En vertu d’une stérilisation par une ligature des trompes à l’issue d’une quatrième césarienne, la requérante ne peut avancer une faute du service public hospitalier, même si le délai de quatre mois imposé en la circonstance n’a pu être respecté

  • Cour administrative d'appel Bordeaux Dame X… c/ CH Gabriel Martin à Saint-Paul-de-la-Réunion 06/10/2015 - Requête(s) : 13BX03265

I – LE TEXTE DE L'ARRȆT

1. Mme A… a subi, le 6 mars 2008, au centre hospitalier Gabriel Martin à Saint-Paul, une stérilisation tubaire, pratiquée selon la méthode Pomeroy, à l'occasion de son accouchement par césarienne. Cependant, seize mois plus tard, une échographie a révélé une grossesse de huit semaines. Elle a alors eu recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG). Estimant la responsabilité de l'hôpital engagée du fait de l'échec de l'opération de stérilisation, elle a demandé la condamnation de l'établissement à l'indemniser des préjudices en résultant, notamment de celui constitué par la douleur morale subie du fait de l'obligation d'avoir recours à une IVG malgré ses convictions religieuses. Par jugement du 12 septembre 2013, le tribunal administratif de Saint-Denis a rejeté sa demande ainsi que les conclusions qu'avait présentées la caisse générale de sécurité sociale de La Réunion (CGSSR) tendant au remboursement de ses débours. Mme A… relève appel de ce jugement.

Sur la responsabilité du centre hospitalier du fait d'un acte chirurgical fautif :

2. D'après le rapport de l'expertise effectuée en exécution de l'ordonnance du 2 août 2010 du juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis, sur lequel ce tribunal s'est appuyé pour rendre son jugement du 12 septembre 2013, la réalisation d'une ligature des trompes à visée contraceptive était justifiée, ainsi que son exécution dans le prolongement de la césarienne qui avait dû être pratiquée pour l'accouchement de Mme A… L'expert estime également que le choix de la méthode Pomeroy pour cette intervention n'appelle aucune critique et qu'aucun geste chirurgical inapproprié n'a été commis à l'occasion de cette intervention. Il indique aussi que le suivi postopératoire a été assuré dans des conditions satisfaisantes. Il rappelle, enfin, qu'une ligature des trompes, même réalisée dans des conditions conformes aux données acquises de la science médicale, n'aboutit pas à sa visée contraceptive dans une proportion de 0,5 à 1 % des cas.

3. Pour Mme A…, l'expert n'a pas pu se prononcer en toute connaissance de cause en raison de ce que sa stérilisation tubaire n'a pas fait l'objet d'un compte rendu opératoire détaillé et distinct de celui de la césarienne qui a été pratiquée juste avant cette intervention. Toutefois, elle n'apporte elle-même aucune précision sur les éventuelles lacunes du compte rendu qui permettraient de mettre en doute le rapport de l'expertise. Elle fait état des résultats d'un examen médical de contrôle de la perméabilité tubaire (hystérosalpingographie), pratiqué en 2012 qui démontreraient que la ligature des trompes n'a pas été exécutée conformément aux données acquises de la science médicale ou n'a pas été exécutée du tout. Cependant, si ces résultats font état de l'existence d'une perméabilité, établissant l'échec de l'intervention, que personne ne conteste, il n'en ressort pas que cet échec serait nécessairement dû à une mauvaise exécution de la ligature des trompes. Enfin, Mme A… n'apporte aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé à l'appui de son affirmation selon laquelle le seul fait que les praticiens du centre hospitalier ne l'ont pas soumise à des contrôles permettant de s'assurer du succès de l'intervention révélerait un manquement à leur obligation de surveillance et de suivi.

4. Dans ces conditions, Mme A… n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Saint-Denis a estimé qu'aucune faute dans le choix, l'exécution et le suivi de l'acte chirurgical ne pouvait être reprochée au centre hospitalier Gabriel Martin à Saint-Paul.

