Le courrier aux autorités judiciaires d'un mineur victime de sévices ou de privations est un signalement même s'il est adressé au juge des enfants

Dans cette décision n°472072 du 15 octobre 2024, mentionnée au Recueil, le Conseil d'État était appelé à se prononcer sur la sanction d'avertissement infligée à Mme F..., médecin spécialiste qualifiée en pédopsychiatrie suite à la plainte déposée par le père du mineur qu'elle suivait au motif de  l’immixtion dans les affaires de famille ou dans la vie privée des patients, prévue par l'article R. 4127-51 du code de la santé publique. 

Mme F… avait établi un certificat médical le 1er mars 2016, un courrier en date du 15 mars 2016 envoyé au procureur de la République et un courrier en date du 3 décembre 2018 envoyé à l'un des juges des enfants du tribunal déjà saisi de la situation de l'enfant.

Toute la procédure disciplinaire suivie devant le Conseil de l'ordre a validé cette sanction,  la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins ayant estimé que le signalement effectué par la praticienne, par le dernier courrier du 3 décembre 2018, constituait un manquement à l'obligation de ne pas s'immiscer sans raison professionnelle dans les affaires de famille ou dans la vie privée des patients, prévue par l'article R. 4127-51 du code de la santé publique.

Le Conseil d'État ne l'entend pas ainsi et expose que ce courrier constituait un signalement aux autorités judiciaires au sens des dispositions de l'article R. 4127-44 du code de la santé publique qui dispose : 

Lorsqu'un médecin discerne qu'une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection.

Lorsqu'il s'agit d'un mineur ou d'une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience.

Les autorités judiciaires concernés ne sont pas précisées ici mais à l'article 226-14 du code pénal qui précise, dans son 2°, que le médecin ou tout autre professionnel de santé peut porter “à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être […] les sévices, maltraitances ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises." En ce cas, la responsabilité disciplinaire du médecin ne peut être engagée pour ce motif, sauf à ce qu'il soit établi qu'il a agi de mauvaise foi. 

Mme F… avait transmis le courrier au juge des enfants. 

Le CE considère que, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, liées au conflit aigu entre le père de l'enfant suivi et Mme F… et le risque imminent de rupture des soins médicaux dont bénéficiait l'enfant, ce signalement ne constitue pas un manquement aux obligations déontologiques résultant des articles R. 4127-28 et R. 4127-51 du code de la santé publique.

Il est dans le droit fil de sa précédente décision du 19 mai 2021 (CE, 19 mai 2021, Mme C…, n° 431352, FJH n°071, p.289, 2021) portant sur des faits similaires. En l'espèce, un médecin spécialiste qualifiée en psychiatrie avait rédigé en moins d'une année trois signalements relatifs au même jeune patient, les deux premiers étant adressés au juge des enfants d'ores et déjà saisi, en application de l'article 375 du Code civil, de la situation de ce mineur et le dernier étant adressé au procureur de la République avec copie au même juge des enfants. Le CE avait retenu qu'en se fondant sur cette seule circonstance pour juger qu'il devait être infligé à Mme C…, pour avoir méconnu l'obligation déontologique de secret professionnel, la sanction de l'interdiction d'exercer la médecine pendant une durée d'un mois, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a inexactement apprécié les faits qui lui étaient soumis. Le Conseil d'État a réitéré cette position dans sa décision n° 448646 du 30 mai 2022 où il annule la sanction infligée à une pédopsychiatre ayant adressé, un deux signalements au procureur de la République ainsi qu'au président du conseil général compétent et au juge des enfants, déjà saisi de la situation de l'enfant. 

Cependant, au cas d'espèce, Mme F… avait rédigé d'autres courriers, que le CE a également analysé pour conclure qu'elle a méconnu les obligations déontologiques résultant des articles R. 4127-28 du code de la santé publique, relatif à la délivrance d'un rapport tendancieux ou d'un certificat de complaisance, et R. 4127-51 du même code, relatif à l'immixtion sans raison professionnelle dans les affaires de famille et dans la vie privée des patients en rédigeant le certificat médical du 1er mars 2016 sans avoir "personnellement observer la situation de " violence intrafamiliale extrême “, à la fois physique et morale, qu'elle mentionne dans ce certificat”. Ce manquement fonde la sanction de l'avertissement.

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