Le Conseil d’État confirme la suspension de la décision d’arrêt de traitement pour motif obstination déraisonnable

Le Groupe hospitalier Nord-Essonne (GHNE) a pris plusieurs décisions médicales visant à limiter les soins d’un patient atteint du syndrome de Prader-Willi et d’autisme atypique, considérant que la poursuite des traitements relèverait d’une obstination déraisonnable. Ces limitations incluaient notamment l’interdiction du massage cardiaque externe en cas d’arrêt cardio-respiratoire, de l’épuration extra-rénale, de l’intubation et de la réadmission en réanimation. La première décision de limitation des soins (10 décembre 2024) a été modifiée à plusieurs reprises, reflétant une évaluation médicale continue.

 

Le tuteur légal du patient, estimant que ces décisions portaient une atteinte grave et manifestement illégale aux droits fondamentaux du patient, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Versailles en référé-liberté. Ce dernier a ordonné la suspension de l’arrêt des traitements. Le GHNE a alors saisi le Conseil d’État pour demander l’annulation de cette suspension. 

 

Dans une décision en date du 13 avril 2025 (n°501454) le Conseil d’État, réuni formation collégiale, devait déterminer si la décision médicale de limitation des soins portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie du patient. Le Conseil d’État a confirmé la suspension de l’arrêt de traitement du patient. 

 

Il s’est tout d’abord penché sur le respect de la procédure collégiale prévue par le code de la santé publique dans le cadre d’un arrêt de traitement pour motif d’obstination déraisonnable. L’article L. 1110-5-1 définit l’obstination déraisonnable comme les actes apparaissant inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. Le Conseil d’État a relevé l’absence d’éléments démontrant de manière claire que cette procédure avait été correctement suivie et que les différentes garanties avaient été respectées. Il a également pris en compte l’avis défavorable du médecin appelé en qualité de consultant. 

 

Le Conseil d’État a ensuite examiné la prise en compte de la volonté du patient. L’article L. 1111-4 du code de la santé publique impose que, lorsqu’un patient n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté, ses souhaits antérieurs exprimés dans les directives anticipées, ainsi que l’avis de ses proches et de sa personne de confiance doivent être pris en compte. Pour autant, le médecin peut refuser d’appliquer des directives anticipées manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient (CC, (Décision n°2022-1022 QPC du 10 novembre 2022). Le Conseil constitutionnel, dans une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) du 2 juin 2017 (n°2017-632), rappelle qu’il appartient au médecin en charge d’un patient hors d'état d'exprimer sa volonté d’arrêter un traitement. Cependant, le médecin ne peut prendre une telle décision qu'à l'issue d'une procédure collégiale destinée à l’éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d’un arrêt de traitement. 

Or, il est apparu que la volonté du patient n’avait pas été suffisamment explorée ni prise en considération par l’équipe médicale, ce qui constituait une irrégularité. 

 

L’état de santé du patient a également constitué un élément déterminant dans la décision du Conseil d’État. Des signes d’amélioration avaient été signalés, soulevant ainsi des doutes sur le caractère irréversible de son état et sur la qualification d’obstination déraisonnable retenue par l’hôpital. L’incertitude quant à l’évolution de la condition médicale du patient justifiait d’autant plus la prudence dans la mise en œuvre des décisions de limitation des soins. Les conditions d'application de l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, qui encadre la limitation ou l'arrêt des traitements, n'étaient pas réunies en l'espèce, l'état actuel du patient, ne nécessitant plus qu'une assistance respiratoire non invasive limitée après plusieurs semaines d'intubation 

 

Enfin, le Conseil d’État a estimé que la limitation des traitements décidée par le GHNE pouvait porter une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie. En l’absence de certitude, le Conseil d’État a jugé nécessaire de confirmer la suspension de l’arrêt des soins. 

 

Dans le cadre de l’arrêt des traitements pour motif d’obstination déraisonnable, le Conseil d’État rappelle, dans une affaire du 24 juin 2014 (n°s 375081, 375090 et 37509), que c’est une liberté fondamentale de ne pas subir d’obstination déraisonnable. Il précise également, dans une décision du 19 juin 2024 (n°494976), que les éléments médicaux pris en compte par le médecin doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter sur l’état actuel du patient, sur l’évolution de son état depuis la survenance de l’accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique.