive ou suspensive de prescription, ni comme le point de départ où l'intéressé aurait eu réellement connaissance de l'étendue du risque à l'origine de son préjudice.

8. Il suit de là que le requérant doit être regardé comme ayant eu connaissance au plus tard à partir de l'année 2001 des risques liés à une exposition et d'une éventuelle défaillance de son employeur dans la mise en œuvre des mesures de protection. Le délai de prescription quadriennale, qui a ainsi commencé à courir à compter du 1er janvier 2002, était dès lors expiré le 31 décembre 2005. Par suite à bon droit que le directeur du centre hospitalier universitaire de Bordeaux a pu, et ainsi que le tribunal administratif de Bordeaux l'a confirmé, opposer la prescription quadriennale à la demande d'indemnisation adressée par M. B… Par suite, l'exception de prescription quadriennale invoquée doit être accueillie.

9. À supposer même que M. B… n'ait eu connaissance réellement du risque dont il fait état du fait que les représentants du personnel ont d'une part exercés leur droit d'alerte notamment en 2003 et qu'ils ont alertés, le 30 septembre 2004, la direction du CHU de Bordeaux sur le fait qu'aucun dossier technique amiante n'avait été établi, la prescription qui aurait ainsi commencée le 1er janvier 2005, serait de toute façon acquise à la date à laquelle l'intéressé a adressé sa demande indemnitaire à l'administration, soit le 10 juin 2013.

10. Il résulte de ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa requête.

Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du Code de justice administrative :

11. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que M. B… demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B… est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié M. A… B… et au centre hospitalier universitaire de Bordeaux.

CAA Bordeaux, M. A…, 9 octobre 2017, n° 16BX00216

II – COMMENTAIRE

L'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 9 octobre 2017 fait un utile rappel sur le délai de prescription quadriennale applicable à toute demande indemnitaire hors cas de responsabilité médicale.

Les faits étaient les suivants : un agent qui avait exercé la profession de chauffagiste au sein du CHU de Bordeaux avait réclamé à son ancien employeur une demande indemnitaire d'un montant de 100 000,00 € en réparation du préjudice d'anxiété et des troubles dans les conditions d'existence subis à raison de son exposition aux poussières d'amiante.

Sa demande avait été rejetée par le CHU de Bordeaux qui lui avait opposé la prescription quadriennale.

Devant le juge administratif, tant en première instance qu'en cause d'appel, la requête de l'agent a été rejetée.

La décision rendue par la cour administrative d'appel de Bordeaux est logique.

En effet, le juge administratif rappelle que le délai de prescription quadriennale avait commencé à courir à compter du 1er janvier 2002 et avait expiré le 31 décembre 2005 par conséquent la demande indemnitaire qui avait été formulée le 10 juin 2013 était forclose.

Le juge administratif rappelle que l'agent est réputé avoir eu connaissance de l'étendue du risque d'exposition à l'amiante à compter de la publication du décret du 23 octobre 2001 relatif à la procédure d'indemnisation des victimes de l'amiante.

Par conséquent, ainsi que le souligne le juge administratif, le requérant « doit être regardé comme ayant eu connaissance au plus tard à compter de l'année 2001 des risques liées à une exposition et d'une éventuelle défaillance de son employeur dans la mise en œuvre des mesures de protection. Le délai de prescription quadriennale, qui ainsi à commencer à courir du 1er janvier 2002, était dès lors expiré le 31 décembre 2005 ».

Pour cette raison, la demande de l'agent n'a pas pu être examinée sur le fond du droit.

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