L’obligation à la charge de l’établissement de protéger l’agent mis en cause par un usager

  • Cour administrative d'appel Nantes M. A… 13/04/2018 - Requête(s) : 16NT02217

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT

1. Considérant que M. A…, agent de maîtrise, exerçait les fonctions de chef du service de sécurité incendie au sein du centre hospitalier de Dreux lorsque, le 13 mars 2014, il a été suspendu par son employeur au motif qu'il était suspecté d'avoir tenté d'embrasser contre sa volonté une usagère de l'hôpital ; que, toutefois, le conseil de discipline, estimant que les faits n'étaient pas formellement établis puisque la victime n'avait pas été en mesure d'identifier son agresseur, a proposé de ne pas sanctionner M. A… ; que, le 10 juillet 2014, le directeur du centre hospitalier de Dreux, suivant cet avis, a mis fin à la procédure disciplinaire engagée contre son agent ; que, le 16 mars 2015, M. A… a demandé à son employeur le bénéfice de la protection fonctionnelle ; que, par une décision du 15 avril 2015, la nouvelle directrice du centre hospitalier de Dreux a rejeté sa demande ; que, par un jugement du 10 mai 2016, le tribunal administratif d'Orléans a annulé cette décision « en tant qu'elle lui refuse la prise en charge des frais éventuels en défense ou en attaque dans une instance pénale ou civile dirigée contre l'usagère ayant porté des accusations contre lui » ; que M. A…, dont l'employeur a, par la suite, reconnu l'imputabilité au service des arrêts de maladie postérieurs à l'incident et réintégré l'agent dans ses précédentes fonctions, relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas annulé la décision litigieuse du 15 avril 2015 en ce qu'elle refusait de faire droit à sa demande de diffusion d'un communiqué interne le réhabilitant aux yeux du personnel du centre hospitalier ; que, par la voie de l'appel incident, le centre hospitalier de Dreux demande l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a partiellement annulé la décision contestée du 15 avril 2015 de refus de la protection fonctionnelle ;

Sur la légalité de la décision du 15 avril 2015 :

2. Considérant que la décision contestée expose les circonstances de droit et de fait qui la fondent ; que, par suite, elle est suffisamment motivée ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, dans sa rédaction applicable en l'espèce, issue de la loi du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit : « Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le Code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire. […] La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté […]. » ; que ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général ; que cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis ; que la mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre ; qu'il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce ;

4. Considérant que, par un courrier en date du 16 mars 2015, M. A…, se prévalant des dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, a sollicité de son employeur « un communiqué général [le] réhabilitant aux yeux du personnel du centre hospitalier et de [ses] collègues » ; que, toutefois, dans les circonstances de l'espèce, l'abandon de la procédure disciplinaire décidée par le directeur du centre hospitalier après que le conseil de discipline eut estimé que les faits reprochés à M. A… n'étaient pas établis a assuré à celui-ci une protection suffisante et appropriée contre les accusations dont il avait fait l'objet ; que, par suite, la directrice du centre hospitalier, en rejetant la demande de M. A… de diffusion d'un communiqué interne le réhabilitant, n'a pas méconnu les dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ;

5. Considérant que, par le même courrier du 16 mars 2015, M. A… a également demandé à son employeur, au titre de la protection fonctionnelle la prise en charge des frais et honoraires de l'avocat auquel il a dû faire appel pour l'assister dans la procédure engagée contre l'usagère de l'hôpital ayant proféré les accusations retenues dans un premier temps contre lui par le centre hospitalier ; que le centre hospitalier demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a annulé le refus opposé par son directeur à cette demande ; que, cependant, il ressort des pièces du dossier qu'aucune faute personnelle, au demeurant non exonératoire de l'obligation de protection reposant au cas d'espèce sur l'employeur, ne saurait être retenue contre M. A…, dès lors que la matérialité du comportement fautif qui lui a été initialement imputé n'a jamais été établie ; que, par ailleurs, la réalité des poursuites engagées par M. A… avec l'appui d'un avocat est établie par les dernières pièces versées au dossier ; que, par suite, comme l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, le centre hospitalier devait, sur le fondement des dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, porter assistance à M. A… dans l'exercice de ces poursuites ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A… n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans, qui n'a pas statué au-delà des conclusions dont il a été saisi, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 15 avril 2015 lui refusant la diffusion d'un communiqué interne de réhabilitation ; qu'il résulte également de ce qui précède que le centre hospitalier de Dreux n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, le tribunal a annulé la décision du 15 avril 2015 en tant qu'elle a refusé à M. A… une assistance dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il avait entreprises pour se défendre des accusations portées contre lui ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 741-2 du Code de justice administrative :

7. Considérant qu'aux termes de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 rendu applicable par l'article L. 741-2 du Code de justice administrative : « Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. / Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts […]. » ;

8. Considérant que les passages dont M. A… demande la suppression, qui relèvent de l'argumentation du centre hospitalier de Dreux, n'excèdent pas le droit à la libre discussion et ne présentent pas un caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire au sens des dispositions précitées ; que, par suite, les conclusions tendant à leur suppression doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative :

9. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les demandes présentées par M. A… et par le centre hospitalier de Dreux sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A… est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées devant la cour par le centre hospitalier de Dreux sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B… A…et au centre hospitalier de Dreux.

