Le retrait de responsabilité d’un PH-PU n’est pas une mesure d’ordre intérieur car elle lui fait grief

  • Conseil d'État Dame… A… c/ CHR de Lille 07/10/2015 - Requête(s) : 373036377037

I - LE TEXTE DE L'ARRÊT


1. Considérant que les pourvois visés ci-dessus présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;


2. Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, par une décision du 20 mai 2010, le président de l'université de Lille 2 a retiré à Mme A…, professeur des universités-praticien hospitalier, la responsabilité de l'animation de la sous-section d'odontologie pédiatrique de la faculté de chirurgie dentaire ; que, par une décision du 14 juin 2010, le responsable du pôle de spécialités chirurgie et odontologie du centre hospitalier régional universitaire de Lille lui a, en conséquence, retiré sa responsabilité de référente de l'unité d'activité médicale clinique d'odontologie pédiatrique ; qu'à la suite de ces décisions, Mme A… a demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle, qui lui a été refusé, d'une part, par deux décisions du 21 juillet 2010 du président de l'université de Lille 2 et du 4 novembre 2010 du conseil d'administration de cette université et, d'autre part, par une décision du 26 août 2010 du directeur du centre hospitalier régional universitaire de Lille, qui a également rejeté son recours hiérarchique dirigé contre la décision du 14 juin 2010 ; que le tribunal administratif de Lille a, par deux jugements du 27 novembre 2013, annulé pour incompétence la décision du 4 novembre 2010 du conseil d'administration de l'université, mais a rejeté les demandes de Mme A… dirigées contre les autres décisions ; que Mme A… se pourvoit en cassation contre ces jugements en tant qu'ils ont rejeté ses demandes ;


Sur les jugements en tant qu'ils statuent sur les décisions relatives à l'activité professionnelle de Mme A… :


3. Considérant que les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours ; qu'il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération ; que le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination, est irrecevable ;


4. Considérant qu'il ressort des termes des jugements attaqués que, pour retenir que la décision du 20 mai 2010 retirant à Mme A… la responsabilité de l'animation et de la coordination des enseignements au sein de la sous-section d'odontologie pédiatrique de la faculté de chirurgie dentaire de l'université de Lille 2 et la décision du 14 juin 2010 lui retirant la responsabilité de référent de l'unité d'activités médicales cliniques d'odontologie pédiatrique du centre hospitalier régional universitaire de Lille revêtaient le caractère de mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours, le tribunal s'est fondé sur les seules circonstances que ces décisions n'avaient pas modifié la rémunération de Mme A…, n'avaient pas porté atteinte à son statut de professeur des universités-praticien hospitalier et n'avaient porté aucune atteinte à ses perspectives de carrière ou à une garantie attachée au déroulement de sa carrière ;


5. Considérant, d'une part, qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 ci-dessus qu'en ne prenant pas en compte, pour apprécier le caractère d'acte faisant grief des décisions attaquées, la perte de responsabilité dont la requérante faisait état devant lui, le tribunal administratif a entaché ses jugements d'erreurs de droit ; que, d'autre part, il ressort des pièces des dossiers soumis au tribunal que ces décisions comportaient l'une et l'autre une diminution sensible des attributions et des responsabilités exercées par Mme A…, respectivement, au sein de la faculté de chirurgie dentaire de l'université de Lille 2 et au sein du centre hospitalier régional universitaire de Lille ; que, par suite, en jugeant qu'elles avaient le caractère de simples mesures d'ordre intérieur ne faisant pas grief, le tribunal administratif a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois relatifs à ces décisions, ses jugements doivent être annulés en tant qu'ils statuent sur ces décisions et sur la décision du 26 août 2010 du directeur du centre hospitalier régional universitaire de Lille en tant qu'il rejette le recours hiérarchique de Mme A… dirigé contre la décision du 14 juin 2010 ;


Sur les jugements en tant qu'ils statuent sur les décisions refusant à Mme A… le bénéfice de la protection fonctionnelle :


6. Considérant que le moyen tiré de ce que les décisions de refus de protection fonctionnelle ont été prises dans l'intention de sanctionner la requérante est nouveau en cassation et ne peut, dès lors, qu'être écarté ;


7. Considérant que, pour rejeter les demandes de Mme A…, le tribunal administratif a estimé, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, que l'intéressée n'apportait pas à l'appui de ses dires un faisceau d'indices suffisamment probants pour faire présumer l'existence du harcèlement moral dont elle se disait victime ; que c'est également par une appréciation souveraine des pièces des dossiers qui lui étaient soumis et exempte de dénaturation que le tribunal administratif a retenu que Mme A… n'avait pas fait l'objet d'autres faits d'agressions verbales que ceux survenus le 20 mars 2008 ; qu'il n'a pas non plus commis d'erreur de droit en refusant de prendre en compte des faits postérieurs à la décision attaquée pour apprécier la légalité de celle-ci ; 


