Exclusion de fonction et référé-suspension : le CE rappelle les conditions de l'urgence et le droit de se taire s'immisce dans le débat

Dans sa décision n°492519 du 18 décembre 2024, le Conseil d'État rappelle ce que signifie l'urgence dans le cadre du référé-suspension.

En l'espèce, le président du conseil départemental de l'Oise a prononcé à l'encontre de M. B... une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux ans, assortie d'un sursis d'un an. L'intéressé a saisi le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens d'une demande tendant à obtenir la suspension de cette décision. Par ordonnance du 26 février 2024, sa requête a été rejetée.

Le Conseil d'État accueille, à l'inverse, le pourvoi et en profite pour y glisser le tout récent droit de se taire.

Il juge que la “mesure prise à l'égard d'un agent public ayant pour effet de le priver de la totalité de sa rémunération doit, en principe, être regardée, dès lors que la durée de cette privation excède un mois, comme portant une atteinte grave et immédiate à la situation de cet agent, de sorte que la condition d'urgence doit être regardée comme remplie, sauf dans le cas où son employeur justifie de circonstances particulières tenant aux ressources de l'agent, aux nécessités du service ou à un autre intérêt public, qu'il appartient au juge des référés de prendre en considération en procédant à une appréciation globale des circonstances de l'espèce.”

L'administration n'ayant pas fait état de circonstances particulières, la condition d'urgence est ainsi remplie.

De plus, M. B… exposait "qu'il n'a pas été informé de son droit de se taire lors de sa comparution devant le conseil de discipline, alors que ses déclarations étaient susceptibles d'être utilisées à son encontre" ce qui amène le CE à considérer que ce moyen est, “en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cette décision.

Pour rappel, le droit de se taire a été consacré en matière disciplinaire par plusieurs décisions du Conseil constitutionnel (décision n°2023-1074 QPC du 8 décembre 2023 ; décision n°2024-1097 QPC du 26 juin 2024décision n°2024-1105 QPC du 4 octobre 2024FJH n°081, p.359, 2024) et retenu également par la CAA de Paris dans un arrêt du 2 avril 2024 (FJH n°041, p.183, 2024) : “le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire”.

Le CE avait initialement circonscrit le principe à la procédure pénale (arrêt n°473249 du 23 juin 2023). Depuis, par deux décisions du 19 décembre 2024 (n°490157, FJH n°005, p. 19, 2025 et décision du 19 décembre 2024, n°490952), il a aligné sa position et précisé que :

- l'agent public doit être avisé, avant d'être entendu pour la première fois, qu'il dispose de ce droit pour l'ensemble de la procédure disciplinaire et notamment quand il est ensuite entendu dans le cadre d'une enquête administrative diligentée à son endroit ;

Dans la seconde décision, n°490952, relative à un vétérinaire, le CE a indiqué que “qu'elle dispose de ce droit tant lors de son audition au cours de l'instruction que lors de sa comparution devant la juridiction disciplinaire. En cas d'appel, la personne doit à nouveau recevoir cette information.” 

- lorsqu'un agent sanctionné n'a pas été informé du droit qu'il a de se taire alors que cette information était requise, l'annulation de la sanction ne sera prononcée que s'il ressort du dossier que la sanction “infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressé n'avait pas été informé de ce droit.” 

Dans l'arrêt n°n°490157, le CE a rejeté la requête d'une part parce que la sanction prononcée ne se fonde pas de manière déterminante sur les propos qu'il a tenus dans le cadre de cette enquête de l'Inspection Générale de la Justice, et d'autre part, parce qu'il a été informé de son droit de se taire au regard des questions prioritaires de constitutionnalité en attente de jugement au moment de son audition par le rapporteur désigné par le président de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature.  

La limite est toutefois tracée : “le droit de se taire ne s'applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l'exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l'autorité hiérarchique et par les services d'inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent” (considérant n°3 de l'arrêt).