CAA Nantes, M. A…, 13 avril 2018, n° 16NT02217

II – COMMENTAIRE

Les décisions de justice concernant des cas de protection fonctionnelle sont suffisamment rares pour que celle rendue par la cour administrative d'appel de Nantes le 13 avril 2018 nécessite toute notre attention (« La protection fonctionnelle », FDH n° 341, p. 5245, disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com).

Les faits étaient les suivants : un agent de maîtrise, exerçant les fonctions de chef du service de sécurité incendie, avait été suspendu provisoirement par la direction de l'établissement au motif qu'il était suspecté d'avoir tenté d'embrasser contre sa volonté une usagère de l'hôpital. Toutefois, le conseil de discipline a estimé que les faits n'étaient pas formellement établis et avait proposé de ne pas sanctionner l'agent. Suivant cet avis, l'autorité disciplinaire n'a prononcé aucune sanction contre l'agent de maîtrise. Par la suite, l'agent avait sollicité son administration pour la prise en charge de ses frais de défense dans une instance judiciaire dirigée contre l'usagère ayant porté des accusations contre lui. La direction de l'établissement avait refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle. Il avait aussi demandé la diffusion d'un communiqué interne au sein de l'établissement afin de le réhabiliter vis-à-vis du personnel. Ses demandes avaient été rejetées par son employeur. En première instance, le tribunal administratif d'Orléans avait fait partiellement droit à sa demande de protection fonctionnelle estimant que celle-ci devait être limitée à une assistance en cas de procédure pénale.

L'agent avait interjeté appel puisqu'il n'avait été fait droit que de manière partielle à sa demande et, de son côté, l'établissement avait formé un appel incident contre le jugement des premiers juges.

La cour administrative d'appel de Nantes confirme le jugement rendu par le tribunal administratif d'Orléans. Deux enseignements sont à retenir de l'arrêt rendu le 13 avril 2018.

En premier lieu, l'obligation de protection pesant sur l'établissement à l'égard de tout agent accusé ou menacé ne s'étend pas à la diffusion d'un communiqué réhabilitant l'agent. Autrement dit, sur la base de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 relatif à la protection fonctionnelle pour tout agent public, il n'est pas possible de demander à l'autorité hiérarchique la diffusion d'un communiqué interne aux fins de réhabilitation à l'égard des personnels. Les termes employés par le juge d'appel sont très clairs : « Dans les circonstances de l'espèce, l'abandon de la procédure disciplinaire décidé par le directeur du centre hospitalier après que le conseil de discipline eut estimé que les faits reprochés à M. A… n'étaient pas établis à assurer à celui-ci une protection suffisante et appropriée contre les accusations dont il avait fait l'objet, que par suite, la directrice du centre hospitalier, rejetant la demande de M. A… de diffusion d'un communiqué interne le réhabilitant, n'a pas méconnu les dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983. » Précisons que la loi du 20 avril 2016 a, en modifiant la suspension du fonctionnaire, prévue par l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, permis de rétablir l'agent dans ses fonctions en cas de non-lieu, relaxe, acquittement ou mise hors de cause, tout en offrant à ce dernier la publicité du procès-verbal dudit rétablissement (voir décret du 24 août 2016).

En second lieu, l'autre enseignement est le rappel fait par la cour administrative d'appel de Nantes au sujet de la prise en charge des frais et honoraires engagés par l'agent pour sa défense. En effet, l'obligation de protection fonctionnelle due à l'agent concerne tous les frais qui sont engagés dans l'exercice de poursuite contre la personne qui a porté les accusations ou les menaces. À noter que le juge d'appel souligne l'absence de faute personnelle de l'agent. Pour cette raison, la direction de l'établissement ne pouvait pas refuser à l'agent la protection fonctionnelle pour l'assister dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il avait entreprises pour se défendre des accusations portées contre lui. En revanche, lorsque les menaces proférées contre l'agent n'ont pas une origine professionnelle mais sont animées par un mobile personnel, la protection fonctionnelle n'est pas due à l'agent (CAA Douai, 21 décembre 2017, n° 16DA00539, FJH n° 022, 2018, p. 111, disponible sur www.hopitalex.com).