La décision d’admission en soins psychiatriques prise par le directeur à la demande d’un tiers ne peut être postérieure au jour de l’hospitalisation

  • Cour administrative d'appel Bordeaux Sieur C… A… c/ CH Esquirol de Limoges 10/11/2015 - Requête(s) : 14BX01260

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT


Considérant ce qui suit :


1. Par une décision du 8 février 2012, le directeur du centre hospitalier Esquirol de Limoges a décidé l'admission de M. A… en soins psychiatriques en application des dispositions des articles L. 3212-1 et suivants du Code de la santé publique. À la suite de deux certificats médicaux établis le 8 février et le 9 février 2012, le directeur du centre hospitalier Esquirol a maintenu la mesure d'hospitalisation complète le 9 février 2012. À la suite d'autres certificats médicaux, le directeur de ce centre hospitalier a, par des décisions des 13 février, 6 mars et 5 avril 2012, prolongé d'un mois l'hospitalisation complète de M. A… Ce dernier relève appel du jugement du tribunal administratif de Limoges du 26 février 2014 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions des 8 et 9 février 2012 décidant son admission et son maintien en soins psychiatriques. Par la voie de l'appel incident, le directeur du centre hospitalier Esquirol de Limoges demande à la cour de réformer ce jugement en tant qu'il a annulé ses décisions des 13 février, 6 mars et 5 avril 2012 prolongeant d'un mois l'hospitalisation complète de M. A…


Sur la légalité :


En ce qui concerne la décision du 8 février 2012 :


2. Aux termes de l'article L. 3212-1 du Code de la santé publique : « I.- Une personne atteinte de troubles mentaux ne peut faire l'objet de soins psychiatriques sur la décision du directeur d'un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 que lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1° Ses troubles mentaux rendent impossible son consentement ; 2° Son état mental impose des soins immédiats assortis soit d'une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit d'une surveillance médicale régulière justifiant une prise en charge sous la forme mentionnée au 2° de l'article L. 3211-2-1. II.- Le directeur de l'établissement prononce la décision d'admission : 1° Soit lorsqu'il a été saisi d'une demande présentée par un membre de la famille du malade ou par une personne justifiant de l'existence de relations avec le malade antérieures à la demande de soins et lui donnant qualité pour agir dans l'intérêt de celui-ci, à l'exclusion des personnels soignants exerçant dans l'établissement prenant en charge la personne malade. Lorsqu'il remplit les conditions prévues au présent alinéa, le tuteur ou le curateur d'un majeur protégé peut faire une demande de soins pour celui-ci. La forme et le contenu de cette demande sont fixés par décret en Conseil d'État. La décision d'admission est accompagnée de deux certificats médicaux circonstanciés datant de moins de quinze jours, attestant que les conditions prévues aux 1° et 2° du I du présent article sont réunies. Le premier certificat médical ne peut être établi que par un médecin n'exerçant pas dans l'établissement accueillant le malade ; il constate l'état mental de la personne malade, indique les caractéristiques de sa maladie et la nécessité de recevoir des soins. Il doit être confirmé par un certificat d'un second médecin qui peut exercer dans l'établissement accueillant le malade. Les deux médecins ne peuvent être parents ou alliés, au quatrième degré inclusivement, ni entre eux, ni du directeur de l'établissement mentionné à l'article L. 3222-1 qui prononce la décision d'admission, ni de la personne ayant demandé les soins ou de la personne faisant l'objet de ces soins ; 2° Soit lorsqu'il s'avère impossible d'obtenir une demande dans les conditions prévues au 1° du présent II et qu'il existe, à la date d'admission, un péril imminent pour la santé de la personne, dûment constaté par un certificat médical établi dans les conditions prévues au troisième alinéa du même 1°. Ce certificat constate l'état mental de la personne malade, indique les caractéristiques de sa maladie et la nécessité de recevoir des soins. Le médecin qui établit ce certificat ne peut exercer dans l'établissement accueillant la personne malade ; il ne peut en outre être parent ou allié, jusqu'au quatrième degré inclusivement, ni avec le directeur de cet établissement ni avec la personne malade. Dans ce cas, le directeur de l'établissement d'accueil informe, dans un délai de vingt-quatre heures sauf difficultés particulières, la famille de la personne qui fait l'objet de soins et, le cas échéant, la personne chargée de la protection juridique de l'intéressé ou, à défaut, toute personne justifiant de l'existence de relations avec la personne malade antérieures à l'admission en soins et lui donnant qualité pour agir dans l'intérêt de celle-ci. Lorsque l'admission a été prononcée en application du présent 2°, les certificats médicaux mentionnés aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 3211-2-2 sont établis par deux psychiatres distincts. »


3. Il résulte des dispositions précitées, dans leur version issue de la loi du 5 juillet 2011, que la décision par laquelle le directeur d'un centre hospitalier prononce l'admission en soins psychiatriques d'une personne à la demande d'un tiers doit être formalisée par écrit et motivée. Si la formalisation de la décision d'admission n'est enfermée dans aucun délai, elle ne peut être retardée au-delà du temps strictement nécessaire à la mise en œuvre de la procédure préalable à son intervention.


