Le refus de la protection fonctionnelle au titre d’un harcèlement moral non prouvé

  • Cour administrative d'appel Marseille M. F… 02/04/2019 - Requête(s) : 18MA03897

RÉSUMÉ

Le refus de la demande de protection fonctionnelle est justifié lorsque l'agent qui se plaint d'être victime de harcèlement moral n'apporte pas des éléments suffisants pour prouver ses allégations.


I – TEXTE DE L'ARRÊT


1. M. F…, recruté par l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille en 2003 en tant qu'attaché de communication contractuel puis titularisé en 2012 en tant que technicien supérieur hospitalier, a demandé à cet établissement public, par courrier du 7 juillet 2016 le bénéfice de la protection fonctionnelle à raison des agissements de harcèlement moral dont il s'estimait victime. Par courrier du 22 août 2016, il a également sollicité l'indemnisation des préjudices subis à la suite de ces agissements. S'étant vu opposer un refus par courrier du 18 octobre 2016, M. F… a saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande de protection fonctionnelle ainsi que de la décision du 18 octobre 2016 et, d'autre part, à la condamnation de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille à réparer ses préjudices. Il fait appel du jugement du tribunal administratif de Marseille du 18 juin 2018 rejetant sa demande.

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : « aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel […] » Aux termes de l'article 11 de cette même loi : « I. À raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le Code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. […] IV. La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. » Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. Le juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

4. M. F… fait valoir qu'il a été victime d'une mise à l'écart injustifiée à compter de janvier 2016 et qu'il n'a pas plus exercé aucune mission à compter d'avril 2016, ses fonctions au sein du service chargé de la communication ayant été réattribuées à d'autres agents. Il soutient notamment qu'il n'a plus reçu de courriel de sa responsable de service et du chef de cabinet en charge de la communication entre janvier et octobre 2016, qu'il a été destinataire d'une sanction disciplinaire déguisée par lettre du 27 janvier 2016 devant être versée à son dossier, qu'il n'a pas bénéficié d'une évaluation en 2016 et qu'il a fait l'objet d'un changement d'affectation en 2017. Il ajoute qu'il a été placé en congé maladie en raison d'un état dépressif lié à ses conditions de travail.

5. Les éléments de fait avancés par M. F… sont susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.

6. L'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille fait valoir que les missions confiées à M. F… ont dû être modifiées à la suite de l'abandon du projet Marseille Santé 2020 en raison de considérations financières et que la lettre du 27 janvier 2016 comme son changement d'affectation font suite à des manquements de l'intéressé à son obligation de réserve.

7. Il résulte de l'instruction, notamment de l'attestation établie par la responsable du service communication et culture de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, que M. F… depuis qu'il était chargé du dossier de stratégie de marque « Marseille Santé 2020 », s'est exonéré des autres tâches afférentes à ses fonctions d'attaché de communication pour se consacrer exclusivement à ce projet et qu'il se montrait parfois méprisant avec les collègues de son service. Les copies de courriels échangés, entre juin et septembre 2015, par l'appelant et le directeur de cabinet en charge de la communication témoignent quant à eux d'une incompréhension croissante s'agissant du rôle et des responsabilités de chacun. Il ressort en outre de l'attestation émanant de la responsable du service communication et culture et de la lettre établie le 27 janvier 2016 par le directeur de cabinet que lors de la réunion de service hebdomadaire du lundi 25 janvier 2016, M. F… a tenu à plusieurs reprises des propos remettant explicitement en question la capacité de la gouvernance de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille à définir une ligne stratégique claire pour l'institution et a affirmé « la stratégie, moi je peux vous la faire. » Par ailleurs, il résulte de l'instruction que le même lundi 25 janvier 2016, M. F… publiait sur un réseau social à caractère professionnel, où il était identifié comme un membre de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, des propos mettant en cause la capacité de nombreux managers à définir « un plan stratégique digne de ce nom » en raison « d'une déficience de vision ou de discernement et parfois même une carence de culture (d'entreprise ou générale) ». S'il est exact que cette publication ne vise pas expressément ses responsables hiérarchiques au sein de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, il n'en demeure pas moins que la proximité dans le temps de cette publication avec les propos tenus en réunion hebdomadaire ne pouvait être interprétée par ses collègues et sa hiérarchie que comme une nouvelle mise en cause des compétences en termes de management au sein de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille. En outre, le refus de prise en charge de stage externe dont il a fait l'objet était motivé par la circonstance qu'une formation identique était programmée dans le cadre du plan annuel de formation, ainsi que cela ressort du courrier qui lui a été adressé le 18 décembre 2015. Si M. F… n'a pas fait l'objet d'une notation en 2016, qu'il ne s'est plus vu confier de mission de communication à compter d'avril 2016, que son changement d'affectation envisagé depuis février 2016 a été décidé en février 2017 au service chargé de la certification des comptes et qu'il a connu une dégradation de son état de santé en lien avec les difficultés professionnelles rencontrées, ces faits, qui ne peuvent être appréciés sans tenir compte du comportement de l'intéressé et de l'intérêt du service, ne permettent pas de conclure à l'existence d'un harcèlement moral exercé à son encontre, au sens des dispositions précitées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983. Dès lors, ils ne présentent pas le caractère d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration et ne constituent pas des agissements en raison desquels l'administration serait tenue de le faire bénéficier de la protection prévue par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que M. F… n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation et d'indemnité de la requête de M. F…, n'appelle aucune mesure d'exécution. Dès lors, les conclusions à fin d'injonction présentées par ce dernier ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance d'appel :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. F… au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens, et notamment des frais d'huissier qu'il a supportés. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. F… la somme réclamée par l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille au même titre.


