Le décompte général en matière de marché public doit être contesté dans le délai contractuellement prévu, faute de quoi il est définitif

  • Cour administrative d'appel Lyon Établissement public de santé mentale de la vallée de l’Arve 16/11/2017 - Requête(s) : 16LY00971

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT

1. Considérant que, pour la construction d'un nouvel hôpital de santé mentale à la Roche-sur-Foron, la société Poralu SAS a obtenu le lot n° 9 « Menuiserie extérieure aluminium PVC » ; que l'acte d'engagement a été signé le 21 juillet 2009 par la société d'équipement de la Haute-Savoie, devenue société Teractem, mandataire de l'établissement public de santé mentale de la vallée de l'Arve, maître d'ouvrage ; que la réception des travaux a été prononcée avec réserves le 17 avril 2012 ; qu'à la suite d'un différend portant sur le décompte général, et en particulier sur le montant des retenues et pénalités, la société Poralu a saisi le 27 décembre 2013 le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à la condamnation de l'établissement public de santé mentale de la vallée de l'Arve à lui verser les sommes de 28 062,78 euros TTC, outre intérêts moratoires, en règlement du solde de son marché et de 6 832,11 euros en restitution de la garantie bancaire mobilisée à première demande ; que l'établissement public de santé mentale de la vallée de l'Arve, par la requête n° 16LY00971, relève appel du jugement du tribunal administratif de Grenoble qui l'a condamné à verser à la société Poralu SAS les sommes de 19 989,78 euros TTC outre intérêts moratoires à compter du 28 octobre 2013 et de 6 832,11 euros au titre de la restitution de la garantie bancaire ;

2. Considérant que la société Poralu SAS a saisi la cour administrative d'appel de Lyon, par une lettre enregistrée le 5 avril 2017, d'une demande tendant à obtenir l'exécution du jugement n° 1306936 du tribunal administratif de Grenoble du 19 janvier 2016 ; que, sur le fondement de l'article R. 921-6 du Code de justice administrative, le président de la cour a ouvert une procédure juridictionnelle, sous le n° 17LY02582 ;

3. Considérant qu'il y a lieu de joindre ces deux requêtes relatives au même jugement pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt ;

Sur la requête n° 16LY00971 :

4. Considérant qu'aux termes des premier et troisième alinéas de l'article 13.44 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) de 1976 applicable au marché litigieux, auquel ne déroge pas le cahier des clauses administratives particulières (CCAP) applicable à ce marché : « L'entrepreneur doit, dans un délai compté à partir de la notification du décompte général, le renvoyer au maître d'œuvre, revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou faire connaître les raisons pour lesquelles il refuse de le signer. Ce délai est de trente jours, si le marché a un délai d'exécution inférieur ou égal à six mois. Il est de quarante-cinq jours, dans le cas où le délai contractuel d'exécution du marché est supérieur à six mois. / […] Si la signature du décompte général est refusée ou donnée avec réserves, les motifs de ce refus ou de ces réserves doivent être exposés par l'entrepreneur dans un mémoire de réclamation qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires en reprenant sous peine de forclusion, les réclamations déjà formulées antérieurement et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif ; ce mémoire doit être remis au maître d'œuvre dans le délai indiqué au premier alinéa du présent article. […] » ; qu'aux termes de l'article 13.45 de ce même cahier : « Dans le cas où l'entrepreneur n'a pas renvoyé au maître d'œuvre le décompte général signé dans le délai de trente jours ou de quarante-cinq jours, fixé au 44 du présent article, ou encore, dans le cas où, l'ayant renvoyé dans ce délai, il n'a pas motivé son refus ou n'a pas exposé en détail les motifs de ses réserves en précisant le montant de ses réclamations, ce décompte général est réputé être accepté par lui ; il devient le décompte général et définitif du marché » ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, le 4 mars 2013, la société Teractem, maître d'ouvrage délégué, a notifié à la société Poralu le décompte général des travaux établi par le maître d'œuvre conformément à l'article 13.41 du CCAG ; que la société Poralu a contesté ce décompte par une lettre du 4 avril 2013 adressée à la société Teractem ; que le maître d'œuvre a établi un nouveau décompte général que la société Teractem a notifié à l'entreprise Poralu le 15 juillet 2013 ; que cette dernière a contesté ce décompte, reçu le 22 juillet 2013, par un mémoire en réclamation motivé et chiffré du 29 juillet 2013 également adressé à la société Teractem ; que, si ce mémoire en réclamation porte l'indication « copie M. C… et Brière (LRAR) », qui était chargé de la maîtrise d'œuvre, il ne résulte toutefois pas de l'instruction que la société Poralu a effectivement adressé son mémoire en réclamation au maître d'œuvre dans le délai de quarante-cinq jours qui lui était imparti par les stipulations précitées du CCAG ; que, par suite, le décompte général reçu par la société Poralu le 22 juillet 2013 était, comme le soutient l'établissement public de santé mentale de la vallée de l'Arve, devenu définitif à la date à laquelle cette société a saisi le tribunal administratif de Grenoble le 27 décembre 2013 ; que la demande présentée par la société Poralu n'était, dès lors, pas recevable ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'établissement public de santé mentale de la vallée de l'Arve est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble l'a condamné à verser à la société Poralu SAS les sommes de 19 989,78 euros TTC outres intérêts moratoires à compter du 28 octobre 2013 et de 6 832,11 euros ;