4. Il ressort des pièces du dossier que par un arrêté du 8 février 2012, le directeur du centre hospitalier Esquirol, après avoir recueilli une demande de soins d'un tiers et s'être fondé sur un certificat médical établi le même jour, a admis M. A… en soins psychiatriques à compter du 7 février 2012. La décision d'admission est ainsi intervenue le lendemain du jour où l'intéressé a été effectivement admis dans le service de soins psychiatriques. Or, le centre hospitalier Esquirol ne produit aucun élément propre à l'espèce de nature à justifier le laps de temps qui s'est ainsi écoulé entre la décision d'admission et sa formalisation. Dans ces conditions, la décision en litige a été prise en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 3212-1 du Code de la santé publique.


En ce qui concerne la décision du 9 février 2012 :


5. Il résulte de ce qui précède que M. A… est fondé à exciper de l'illégalité de la décision d'admission à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 9 février 2012 prononçant son maintien en soins psychiatriques.


6. Il résulte de ce qui précède que M. A… est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 8 et 9 février 2012.


En ce qui concerne les décisions des 13 février 2012, 6 mars 2012 et 5 avril 2012 :


7. L'annulation des décisions des 8 et 9 février 2012 portant admission de M. A… en soins psychiatriques entraîne, par voie de conséquence, l'illégalité des décisions des 13 février, 6 mars et 5 avril 2012 ayant prolongé d'un mois l'hospitalisation de l'intéressé. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions incidentes du centre hospitalier Esquirol, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a annulé ces trois décisions.


Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du Code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :


8. M. A… a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision en date du 15 mai 2014. Ainsi, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me B… renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier le versement de la somme de 1 500 euros en application de ces dispositions.


DÉCIDE :


Article 1er : Les décisions du directeur du centre hospitalier Esquirol de Limoges en date du 8 février et du 9 février 2012 sont annulées.


Article 2 : Le jugement n° 1200894 du 26 février 2014 du tribunal administratif de Limoges est annulé en tant qu'il est contraire au présent arrêt.


Article 3 : Le centre hospitalier Esquirol de Limoges versera la somme de 1 500 euros à Me B…, en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du Code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle.


Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.


CAA Bordeaux, Sieur C… A… c/ CH Esquirol de Limoges, 10 novembre 2015, n° 14BX01260



II – COMMENTAIRE


L'admission sans consentement à la demande d'un tiers obéit à une procédure stricte qui doit être suivie à la lettre pour permettre la plus grande protection de ces personnes privées momentanément de liberté. De la première grande loi sur les aliénés, datant du 30 juin 1838, à la loi du 27 juin 1990 relative à l'hospitalisation des malades atteints de troubles mentaux, il n'y a aucune loi sauf une circulaire de 1937 créant le placement libre pour permettre une hospitalisation clairement désirée par un malade. Depuis, l'hospitalisation sous contrainte, soit à la demande d'un tiers soit sur décision de l'autorité publique, a subi plusieurs modifications révélant ainsi les difficultés rencontrées pour avoir une privation de liberté momentanée et sur décision médicale. La loi du 5 juillet 2011 fixe la nouvelle procédure de privation de liberté pour malades atteints de troubles mentaux (cf. Annie Fredon et Arsène Hu-Yen-Tack, Guide juridique de l'hospitalisation sous contrainte, coll. « Décideur Santé », LEH Édition, 456 p., juin 2015).


La décision de la cour administrative d'appel de Bordeaux mettant en cause les conditions d'hospitalisation au centre hospitalier Esquirol par un patient hospitalisé sous contrainte à la demande d'un tiers, annule cette hospitalisation pour une procédure d'admission illégale puisque le directeur a décidé de l'hospitalisation le lendemain de sa réalisation !


L'arrêté d'hospitalisation du directeur est daté du 8 février pour une admission du 7 février. Ce laps de temps certes très court et alors que l'article L. 3212-1 du Code de la santé publique ne précise pas la durée entre l'admission et l'hospitalisation ne permet pas d'inverser la procédure, et hospitaliser un malade sous contrainte, fût-il à la demande d'un tiers, avant de l'admettre, les deux doivent quasiment être concomitants, mais la réalité de la demande doit précéder la réalité de l'hospitalisation, à la suite, bien sûr, des deux certificats médicaux autorisant cette hospitalisation.


Depuis, une nouvelle loi du 27 novembre 2013 est venue renforcer le mode de gestion des personnes placées sous contrainte dans le cadre des seules unités pour malades difficiles (UMD) dont le sort a fait, évidemment, couler beaucoup d'encre !


Rappelons enfin que dans le cadre de la loi du 5 juillet 2011, depuis le 1er janvier 2013, le juge judiciaire devient le juge de droit commun des hospitalisations sans consentement ; en conséquence, cette affaire, si elle était née postérieurement au 1er janvier 2013, aurait été jugée par le juge judiciaire qui désormais est compétent pour le fond (cela ne change rien), comme pour la forme (le dessaisissement du juge administratif pour les questions de procédure, c'est-à-dire de légalité externe, est nouveau).