Le refus illégal du Gouvernement de prendre un décret pour définir les modalités d’application de l’article 93 (concernant la suppression d’un emploi) de la loi n° 86-33 du 19 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière

  • Conseil d'État CFDT Santé sociaux 92 25/10/2017 - Requête(s) : 405239

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT

1. Considérant qu'en vertu de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre « assure l'exécution des lois » et « exerce le pouvoir réglementaire » sous réserve de la compétence conférée au président de la République par l'article 13 de la Constitution ; que l'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect des engagements internationaux de la France y ferait obstacle ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 92 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : « Un emploi ne peut être supprimé dans un établissement qu'après avis du comité technique paritaire. / Lorsque des suppressions d'emplois sont envisagées dans plusieurs établissements d'une même région, la suppression effective de ces emplois ne peut intervenir qu'après consultation, par le représentant de l'État dans la région, des assemblées délibérantes et des directeurs des établissements concernés ainsi que des organisations syndicales représentatives » ; qu'aux termes de l'article 93 de la même loi : « Lorsque l'établissement ne peut offrir au fonctionnaire dont l'emploi est supprimé un autre emploi correspondant à son grade et si l'intéressé ne peut pas prétendre à une pension de retraite à jouissance immédiate et à taux plein, le fonctionnaire bénéficie […] d'une priorité de recrutement sur tout emploi correspondant à son grade et vacant dans l'un des établissements mentionnés à l'article 2, sous réserve des dispositions du premier alinéa de l'article 55. / L'autorité administrative compétente de l'État propose au fonctionnaire, dans un délai et selon un ordre de priorité géographique fixés par décret en Conseil d'État, trois emplois vacants correspondant à son grade. Lorsque l'intéressé a accepté l'un des emplois qui lui ont été proposés, l'autorité investie du pouvoir de nomination de l'établissement concerné est tenue de procéder à son recrutement à la demande de l'autorité administrative compétente de l'État. / Pendant cette période, le fonctionnaire reçoit de son établissement d'origine sa rémunération principale. Cette prise en charge cesse lorsque le fonctionnaire a reçu une nouvelle affectation ou a refusé le troisième poste proposé et, en tout état de cause, six mois après la suppression d'emploi. Le fonctionnaire est alors licencié. Toutefois, s'il le souhaite, il peut, à sa demande, être mis en disponibilité. Dans ce cas […], il bénéficie d'une priorité de recrutement sur le premier emploi correspondant à son grade et devenu vacant dans son établissement d'origine. / Le décret en Conseil d'État visé au deuxième alinéa fixe également les conditions d'application de cet article et notamment le délai de réflexion laissé au fonctionnaire dont l'emploi a été supprimé pour accepter ou refuser un poste ou pour demander sa mise en disponibilité » ; qu'aux termes de l'article 94 : « Lorsqu'il ne peut prétendre à une pension de retraite à jouissance immédiate et à taux plein, le fonctionnaire licencié en vertu de l'article 93 reçoit une indemnité en capital, égale à un mois de traitement par année de service validée pour la retraite » ; qu'enfin, l'article 95 prévoit qu'un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application des articles 92 à 94 ;