Sur la requête n° 17LY02582 :

7. Considérant que la société Poralu a demandé l'exécution du jugement n° 1306936 du tribunal administratif de Grenoble du 19 janvier 2016 ; que, par le présent arrêt, la cour annule ce jugement et rejette la demande présentée par la société Poralu devant le tribunal administratif de Grenoble ; que, par suite, la requête de la société Poralu tendant à l'exécution de ce jugement est devenue sans objet ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative :

8. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter l'ensemble des conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 17LY02582.

Article 2 : Le jugement n° 1306936 du tribunal administratif de Grenoble du 19 janvier 2016 est annulé et la demande présentée par la société Poralu devant le tribunal administratif est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'établissement public de santé mentale de la vallée de l'Arve et à la société Poralu SAS.

CAA Lyon, Établissement public de santé mentale de la vallée de l'Arve, 16 novembre 2017, n° 16LY00971

II – COMMENTAIRE

L'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Lyon le 16 novembre 2017 concernait un litige de marché public de travaux.

Les faits étaient les suivants : pour la construction d'un nouvel établissement de santé mentale, la société Poralu avait obtenu le lot n° 9 « menuiserie extérieure aluminium PVC ».

La réception des travaux avait été prononcée avec réserves le 17 avril 2012 et à la suite d'un différend portant sur le décompte général, en particulier sur le montant des retenues et pénalités, la société Poralu avait saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant la condamnation de l'établissement public de santé mentale de la vallée de l'Arve à lui verser les sommes de 28 302,78 euros outre les intérêts moratoires, en règlement du solde de son marché et de 6 832,11 euros en restitution de la garantie bancaire mobilisée à première échéance.

Par jugement du 19 janvier 2016, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'hôpital à verser à la société PORALU la somme de 17 989,78 euros, outre des intérêts moratoires et de 6 832,11 euros au titre de la restitution de la garantie bancaire.

Après avoir saisi la cour administrative d'appel de Lyon, l'établissement public de santé mentale de la Valée de l'Arve obtient l'annulation de la décision des premiers juges.

Cet arrêt rendu par la juridiction d'appel rappelle de manière opportune qu'en matière de marché public, le juge d'appel n'a fait qu'appliquer strictement les dispositions du CCAG qui étaient applicables au marché de travaux.

En effet, selon le CCAG auquel le CCAP ne dérogeait pas, l'entrepreneur devait renvoyer au maître d'œuvre le décompte général signé dans le délai de 45 jours qui lui était imparti, faute de quoi, le décompte général était réputé être accepté par l'entrepreneur.

Dans la présente affaire, la société Poralu n'avait pas adressé son mémoire en réclamation au maître d'œuvre dans le délai de 45 jours qui lui était imparti par les stipulations du CCAG.

Par conséquent, le décompte général devenait définitif et toute demande présentée par l'entrepreneur était irrecevable.

C'est la raison pour laquelle que la cour administrative d'appel de Lyon a annulé la décision des juges de première instance.