Le directeur d’un hôpital peut refuser au père d’un patient de lui accorder le droit de rendre visite à son fils majeur hospitalisé d’office

  • Conseil d'État M. H… 02/10/2017 - Requête(s) : 399753

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le fils majeur de M. C… a été hospitalisé avec son consentement au centre hospitalier Charles Perrens de Bordeaux le 21 juillet 2008. Par un arrêté du 26 mai 2010, le préfet de la Gironde a ordonné son hospitalisation d'office au sein du même établissement jusqu'au 26 juin 2010, à la suite d'un acte de violence commis à l'encontre d'un membre du personnel hospitalier. M. C… s'étant présenté au centre hospitalier pour voir son fils, les 28 mai et 1er juin 2010, il lui a été verbalement signifié qu'il n'était pas autorisé à lui rendre visite. M. C… a contesté ces décisions de refus sans succès devant le tribunal administratif de Bordeaux. Il se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 8 décembre 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté son appel, sur lequel elle statuait de nouveau après renvoi de l'affaire par le Conseil d'État, en jugeant notamment que ces décisions n'avaient pas à être motivées et n'étaient pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

2. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 1110-4 du Code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la procédure devant la cour : « Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. / Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tout professionnel de santé, ainsi qu'à tous les professionnels intervenant dans le système de santé ». Il résulte de ces dispositions que le secret médical s'oppose à ce que soient divulguées, sans l'accord du malade hospitalisé, les raisons médicales de la décision refusant à un tiers le droit de lui rendre visite. Toutefois, ce secret n'est pas opposable à la personne que le malade a autorisée à accéder à son dossier médical,

3. D'une part, la circonstance qu'un établissement de santé, dans un contentieux l'opposant à un proche d'un patient, ait produit des pièces de sa propre initiative, en méconnaissance du secret médical qui s'impose à lui, n'est pas par elle-même de nature à affecter la régularité ou le bien-fondé de la décision du juge.

4. D'autre part, le juge, auquel il incombe, dans la mise en œuvre de ses pouvoirs d'instruction, de veiller au respect des droits des parties, d'assurer l'égalité des armes entre elles et de garantir, selon les modalités propres à chacun d'entre eux, les secrets protégés par la loi, ne peut régulièrement se fonder sur de telles pièces qu'à la condition d'avoir pu préalablement les soumettre au débat contradictoire.

5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un document daté du 28 mai 2010, M. B… C… a autorisé son père, M. A… C…, à accéder à son dossier médical détenu par le centre hospitalier Charles Perrens, puis, par un document daté du 17 février 2011, à produire en justice les pièces de ce dossier qui lui sembleraient indispensables, dossier dont sont issus le bilan médical du 26 mai 2010 ainsi que les informations relatives à l'état clinique et aux soins dispensés et les comptes rendus établis entre le 25 mai et le 10 juin 2010 que M. C… a joints à ses mémoires devant le tribunal administratif de Bordeaux. La cour, qui n'a pas dénaturé les pièces du dossier en relevant que le mandat donné à M. C… par son fils lui permettait de produire des pièces de son dossier médical dans le cadre du recours contentieux engagé et que celui-ci avait ainsi accepté leur soumission au débat contradictoire, n'a pas entaché d'irrégularité la procédure au terme de laquelle elle a statué en prenant en considération pour apprécier la légalité des décisions attaquées, après l'avoir communiqué à M. C…, le certificat médical du 3 juin 2010, adressé à la direction des usagers du centre hospitalier par le chef du pôle de psychiatrie générale et établissant les motifs de l'interdiction de visites, que ce centre avait joint à son mémoire en défense devant le tribunal.

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :

6. En premier lieu, après l'expiration du délai de recours contre un acte administratif, sont irrecevables, sauf s'ils sont d'ordre public, les moyens soulevés par le demandeur qui relèvent d'une cause juridique différente de celle à laquelle se rattachent les moyens invoqués dans sa demande avant l'expiration de ce délai. Ce délai de recours commence, en principe, à courir à compter de la publication ou de la notification complète et régulière de l'acte attaqué. Toutefois, à défaut, il court, au plus tard, à compter, pour ce qui concerne un demandeur donné, de l'introduction de son recours contentieux contre cet acte.

7. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. C… a soulevé le moyen de légalité externe tiré de l'absence de motivation des décisions verbales par lesquelles le centre hospitalier lui a refusé le droit de rendre visite à son fils dans un mémoire enregistré le 3 novembre 2010 au greffe du tribunal administratif de Bordeaux, soit plus de deux mois après l'introduction de son recours, le 29 juillet 2010, alors qu'il n'avait jusque là soulevé aucun moyen se rattachant à la même cause juridique. Un tel moyen, qui n'est pas d'ordre public, était, dès lors, irrecevable. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen d'erreur de droit soulevé par M. C…, il y a lieu de substituer ce motif, dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait et qui justifie sur ce point le dispositif de l'arrêt attaqué, au motif retenu par la cour pour écarter la méconnaissance de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public.