8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A… n'est pas fondée à demander l'annulation des jugements attaqués en tant qu'ils rejettent ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 21 juillet 2010 du président de l'université de Lille 2 et de la décision du 26 août 2010 du directeur du CHRU de Lille en tant qu'elle lui refuse le bénéfice de la protection fonctionnelle ; 


Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative :


9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'université de Lille 2 et du CHRU de Lille la somme de 1 500 euros chacun au titre de ces dispositions ; qu'en revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme A…, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; 


DÉCIDE :


Article 1er : Le jugement n° 1102392 du 27 novembre 2013 du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il rejette, d'une part, la demande d'annulation de la décision du 14 juin 2010 du responsable du pôle des spécialités chirurgicales et d'odontologie du centre hospitalier régional universitaire de Lille et, d'autre part, la demande d'annulation de la décision du 26 août 2010 du directeur du CHRU de Lille en tant qu'elle rejette son recours hiérarchique contre la précédente décision.


Article 2 : Le jugement n° 1102389 du 27 novembre 2013 du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il rejette la demande d'annulation de la décision du 20 mai 2010 du président de l'université de Lille 2.


Article 3 : Les affaires sont renvoyées dans cette mesure au tribunal administratif de Lille.


Article 4 : L'université de Lille 2 et le centre hospitalier régional universitaire de Lille verseront chacun à Mme A… la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.


Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par Mme A… et les conclusions présentées par l'université de Lille 2 et le centre hospitalier régional universitaire de Lille au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetés.


Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme B… A…, à l'université de Lille 2 et au centre hospitalier régional universitaire de Lille.


CE, Dame A… c/ CHR de Lille, 7 octobre 2015, n° 377036 et 377037



II - COMMENTAIRE


Les mesures d'ordre intérieur sont des actes d'administration qui se rapportent uniquement à l'organisation interne et sont jugés indignes du recours en légalité en raison même de la médiocrité de ses applications (Henri Rolland, Laurent Boyer, Adages du droit français, 3e éd., Litec, 1992, p. 154 et s.).


L'examen de la jurisprudence permet de définir les mesures d'ordre intérieur comme des décisions qui sont soit trop peu importantes pour le justiciable, soit des mesures dont le plaignant a peu intérêt à les contester tant elles sont évidentes pour la bonne réalisation du commandement (cf. CLÉMENT (Cyril), CLÉMENT (Jean-Marie), Chroniques de contentieux hospitalier. Notions pratiques de contentieux hospitalier, chroniques de jurisprudence hospitalière, Bordeaux, LEH Édition, 2010 (v. numérique 2011), Pratiques professionnelles., p. 93 et s.).


La jurisprudence va examiner cas par cas si la décision attaquée est ou non une mesure d'ordre intérieur : le juge se réserve le droit d'opportunité pour prendre sa décision ; c'est dire que le recours à la qualification de mesure d'ordre intérieur par le juge administratif s'est fortement restreint ces dernières années.


Une mutation d'office d'un service à un autre dans un même établissement (sans déqualification et sans que cela soit pris en considération de la personne) est une mesure d'ordre intérieur qui ne peut faire l'objet d'un sursis à exécution (CAA Paris, Jérent, 21 juin 20012, n° 01PA00020 ; FJH n° 86, novembre 2001, p. 355 et s. Disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com).

Dans cette affaire, la requérante s'est vue retirer la responsabilité de référente de l'unité d'activités médicales cliniques d'odontologie pédiatrique. Comme il s'agit d'un personnel hospitalo-universitaire, c'est d'abord le président de l'université qui lui a retiré l'animation de la sous-section odontologie pédiatrique de la faculté de chirurgie dentaire. Puis, par homothétie, le responsable du pôle de spécialité chirurgie et odontologie du CHR lui a, à son tour, retiré sa responsabilité de référente de l'unité médicale clinique et d'odontologie pédiatrique. Le Conseil d'État a fait droit à la demande d'annulation du jugement du tribunal administratif de Lille pour inexacte qualification des faits qui lui étaient déférés. En effet, les juges ont omis de considérer la perte de responsabilité de la requérante qui est un motif faisant grief et donc de nature à rejeter la qualification en mesure d'ordre intérieur.


Le Conseil d'État rappelle que toute mesure est dite d'ordre intérieur, c'est-à-dire injustifiable d'un recours en légalité devant le juge administratif, si :


1. Elle ne porte pas atteinte aux droits et prérogatives venant du statut de l'intéressé ;

2. Elle n'emporte aucune perte de responsabilité ou de rémunération.

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