L’utilisation de témoignages anonymes permet d’établir la matérialité des faits dès lors qu’ils sont concordants et régulièrement recueillis

L'affaire jugée par le Conseil d'État le 28 mars 2024 (n°489092) concerne quatre agents du centre hospitalier Alpes-Isère, ayant fait l’objet de la sanction de révocation, et ainsi, a donné lieu à trois autres décisions identiques (489093, 489097, 489098).

 

En l’espèce, après avoir fait l'objet de la sanction de révocation en raison de faits de violence physique et psychologique à l'encontre de patients vulnérables, un aide-soignant a saisi le tribunal administratif de Grenoble afin d’obtenir la suspension de l'exécution de cette décision. Ce dernier a fait droit à cette demande et a enjoint le centre hospitalier de réintégrer l’agent dans un délai de quinze jours, poussant alors le CH à se pourvoir en cassation. 

 

Le Conseil d’État, saisi en référé suspension, devait donc déterminer si la décision litigieuse devait être suspendue.

 

En premier lieu, il déclare que le centre hospitalier, investi du pouvoir disciplinaire, pouvait légalement infliger à l’agent une sanction sur le fondement de témoignages qu'il a anonymisé, à la demande des témoins, si la communication de leur identité était de nature à leur porter préjudice. En effet, ces derniers souhaitaient conserver leur anonymat en raison « du risque de préjudice qu’ils encouraient ».

Cette solution n’est pas nouvelle. Le juge administratif admet de longue date l’anonymisation des témoignages (Voir notamment : CAA Bordeaux, 07/04/2022, n°19BX04777, FJH n°041, p.169 ; CAA Lyon, 03/02/2015, 14LY00014 et CAA Nantes, 30 juin 2006, n°05NT01650) et, dans un arrêt du 14 janvier 2005 (n° 254108), il n’avait pas retenu le grief fondé sur le caractère anonyme des témoignages justifiant la sanction disciplinaire.

De plus, au vu de l'ensemble des éléments communiqués à l’agent, la haute juridiction considère qu’il n’a ni été privé de la faculté de comprendre les faits qui lui étaient reprochés ni de la garantie d'assurer utilement sa défense. En effet, des comptes rendus exhaustifs « comportant des indications suffisamment précises, notamment sur la teneur des actes, des gestes et propos reprochés et les circonstances dans lesquels ils avaient été commis » ont été communiqués à l’agent. De fait, le juge des référés a entaché son ordonnance d'une dénaturation des pièces du dossier. 

 

En deuxième lieu, il estime que, pour justifier des fautes retenues à l'encontre de l’intéressé, le centre hospitalier s'est fondé sur des témoignages concordants « systématiquement recueillis sous l'autorité de cadres de ce centre qui ont attesté de leur authenticité en apposant leur signature sur les relevés retraçant les propos de leurs auteurs ». Dès lors, les faits étaient matériellement établis et le juge des référés a de nouveau dénaturé les pièces du dossier. Cet arrêt permet donc d’illustrer comment établir la matérialité de faits lorsqu’une sanction aussi lourde que la révocation est prise à l’encontre d’un agent.

 

En clair, l’utilisation de témoignages anonymes permet d’établir la matérialité des faits dès lors qu’ils sont concordants et régulièrement recueillis. 

 

Ainsi, le CH est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée et, aucun moyen n'étant de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée, le CE annule l'ordonnance.