Sur la responsabilité du centre hospitalier du fait de l'inobservation du délai prévu à l'article L. 2123-1 du Code de la santé publique :

5. L'article L. 2123-1 du Code de la santé publique prévoit que la ligature des trompes à visée contraceptive ne peut être pratiquée sur une personne majeure et qui n'est atteinte d'aucune altération des facultés mentales constituant un handicap ayant justifié son placement sous tutelle ou sous curatelle que dans certaines conditions. En particulier, l'intéressée doit, d'abord, bénéficier d'une information claire et complète, dispensée par un médecin. Ensuite, il ne peut être procédé à l'intervention qu'à l'issue d'un délai de réflexion de quatre mois après la première consultation médicale. Par cet article, le législateur a entendu instituer des règles spéciales, adaptées au caractère particulier des interventions chirurgicales ayant pour objet une stérilisation à visée contraceptive. Ces règles comportent des obligations allant au-delà de celle d'une simple information des patients, notamment sur les risques fréquents ou graves normalement prévisibles d'une intervention, imposée par le premier alinéa de l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique et dont l'absence ou le caractère insuffisant n'ouvrent droit à réparation que dans la mesure où ils sont à l'origine d'une perte de chance d'éviter le dommage qui s'est réalisé.

6. Mme A… ne conteste pas qu'elle a été suffisamment informée. Elle soutient, en revanche, que l'acte chirurgical de ligature des trompes a été pratiqué moins de quatre mois après la consultation au cours de laquelle elle a reçu l'information. Elle estime que ce manquement à l'une des conditions exigées par l'article L. 2123-1 du Code de la santé publique est à l'origine du préjudice qu'elle a subi du fait qu'elle a dû avoir recours à une IVG en raison de l'échec de l'intervention.

7. Les données médicales de la présente affaire ne sont contestées par aucune des parties sur les deux aspects suivants. D'une part, si Mme A… avait dû subir précédemment trois césariennes et avait fait une fausse couche, ni ces antécédents médicaux, ni son intolérance aux autres modes de contraception, n'ôtent à l'intervention son caractère de stérilisation à visée contraceptive. D'autre part, l'IVG à laquelle Mme A… a dû avoir recours malgré ses convictions religieuses, seize mois après avoir subi l'opération de ligature des trompes, constitue, eu égard aux risques encourus, une IVG justifiée par des motifs thérapeutiques.

8. La charge de la preuve de l'existence et du contenu de l'information donnée à Mme A…, ainsi que de la date à laquelle elle a été dispensée, incombe au centre hospitalier Gabriel Martin à Saint-Paul. Celui-ci soutient que la patiente avait déjà bénéficié d'une information sur cette intervention en 2005. Même si Mme A… a pu être informée, à cette époque, le délai qui s'est écoulé depuis lors ne peut pas constituer le délai de réflexion prévu par l'article L. 2123-1 du Code de la santé publique mais doit la faire regarder comme ayant renoncé à subir, cette fois-là et jusqu'à une nouvelle consultation, une stérilisation tubaire. Le seul document produit et relatif à l'information précédant l'intervention porte la date du 17 décembre 2007. C'est donc cette date qui doit être retenue. Comme indiqué au point 1, la ligature des trompes a été réalisée le 7 mars 2008 à l'occasion de son accouchement par césarienne. Ainsi, Mme A… n'a pas bénéficié du délai de réflexion d'au moins quatre mois prévu par l'article L. 2123-1 du Code de la santé publique.

9. Toutefois, les conditions dans lesquelles ce délai a été abrégé doivent être rappelées. Premièrement, la ligature des trompes de Mme A… a été pratiquée dans la continuité de la césarienne qu'elle a dû subir et dont la date ne pouvait, évidemment, pas être retardée. Deuxièmement, ayant bénéficié d'une information claire et complète sur l'intervention et sur ses conséquences, elle a pu exprimer une volonté libre, motivée et délibérée d'y consentir. Troisièmement, elle a tout de même disposé de plus de deux mois et demi pour revenir sur son consentement, ce qu'elle n'a pas fait. Quatrièmement, l'intérêt qu'il y avait à éviter à la patiente d'avoir à subir, plus tard, une intervention chirurgicale à seule fin de procéder à la ligature des trompes qu'elle souhaitait constitue une justification médicale de l'inobservation du délai prévu à l'article L. 2123-1 du Code de la santé publique. Pour ces raisons, les praticiens du centre hospitalier Gabriel Martin à Saint-Paul n'ont commis, en procédant à la ligature des trompes sans attendre l'expiration de ce délai, aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement.

