Discrimination et harcèlement sexuel : la Défenseure des droits publie une décision-cadre recommandant une méthodologie lors des enquêtes

La décision-cadre du 5 février 2025 s'adresse aussi bien aux employeurs privés que publics et par du constat d'une “forte disparité des pratiques et de nombreux manquements dans l’organisation et la réalisation des enquêtes internes par les employeurs qui conduisent à fragiliser la qualification juridique des faits dénoncés par le salarié ou l’agent et à prendre des mesures de prévention et de protection insuffisantes.”

Pourtant, la fonction publique s'est dotée dès 2020 d'un dispositif de signalement des actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d'agissements sexistes (décret du 13 mars 2020 intégré désormais dans la partie réglementaire du code général de la fonction publique aux articles R.135-1 à R.135-10, voir notre veille du 17 mars 2020) puis d'un Guide pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans la fonction publique (voir notre veille du 22 novembre 2022) et enfin d'un plan d’actions pour accueillir la parole des victimes, les accompagner davantage et renforcer l’efficacité des procédures dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles en santé (veille du 21 janvier 2025).

Pour y remédier, cette publication réunit les recommandations de la Défenseure des droits et propose “une méthodologie respectueuse des principes de confidentialité, d’impartialité, d’objectivité et de rigueur.

Il s'agit d'améliorer la mise en place et l’efficacité des dispositifs de signalement et d’enquête interne. La Défenseure des droits souligne la nécessité d’un accès facilité aux dispositifs d’écoute et de recueil des signalements, qui peuvent être internalisés, externalisés ou mutualisés. Leur composition doit garantir impartialité et compétence, notamment par une formation adéquate des personnes en charge.

L’ouverture rapide d’une enquête est préconisée, indépendamment du délai écoulé entre les faits et le signalement. La Défenseure des droits rappelle que le classement sans suite d’une procédure pénale ne dispense pas l’employeur de son obligation d’enquête et que la mise en cause d’un salarié ou agent ne doit pas retarder la prise de mesures conservatoires.

Par ailleurs, l’absence de réaction des employeurs aux signalements contribue à la persistance des discriminations et à la défiance des victimes à l’égard des dispositifs internes. Le Défenseur des droits insiste sur l’importance d’une communication transparente sur l’existence et le fonctionnement de ces dispositifs et de la publication de bilans réguliers.

La décision-cadre formule plusieurs recommandations qui concernent à la fois la mise en place des dispositifs de recueil des signalements, la conduite des enquêtes internes et la protection des victimes et témoins.

1. Mise en place et accessibilité des dispositifs de recueil des signalements

La Défenseure des droits insiste sur la nécessité pour les employeurs, qu’ils soient publics ou privés, de mettre en place des dispositifs accessibles et visibles pour recueillir les signalements de discrimination et de harcèlement. Plusieurs modalités sont envisagées :

- Internalisation, externalisation ou mutualisation du dispositif : L’entreprise ou l’administration peut choisir de gérer le recueil en interne, via des référents identifiés (ex. référent égalité, RH), ou bien externaliser ce service à un prestataire indépendant afin de garantir une plus grande confidentialité et impartialité. Dans certains cas, les employeurs peuvent mutualiser ces dispositifs avec d’autres structures, notamment les petites entreprises ou collectivités territoriales.

- Accessibilité aux salariés et agents sous différentes formes : Il est recommandé que le dispositif soit accessible par divers canaux (téléphone, e-mail, plateforme en ligne, accueil physique) et ouvert à toutes les catégories de personnel, y compris les intérimaires, stagiaires et candidats à l’embauche.

- Formation des personnes en charge : Toutes les personnes impliquées dans la gestion des signalements doivent être formées aux principes juridiques applicables (discriminations, harcèlement sexuel, charge de la preuve) ainsi qu’à la conduite d’entretiens avec des victimes et témoins.

- Communication régulière sur l’existence et le fonctionnement du dispositif : Il est impératif d’informer les salariés et agents de l’existence de ces dispositifs à travers divers supports (affichages, intranet, réunions d’équipe, documents d’embauche, fiches de paie, bilans annuels).

2. Conduite des enquêtes internes et réactivité de l’employeur

Une fois un signalement effectué, la Défenseure des droits recommande une prise en charge rapide et efficace :

- Accuser réception du signalement : L’employeur doit notifier à la personne qui signale les faits qu’il a bien pris en compte son signalement et l’inviter à fournir tout élément pouvant appuyer sa déclaration (témoignages, e-mails, chronologie des faits, etc.).

- Ne pas écarter les signalements anonymes : Un signalement peut être traité même s’il est anonyme, dès lors que les faits rapportés sont suffisamment graves et documentés.

- Ouvrir une enquête interne sans délai : Il est recommandé que l’enquête soit initiée dans un délai maximal de deux mois après le signalement. L’employeur ne doit pas attendre l’issue d’une éventuelle procédure pénale ou civile avant d’agir.

- Ne pas reporter l’enquête en cas d’arrêt maladie ou de départ du mis en cause : Un arrêt de travail ou la démission d’un salarié ne doit pas empêcher l’enquête de se poursuivre, notamment pour prévenir la réitération des faits et garantir un climat de travail sain.

- Diligenter une enquête sérieuse et impartiale : L’enquête doit être menée avec diligence et garantir le respect du contradictoire, la confidentialité des informations recueillies et l’absence de conflits d’intérêts des enquêteurs. Elle doit être clôturée dans des délais raisonnables, généralement en quelques mois.

3. Protection des victimes et témoins

Pour éviter que les victimes et témoins ne subissent des représailles ou une dégradation de leurs conditions de travail, des mesures de protection doivent être mises en place :

- Prévention des représailles : L’employeur doit s’assurer que la personne ayant signalé les faits ne subit pas de sanctions ou de discrimination en raison de son témoignage.

- Aménagement des conditions de travail : L’employeur doit tenir compte de l’état de santé de la victime et, si nécessaire, adapter ses conditions de travail (ex. changement d’affectation temporaire, télétravail, aménagement d’horaires).

- Recours au médecin du travail : La médecine du travail doit être impliquée pour évaluer les impacts de la situation sur la santé de la victime et proposer des mesures adaptées.

- Protection fonctionnelle dans la fonction publique : Pour les agents publics, l’administration a l’obligation d’assurer la protection fonctionnelle et de prendre des mesures conservatoires lorsque nécessaire.

4. Sanction des auteurs et suivi des décisions

Lorsque les faits sont avérés, des mesures doivent être prises pour éviter la récidive et assurer la crédibilité du dispositif :

- Qualifier juridiquement les faits : Une enquête interne doit permettre de qualifier les faits (discrimination, harcèlement sexuel, harcèlement moral…) et de fonder une éventuelle sanction disciplinaire.

- Appliquer des sanctions proportionnées : L’auteur des faits doit être sanctionné de manière proportionnée à la gravité des actes constatés. L’employeur ne peut rester inactif sous peine d’être sanctionné pour manquement à son obligation de sécurité.

- Évaluer l’efficacité des dispositifs : Il est recommandé de publier des bilans anonymisés sur les signalements et les suites données afin d’améliorer en continu les politiques internes de prévention et de sanction.