8. En second lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 3211-3 du Code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date des décisions en litige : « Lorsqu'une personne atteinte de troubles mentaux est hospitalisée sans son consentement en application des dispositions des chapitres II et III du présent titre ou est transportée en vue de cette hospitalisation, les restrictions à l'exercice de ses libertés individuelles doivent être limitées à celles nécessitées par son état de santé et la mise en œuvre de son traitement. En toutes circonstances, la dignité de la personne hospitalisée doit être respectée et sa réinsertion recherchée ». Aux termes de l'article R. 1112-47 du même code : « Les visiteurs ne doivent pas troubler le repos des malades ni gêner le fonctionnement des services. Lorsque cette obligation n'est pas respectée, l'expulsion du visiteur et l'interdiction de visite peuvent être décidées par le directeur. / […] / Les malades peuvent demander aux cadres infirmiers du service de ne pas permettre aux personnes qu'ils désignent d'avoir accès à eux ».

9. Il résulte de ces dispositions qu'il peut être interdit au proche d'un patient hospitalisé sans son consentement de rendre visite à celui-ci au motif, notamment, qu'une telle visite n'est pas compatible avec l'état de santé du patient ou la mise en œuvre de son traitement. En jugeant que les décisions des 28 mai et 1er juin 2010 avaient pu légalement se fonder sur l'état de santé du fils de M. C…, eu égard tant aux documents médicaux figurant au dossier qu'aux dates de ces décisions, intervenues trois et cinq jours après la crise ayant justifié son hospitalisation d'office, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C…n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux qu'il attaque.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du centre hospitalier Charles Perrens, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C… une somme de 1 000 euros à verser au centre hospitalier Charles Perrens, au titre de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er  : Le pourvoi de M. C… est rejeté.

Article 2 : M. C… versera au centre hospitalier Charles Perrens une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A… C… et au centre hospitalier Charles Perrens.

Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé.

CE, M. H…, 2 octobre 2017, n° 399753

II – COMMENTAIRE

L'arrêt rendu par le Conseil d'État, dans sa section du contentieux, le 2 octobre 2017 précise que le directeur d'un hôpital peut refuser au père d'un patient de lui accorder le droit de rendre visite à son fils majeur ayant fait l'objet d'une hospitalisation d'office dans l'établissement.

Pour bien saisir la portée de cette jurisprudence, rappelons d'abord les différentes étapes procédurales d'une affaire particulièrement délicate.

Un patient, majeur, avait été hospitalisé avec son consentement au centre hospitalier Charles Perrens à Bordeaux le 21 juillet 2008.

Puis, par arrêté du 26 mai 2010, le préfet de la Gironde avait ordonné son hospitalisation d'office au sein du même établissement jusqu'au 26 juin 2010 en raison de l'acte de violence qui avait été commis par le patient à l'encontre d'un membre du personnel hospitalier.

C'est alors que son père avait décidé de lui rendre visite mais il n'avait pas été autorisé.

Le père du patient avait alors contesté devant la juridiction administrative les décisions de refus.

Tant en première instance qu'en cause d'appel, les juges s'étaient déclarés incompétents.

Pourtant, dans son arrêt du 26 juin 2015, le Conseil d'État admet que le refus du droit de visite opposé à un tiers par l'établissement public de santé relève de la compétence de la juridiction administrative (CE, 26 juin 2015, n° 381648).

L'affaire avait alors été renvoyée devant la cour administrative d'appel de Bordeaux qui, par arrêt du 8 décembre 2015, a rejeté la demande d'annulation formée contre le refus de droit de visite (CAA Bordeaux, 8 décembre 2015, n° 15BX02216, FJH n° 18, 2016, p. 89).

C'est ainsi que le père du patient décida de se pourvoir à nouveau devant le Conseil d'État.

On ne reviendra pas sur la compétence de la juridiction administrative à apprécier le refus du droit de visite opposé à un tiers tant le Conseil d'État a pu expliquer, dans son arrêt du 26 juin 2015, que cette mesure étant prise pour l'exécution du service public hospitalier ne porte pas atteinte à la liberté individuelle et qu'en conséquence le Juge judiciaire n'est pas compétent pour apprécier ce type de mesure (CE, 26 juin 2015, préc.).

En revanche, arrêtons-nous quelques instants sur l'apport majeur de cet arrêt du 2 octobre 2017 selon lequel le Conseil d'État admet très clairement : « Qu'il peut être interdit au proche d'un patient hospitalisé sans son consentement de rendre visite à celui-ci au motif, notamment, qu'une telle visite n'est pas compatible avec l'état de santé du patient ou la mise en œuvre de son traitement ».

Tout dépend de l'état de santé du malade et donc de son intérêt.

Par ailleurs, cette jurisprudence du 2 octobre 2017 n'aborde-t-elle pas aussi la sphère des compétences de police du directeur ? D'aucuns le penseront, n'est-ce pas ?