3. Considérant que si l'application des dispositions précitées des articles 92 et 94 de la loi du 9 janvier 1986, relatives aux consultations préalables aux suppressions d'emplois et à l'indemnité en capital due aux fonctionnaires hospitaliers licenciés en raison de la suppression de leur emploi et ne pouvant prétendre à une pension de retraite avec entrée en jouissance immédiate, n'implique pas nécessairement que des dispositions réglementaires soient prises, il en va autrement de la mise en œuvre des dispositions de l'article 93, qui exige que le pouvoir réglementaire fixe le délai dans lequel le fonctionnaire dont l'emploi est supprimé se voit proposer trois autres emplois, l'ordre de priorité géographique selon lequel ces propositions lui sont faites et le délai de réflexion dont il dispose ; qu'à la date à laquelle le Premier ministre a rejeté implicitement la demande tendant à ce que soit pris le décret en Conseil d'État prévu aux articles 93 et 95 de la loi dont le syndicat départemental CFDT des services de santé et des services sociaux des Hauts-de-Seine et Mme B… A… l'avaient saisi le 14 septembre 2016, le délai raisonnable dont le pouvoir réglementaire disposait pour définir les modalités d'application de l'article 93 de la loi était expiré ; qu'il suit de là que la décision implicite est illégale et doit être annulée en tant qu'elle concerne la détermination des modalités d'application de cet article ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du Code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution » ; que l'annulation du refus du Premier ministre de définir les modalités d'application de l'article 93 de la loi du 9 janvier 1986 implique nécessairement qu'un décret soit pris à cette fin ; qu'il y a lieu d'enjoindre au Premier ministre de prendre ce décret dans un délai de six mois ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative, le versement au syndicat départemental CFDT des services de santé et des services sociaux des Hauts-de-Seine et à Mme A… de la somme de 1 500 euros chacun qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé de prendre un décret pour définir les modalités d'application de l'article 93 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre, dans un délai de 6 mois à compter de la notification de la présente décision, le décret en Conseil d'État nécessaire à l'application de l'article 93 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986.

Article 3 : L'État versera au syndicat départemental CFDT des services de santé et des services sociaux des Hauts-de-Seine et à Mme B… A… la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à au Syndicat départemental CFDT des services de santé et des services sociaux des Hauts-de-Seine, à Mme B… A…, au Premier ministre, au ministre de l'Action et des Comptes publics et à la ministre des Solidarités et de la Santé.

CE, CFDT Santé sociaux 92, 25 octobre 2017, n° 405239

II – COMMENTAIRE

L'arrêt rendu par le Conseil d'État le 25 octobre 2017 confirme une jurisprudence constante selon laquelle le Gouvernement dispose d'un délai raisonnable pour prendre le décret d'application d'un article de loi.

Une fois ce délai raisonnable expiré, tout refus de l'administration centrale de prendre des mesures réglementaires est jugé illégal.

Tel est précisément le cas en l'espèce.

En effet, dans cette affaire jugée par la haute juridiction administrative, le Syndicat départemental CFDT des services de santé et des services sociaux des Hauts-de-Seine avait demandé au Premier ministre de prendre un décret pour définir les modalités d'application de l'article 93 de la loi n° 86-33.

En l'absence de réponse explicite, le syndicat CFDT avait saisi le Conseil d'État pour demander l'annulation de la décision implicite de rejet.

Les juges du Palais Royal firent droit à la requête au motif que « le délai raisonnable dont le pouvoir réglementaire disposait est expiré pour définir les modalités d'application de l'article 93 de la loi n° 86-33 ».

Rappelons que la loi date du 19 janvier 1986 prévoit un décret d'application et il n'est pas besoin d'insister beaucoup pour comprendre que le délai raisonnable dont dispose le pouvoir réglementaire pour prendre des mesures réglementaires d'application d'un dispositif législatif était largement expiré.

Rappelons également que les mesures réglementaires en question concernent la suppression d'emploi visée par l'article 93 de la loi susvisée de 1986.

Précisément, le décret en question qui n'a toujours pas été édicté par le Gouvernement concerne le délai de réflexion qui est laissé aux fonctionnaires dont l'emploi est supprimé pour accepter ou refuser un poste ou pour demander sa mise en disponibilité.

Non seulement la décision implicite par laquelle le Gouvernement a refusé de prendre un décret pour définir les modalités d'application de l'article 93 a été jugée illégale mais en plus le Conseil d'État a enjoint au Premier ministre de prendre, dans un délai de 6 mois à compter de la notification de l'arrêt, le décret en Conseil d'État nécessaire de l'article 93 précité.

Affaire à suivre donc …