DÉCIDE

Article 1er : La requête de M. F… est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E… F… et à l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille.

CAA de Marseille, 2 avril 2019, M. F…, n°18MA03897


II – COMMENTAIRE


Les managers hospitaliers voient de plus en plus de demandes de protection fonctionnelle réclamées par les agents qui s'estiment victimes de harcèlement moral (Voir « Le harcèlement dans la fonction publique hospitalière », FDH n° 242, p. 3877). C'est précisément ce type de demande qui avait été présenté par un technicien supérieur hospitalier auprès de l'APHM. L'administration hospitalière avait refusé et après un recours en annulation formé par l'agent, tant les premiers juges que les juges d'appel ont rejeté la requête.


L'arrêt rendu le 2 avril 2019 par la cour administrative d'appel de Marseille est intéressant par le double rappel qu'il fait.


En premier lieu, l'agent qui réclame le bénéfice de la protection fonctionnelle pour un cas de harcèlement moral doit apporter les éléments de faits susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement (« La protection fonctionnelle  », FDH n° 341, p. 5245, disponible sur www.hopitalex.com).

Sur ce premier point, le requérant avait des éléments : affecté au service de communication, il n'avait plus aucune mission à compter du mois d'avril 2016 et ses fonctions au sein du service de la communication ayant été réattribuées à d'autres agents, il ne recevait plus aucun courriel du responsable du service ni du chef de cabinet en charge de la communication. De plus, il avait changé d'affectation en 2017 et était en congé maladie pour état dépressif.

Cependant, ces faits trouvaient une explication dans le comportement de l'agent, ce qui nous amène à évoquer l'autre point intéressant de cet arrêt qui constitue le deuxième rappel.


En second lieu, et c'est donc l'autre rappel de cet arrêt, l'administration hospitalière peut refuser le bénéfice de la protection fonctionnelle pour des motifs d'intérêt général (CE, 14 février 1975, n° 87730), ou encore en opposant à l'agent sa propre faute personnelle (CE, 20 avril 2011, n° 332255). Ici, l'agent avait de très mauvaises relations avec ses collègues. Plusieurs courriels et attestations étaient versés au débat comme le relève le juge administratif. Les faits dont se plaignait le requérant ne peuvent être appréciés sans tenir compte du comportement de l'intéressé et de l'intérêt du service.


Ce faisant, le juge n'y a vu aucune faute d'administration et, par conséquent, le refus de la demande de protection fonctionnelle n'était susceptible d'aucune annulation.


On rapprochera cet arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille de celui rendu par la cour administrative d'appel de Versailles en 2018 et qui concernait la demande de protection fonctionnelle formulée par une IDE à cause d'une situation de harcèlement moral, mais n'ayant pu le démontrer ; rejet de la demande (CAA de Versailles, 10 juillet 2018, n°16VE01686 ; FJH 2018, n° 078).

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