Un fonctionnaire en disponibilité pour suivre son conjoint qui ne demande pas sa réintégration dans les délais ne peut pas bénéficier des allocations de retour à l’emploi

  • Conseil d'État Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt 27/01/2017 - Requête(s) : 392860

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT


1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A…, attachée d'administration au ministère de l'Agriculture, a été placée à sa demande en disponibilité pour convenance personnelle, afin de suivre son conjoint, du 1er septembre 2010 au 30 septembre 2012. Par lettre du 28 septembre 2012, elle a demandé à son administration de la réintégrer à compter du 1er octobre 2012. Ayant été maintenue en disponibilité d'office dans l'attente de sa réintégration faute de poste disponible, Mme A… a vainement sollicité le 20 décembre 2012 le bénéfice de l'allocation pour perte d'emploi, avec effet rétroactif au 1er octobre 2012. Elle a alors demandé au tribunal administratif de Besançon l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur sa demande. Par un jugement du 20 mars 2014, le tribunal administratif de Besançon a rejeté ses conclusions. Le ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt se pourvoit en cassation contre les articles 1 à 3 de l'arrêt du 18 juin 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, faisant droit à l'appel de Mme A…, a annulé ce jugement ainsi que la décision litigieuse et enjoint à l'État de verser à l'intéressée l'allocation pour perte d'emploi, avec effet rétroactif au 1er octobre 2012.

2. Aux termes de l'article 47 du décret du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'État et à certaines modalités de mise à disposition et de cessation définitive de fonctions : « La mise en disponibilité est accordée de droit au fonctionnaire, sur sa demande : […] 2° Pour suivre son conjoint […] ». Aux termes du troisième alinéa de l'article 49 du même décret : « Trois mois au moins avant l'expiration de la disponibilité, le fonctionnaire fait connaître à son administration d'origine sa décision de solliciter le renouvellement de la disponibilité ou de réintégrer son corps d'origine. Sous réserve des dispositions du deuxième alinéa du présent article et du respect par l'intéressé, pendant la période de mise en disponibilité, des obligations qui s'imposent à un fonctionnaire même en dehors du service, la réintégration est de droit ». Aux termes du cinquième alinéa du même article : « À l'issue de la disponibilité prévue aux 1° et 2° de l'article 47 du présent décret, le fonctionnaire est, par dérogation aux dispositions de l'alinéa précédent, obligatoirement réintégré à la première vacance dans son corps d'origine et affecté à un emploi correspondant à son grade. S'il refuse le poste qui lui est assigné, les dispositions du précédent alinéa lui sont appliquées ». Aux termes de l'article L. 5421-1 du Code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : « En complément des mesures tendant à faciliter leur reclassement ou leur conversion, les travailleurs involontairement privés d'emploi, […] aptes au travail et recherchant un emploi, ont droit à un revenu de remplacement dans les conditions fixées au présent titre : « Aux termes de l'article L. 5424-1 du même code : « Ont droit à une allocation d'assurance dans les conditions prévues aux articles L. 5422-2 et L. 5422-3 : / 1° Les agents fonctionnaires et non fonctionnaires de l'État et de ses établissements publics administratifs, les agents titulaires des collectivités territoriales […] ».

3. Il résulte de l'ensemble des dispositions citées au point 2 qu'un fonctionnaire qui a sollicité dans les délais prescrits sa réintégration à l'issue d'une période de mise en disponibilité pour convenance personnelle et dont la demande n'a pu être honorée faute de poste vacant à la date souhaitée, doit en principe être regardé comme ayant été non seulement involontairement privé d'emploi mais aussi à la recherche d'un emploi au sens de l'article L. 5421-1 du Code du travail, au titre de la période comprise entre la date à laquelle sa mise en disponibilité a expiré et la date de sa réintégration à la première vacance. En ce cas, il peut prétendre au bénéfice de l'allocation pour perte d'emploi.

