L’obligation de reclassement d’un stagiaire avant son licenciement pour une inaptitude physique

  • Cour administrative d'appel Bordeaux CHU de Poitiers 06/03/2018 - Requête(s) : 16BX00649

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT

1. Après avoir été recrutée par le centre hospitalier universitaire de Poitiers (CHU) sur un poste d'aide-soignante en qualité d'agent contractuel, Mme D… a été nommée stagiaire dans le corps des aides-soignants et des agents des services hospitaliers qualifiés de la fonction publique hospitalière à compter du 1er janvier 2012. Dans son avis du 16 mai 2013, la commission de réforme hospitalière a estimé que cette dernière était définitivement inapte aux fonctions d'aide-soignante et qu'un reclassement professionnel sur un poste administratif était à prévoir. Le CHU relève appel du jugement du 16 décembre 2015 par lequel du tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 25 juin 2013 prononçant le licenciement pour inaptitude physique de Mme D… et a enjoint au CHU de la réintégrer dans ses effectifs.

2. Aux termes de l'article 31 du décret n° 97-487 du 12 mai 1997 : « Sauf lorsqu'il se trouve placé dans l'une des positions de congé prévues aux articles 26 à 29 du présent décret, l'agent stagiaire a droit au congé de maladie, au congé de longue maladie et au congé de longue durée mentionnés aux 2°, 3° et 4° de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 susvisée, dans les conditions fixées par les dispositions législatives et réglementaires applicables aux agents titulaires de la fonction publique hospitalière, sous réserve des dispositions suivantes : […] 2° Lorsque, à l'expiration des droits à congé avec traitement ou d'une période de congé sans traitement accordés pour raison de santé, l'agent stagiaire est reconnu par la commission de réforme inapte à reprendre ses fonctions de façon définitive et absolue, il est licencié ou, s'il a la qualité de fonctionnaire titulaire dans un autre corps, cadre d'emplois ou emploi, il est mis fin à son détachement […] ». 

3. Si, en vertu d'un principe général du droit dont s'inspirent tant les dispositions du code du travail relatives à la situation des salariés que les règles statutaires applicables aux fonctionnaires, en cas d'inaptitude physique définitive, médicalement constatée, à occuper un emploi, il appartient à l'employeur de reclasser l'intéressé dans un autre emploi et, en cas d'impossibilité, de prononcer son licenciement dans les conditions qui lui sont applicables, ni ce principe général ni les dispositions citées ci-dessus de la loi du 11 janvier 1984 et du décret du 12 mai 1997 ne confèrent aux fonctionnaires stagiaires, qui se trouvent dans une situation probatoire et provisoire, un droit à être reclassés dans l'attente d'une titularisation pour toute inaptitude physique définitive.

4. Il résulte de ce qui précède que le CHU est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'il ne pouvait être procédé au licenciement de Mme D… sans examiner préalablement s'il était possible de procéder à son reclassement sur un poste de fonctionnaire ou d'agent contractuel n'exigeant pas d'efforts de manutention. Par suite, il est également fondé à demander l'annulation du jugement attaqué du 16 décembre 2015.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer immédiatement, par l'effet dévolutif de l'appel, sur l'autre moyen invoqué par Mme D… à l'appui de la demande qu'elle a présentée devant le tribunal administratif de Poitiers.

6. Il ressort des pièces du dossier que Mme D… ne peut, en tout état de cause, pas utilement se prévaloir du bénéfice de la qualité de travailleur handicapé à l'encontre de la décision prononçant son licenciement en date du 25 juin 2013, dès lors que cette qualité ne lui a été reconnue que postérieurement à cette décision, soit le 26 juin 2013.

7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D… n'est pas fondée à demander l'annulation de son licenciement le 25 juin 2013.Par voie de conséquence, il y a également lieu de rejeter ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

8. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions du CHU tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative. 

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 16 décembre 2015 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme D… devant le tribunal administratif de Poitiers est rejetée.

Article 3 : Les conclusions du CHU tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administratives sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B… D… et au centre hospitalier universitaire de Poitiers.

CAA Bordeaux, CHU de Poitiers, 6 mars 2018, n° 16BX00649

II – COMMENTAIRE

Avec l'arrêt rendu le 6 mars 2018 par la cour administrative d'appel de Bordeaux, le juge administratif confirme sa jurisprudence en matière d'obligation de reclassement. Dans cette affaire, l'agent avait été nommé stagiaire dans le corps des aides-soignants et des agents des services hospitaliers mais la commission de réforme avait estimé que l'agent était définitivement inapte aux fonctions d'aide-soignant et qu'un reclassement professionnel sur un poste administratif était à prévoir. Le CHU de Poitiers l'avait cependant licencié pour inaptitude physique mais l'agent avait saisi le juge administratif d'un recours en annulation. Le tribunal administratif de Poitiers avait fait droit à sa demande et avait enjoint au CHU de procéder à sa réintégration. Le CHU avait alors interjeté appel et la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement de la juridiction administrative de Poitiers. L'enseignement à retenir de l'arrêt rendu le 6 mars 2018 par la juridiction administrative d'appel est très clair : le CHU de Poitiers devait préalablement examiner si l'agent pouvait être reclassé sur un poste administratif n'exigeant pas d'efforts de manutention.

Pour le juge administratif, cette obligation de reclassement préalablement à tout licenciement pour inaptitude physique est un principe général du droit. Voici ce que dit la cour administrative d'appel de Bordeaux : « Si, en vertu d'un principe général du droit, dont s'inspirent tant les dispositions du code du travail relative à la situation des salariés que les règles statutaires applicables aux fonctionnaires en cas d'inaptitude physique définitive, médicalement constatée, à occuper un emploi, il appartient à l'employeur de reclasser l'intéressé dans un autre emploi et, en cas d'impossibilité, de prononcer son licenciement dans les conditions qui lui sont applicables ».

La jurisprudence administrative est relativement fournie en matière d'obligation de reclassement, tant pour les titulaires, que pour les stagiaires ou encore les contractuels (voir notamment CAA Versailles, 7 novembre 2017, n° 16VE00373, FJH 2017, n° 100 page 519 ; voir aussi FDH N° 288, page 4451 : « Le reclassement dans la fonction publique hospitalière  », disponible dans leur version numérique sur www.hopitalex.com). Cette décision applique la jurisprudence du Conseil d'État, Sieur B… A… c/ Ministre de l'intérieur, du 17 février 2016, n° 381429 (disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com).

Par ailleurs, notons aussi que la juridiction d'appel a souligné que, pour l'inaptitude physique concernant un agent stagiaire, il n'existe pas « un droit à être reclassé dans l'attente d'une titularisation pour toute inaptitude physique définitive ».