Seule la faute personnelle détachable des fonctions d'un fonctionnaire relève de la juridiction judiciaire

  • tribunal des conflits 15/06/2015 - Requête(s) : C4007

I LE TEXTE DE L'ARRÊT

Considérant que la réparation de dommages causés par un agent public peut être demandée au juge judiciaire lorsqu'ils trouvent leur origine dans une faute personnelle de cet agent, au juge administratif lorsqu'ils trouvent leur origine dans une faute non détachable du service ou encore à l'un et l'autre des deux ordres de juridiction lorsqu'ils trouvent leur origine dans une faute qui, bien que personnelle, n'est pas dépourvue de tout lien avec le service ; qu'il en va ainsi indépendamment de la personne contre laquelle l'action est engagée ; qu'il appartient seulement à la juridiction compétemment saisie de rejeter l'action portée devant elle si elle l'estime mal dirigée ;

Considérant que M. C. demande réparation des dommages imputables à la participation irrégulière de Mme D., contrôleur du travail, aux travaux de la commission de classification des œuvres cinématographiques lors du visionnage d'un film qu'il avait réalisé ainsi qu'à la rédaction par ce contrôleur d'un rapport, dont la transmission au procureur de la République a par ailleurs donné lieu à une action portée devant la juridiction civile, sur laquelle il a été statué par jugement du 28 février 2013, relatif aux conditions irrégulières d'emploi de mineurs lors du tournage de ce film ; qu'un tel litige, relatif à des agissements d'un fonctionnaire qui ne sont pas détachables du service, relève, alors même que l'action en responsabilité n'aurait été dirigée qu'à l'encontre du fonctionnaire pris en sa qualité de personne privée comme l'a relevé le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil dans son ordonnance, de la compétence de la juridiction administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : La juridiction de l'ordre administratif est compétente pour connaître du litige opposant M. C. à Mme D.

Article 2 : L'ordonnance du 12 janvier 2015 du juge des référés du tribunal administratif de Montreuil est déclarée nulle et non avenue. La cause et les parties sont renvoyées devant ce tribunal.

Article 3 : La procédure suivie devant le tribunal d'instance de Nîmes est déclarée nulle et non avenue, à l'exception du jugement rendu par ce tribunal le 23 septembre 2014.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A. C., à Mme B. D. et au ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social.

TC, n° C 4007, 15 juin 2015

II COMMENTAIRE

Le Tribunal des conflits, comme son nom l'indique, composé à parité de membres du Conseil d'État et de membres de la Cour de cassation, a été créé pour permettre aux justiciables de connaître la juridiction soit administrative soit judiciaire vers laquelle son affaire sera jugée. La saisine du Tribunal des conflits est l'œuvre du préfet sollicité par une administration qui conteste l'orientation judiciaire : cela s'appelle la déclinaison de compétence, ou va geler le recours devant la juridiction dite judiciaire (par exemple conseil des prud'hommes dans le cadre d'un conflit du travail entre un contractuel et son employeur) ; parfois, c'est le tribunal administratif qui sollicitera le Tribunal des conflits pour que ce dernier détermine la juridiction compétente. C'est le cas ici dans cette affaire où le tribunal d'instance de Nîmes a déclaré la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente pour connaître d'un litige alors que le ministre du Travail soutenait le contraire au motif que les agissements d'un agent public sont attachés au service public sauf si le caractère de l'acte est considéré comme détachable du service.

La décision porte sur la nature de la faute du fonctionnaire. Bien évidemment, toute faute est personnelle mais lorsqu'elle est en lien avec le service, c'est à ce dernier qu'appartient la réparation s'il y a lieu. Alors le juge administratif va créer la notion de faute personnelle détachable du service pour juger que le dédommagement appartient en propre au fonctionnaire (CE, arrêts Laruelle et Delville, 1951 : dans ce cas, l'administratif militaire avait été condamnée à réparer les conséquences des dommages accidentels dus à des soldats qui avaient subtilisé un véhicule pour partir en goguette ; mais le juge administratif a décidé que l'administration militaire était en droit d'exercer une action récursoire pour faire prendre en charge par les soldats en permission irrégulière tout ou partie des réparations que l'État avait versées aux malheureuses victimes).

Dans cette affaire, le fonctionnaire, en tant que contrôleur du travail, avait participé au visionnage d'un film de façon, semble-t-il, irrégulière : elle n'était pas membre de la commission de visionnage. Or, au cours de ce visionnage, le contrôleur a relevé la participation illégale de personnes mineures. Si la participation du contrôleur était irrégulière, le fait n'était pas sans rapport avec sa mission de contrôleur du travail et, à ce titre, ne peut être détachée de l'administration à laquelle il appartient. Le Tribunal des conflits conclut à la compétence de la juridiction administrative alors même que la partie adverse avait attaqué devant le juge judiciaire le fonctionnaire pour ses agissements.