4. En revanche, un fonctionnaire qui, en méconnaissance des obligations s'imposant à lui du fait des dispositions précitées de l'article 49 du décret du 16 septembre 1985, n'a présenté à son administration sa demande de réintégration au sein de son corps d'origine que moins de trois mois avant l'expiration de sa période de mise en disponibilité, ne saurait être regardé comme involontairement privé d'emploi dès l'expiration de cette période. Dans un tel cas, il n'est pas réputé involontairement privé d'emploi et, dès lors, ne peut prétendre au bénéfice de l'allocation pour perte d'emploi, avant qu'un délai de trois mois ne se soit écoulé depuis sa demande de réintégration. Des démarches accomplies par le fonctionnaire tendant à identifier des postes susceptibles de lui convenir lors de sa réintégration ultérieure, ou l'expression par cet agent de simples souhaits de reprise des fonctions ne sauraient à cet égard tenir lieu de demande expresse de réintégration ni produire les mêmes effets qu'elle.

5. La cour a souverainement constaté que Mme A… avait présenté sa demande de réintégration à son administration d'origine le 28 septembre 2012, soit deux jours avant la date à laquelle expirait sa période de mise en disponibilité pour convenance personnelle. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 ci-dessus qu'en jugeant que la circonstance que Mme A…, maintenue d'office en disponibilité au-delà du 30 septembre 2012 faute de poste disponible, avait informé à diverses reprises son administration de son souhait de reprendre ses fonctions à l'issue de sa période de disponibilité, devait conduire à ce qu'elle soit regardée comme ayant été involontairement privée d'emploi pour la période du 1er octobre 2012 au 28 décembre 2012, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé.

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que le versement de la somme qui est demandée à ce titre par Mme A… soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1, 2 et 3 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 18 juin 2015 sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Nancy.

Article 3 : Les conclusions présentées par Mme A… au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt et à Mme B… A…

CE, Ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt, 27 janvier 2017, n° 392860


II – COMMENTAIRE


Cette décision du Conseil d'État est importante, comme en témoigne sa mention au Recueil Lebon. Elle concerne le versement des allocations de retour à l'emploi (ARE) lorsque le fonctionnaire ne peut pas être réintégré à l'issue de sa disponibilité à travers une nouvelle problématique : la demande de réintégration non effectuée dans les délais. Si la décision vise la fonction publique de l'État, elle est transposable à la fonction publique hospitalière.

En l'espèce, un agent de la fonction publique d'État demande sa réintégration deux jours avant le terme de la disponibilité accordée pour suivre son conjoint ; un préavis de trois mois lui était imposé (deux mois pour la FPH aux termes de l'article 37 n° 88-976 du 13 octobre 1988).

Il est placé en disponibilité d'office, faute de poste vacant, mais son employeur refuse le bénéfice des allocations de retour à l'emploi. L'agent conteste avec succès devant la cour administrative d'appel de Nancy, et le Conseil d'État est saisi.

Son analyse est très claire :

  • un fonctionnaire qui a sollicité dans les délais prescrits sa réintégration à l'issue d'une période de mise en disponibilité pour convenance personnelle et dont la demande n'a pu être honorée faute de poste vacant à la date souhaitée, doit en principe être regardé comme ayant été non seulement involontairement privé d'emploi mais aussi à la recherche d'un emploi. Dans ce cas, il peut prétendre au bénéfice de l'allocation pour perte d'emploi ;
  • en revanche, si le fonctionnaire ne respecte pas les délais imposés pour demander sa réintégration, il ne saurait être regardé comme involontairement privé d'emploi et ne peut pas bénéficier des ARE.

En l'occurrence, l'agent avait demandé sa réintégration deux jours avant le terme de la disponibilité, ce qui était pour le moins tardif. L'absence de poste vacant ayant justifié le maintien en disponibilité, les demandes réitérées de réintégration ne suffisaient pas à modifier cette analyse et l'arrêt a encouru la cassation.

La jurisprudence affine ainsi son analyse du droit de la disponibilité. Après avoir admis qu'une demande de réintégration effectuée après cette période de deux mois – donc forclose – était valable si l'administration l'avait incidemment acceptée (CAA Paris, CH intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges, 5 octobre 2005, n° 03PA03927), les juges font peser sur l'administration une obligation d'adresser à l'agent concerné une lettre par laquelle le directeur le prévient de demander sa réintégration, demande qu'il doit effectuer deux mois avant le terme de la période de disponibilité. En l'absence de cette formalité, le juge annule la radiation des cadres et réintègre l'agent dans ses droits (CAA Nancy, Hôpitaux universitaires de Strasbourg, 12 novembre 2015, n° 14NC01025).