10. Dans ces conditions, Mme A… n'est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Saint-Denis a estimé que le centre hospitalier n'avait pas à réparer le préjudice qu'elle aurait subi du fait d'une perte de chance de l'éviter et a, par le jugement attaqué du 12 septembre 2013, rejeté sa demande.

Sur l'application de l'article L. 761- du Code de justice administrative :

11. Les dispositions de cet article font obstacle à ce que le centre hospitalier Gabriel Martin à Saint-Paul, qui n'est pas la partie perdante dans la présente espèce, soit condamné à verser à Mme A… quelque somme que ce soit au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A… est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C… D… A…, au centre hospitalier Gabriel Martin à Saint-Paul et à la caisse générale de sécurité sociale de La Réunion (CGSSR).

CAA Bordeaux, Dame X… c/ CH Gabriel Martin à Saint-Paul-de-la-Réunion, 6 octobre 2015, n° 13BX03265

II – LE(S) TEXTE(S) CITÉ(S) RÉFÉRENCE

Article L. 2123-1 du Code de la santé publique

La ligature des trompes ou des canaux déférents à visée contraceptive ne peut être pratiquée sur une personne mineure. Elle ne peut être pratiquée que si la personne majeure intéressée a exprimé une volonté libre, motivée et délibérée en considération d'une information claire et complète sur ses conséquences.

Cet acte chirurgical ne peut être pratiqué que dans un établissement de santé et après une consultation auprès d'un médecin.

Ce médecin doit au cours de la première consultation :

- informer la personne des risques médicaux qu'elle encourt et des conséquences de l'intervention ;

- lui remettre un dossier d'information écrit.

Il ne peut être procédé à l'intervention qu'à l'issue d'un délai de réflexion de quatre mois après la première consultation médicale et après une confirmation écrite par la personne concernée de sa volonté de subir une intervention.

Un médecin n'est jamais tenu de pratiquer cet acte à visée contraceptive mais il doit informer l'intéressée de son refus dès la première consultation.

III – COMMENTAIRE

La requérante conteste le manquement au délai spécifique en la circonstance, de quatre mois avant de consentir à la ligature des trompes à des fins contraceptives. Or, pour des raisons impératives liées à l'obligation de pratiquer une quatrième césarienne chez cette parturiente, le gynécologue-obstétricien a considéré que même en l'absence des quatre mois écoulés entre son information et la ligature des trompes, l'opération de stérilisation devait être effectuée pour éviter à l'intéressée de subir une nouvelle intervention chirurgicale qui aurait pu lui être préjudiciable sur le plan de la santé.

Rappelons que la stérilisation à visée contraceptive relève d'une procédure d'information spécifique prévue à l'article L. 2123-1 du Code de la santé publique.

La ligature des trompes à visée contraceptive ne peut être pratiquée que sur une personne majeure, consentante, par écrit, après un délai de réflexion de quatre mois à l'issue de la première consultation auprès du chirurgien. Ce délai de quatre mois n'a pu être respecté dans le cas de la requérante puisque l'opération de ligature s'est réalisée dans le prolongement de la quatrième césarienne, laquelle a été pratiquée en urgence. Les juges considèrent que le médecin a eu raison de ligaturer les trompes dans ces circonstances d'urgence. En outre, la requérante relève que cette ligature fut un échec puisqu'elle a de nouveau été enceinte et a été obligée de recourir à une interruption volontaire de grossesse malgré ses convictions religieuses. Les juges, fort du rapport des experts, relèvent que la stérilisation par voie tubaire n'a pas un taux de réussite de 100 % et que son échec ne pouvait être mis sur le compte de l'erreur médicale et donc la faute du service public hospitalier.

Cet aspect de la décision de la cour administrative d'appel de Bordeaux peut être discuté car c'est de bonne foi que la requérante, certaine de sa stérilisation par la ligature des trompes, a été obligée de recourir, contre sa conscience, à une IVG. N'est-ce pas un cas de responsabilité sans faute ? Car, que l'on sache, le recours à un avortement, fût-il thérapeutique, reste traumatisant pour une femme qui, de plus, ne le désirait pas.

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