Le praticien hospitalier victime d’un accident du travail a droit à la réparation des préjudices non couverts par la législation sur les accidents du travail

  • Conseil d'État M. B... 30/06/2017 - Requête(s) : 396908

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B…, praticien hospitalier à temps partiel attaché au centre hospitalier de Longjumeau, a été victime d'une agression le 21 janvier 2012 au cours de sa garde au service des urgences ; que, par un jugement du 17 novembre 2015, contre lequel M. B… se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à ce que le centre hospitalier de Longjumeau soit condamné à l'indemniser des préjudices subis à la suite de cette agression ;

2. Considérant qu'aux termes du troisième alinéa l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits litigieux : « La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté » ; que si cette disposition législative n'a été rendue applicable aux praticiens hospitaliers que par la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, elle se borne à réaffirmer un principe général du droit ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 451-1 du Code de la sécurité sociale : « Sous réserve des dispositions prévues aux articles L. 452-1 à L. 452-5, L. 454-1, L. 455-1, L. 455-1-1 et L. 455-2 aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit » ; que ces dispositions, qui sont applicables aux praticiens hospitaliers, font obstacle à ce que la victime d'un accident du travail exerce contre son employeur une action de droit commun tendant à la réparation des conséquences de l'accident, sauf en cas de faute intentionnelle de l'employeur ; qu'elles n'ont toutefois ni pour objet ni pour effet de décharger l'employeur public de son obligation de réparer intégralement les préjudices causés par des violences subies par un agent dans l'exercice de ses fonctions, ni d'interdire à la victime d'un tel dommage d'exercer à ce titre devant le juge administratif une action tendant à la condamnation de son employeur à lui verser une indemnité complétant les prestations d'accident du travail pour en assurer la réparation intégrale ; qu'il suit de là qu'en jugeant que, dès lors qu'il ne se prévalait pas d'une faute intentionnelle de son employeur, M. B… ne pouvait rechercher sa responsabilité devant la juridiction administrative au titre de la protection qu'il lui devait, le tribunal administratif de Versailles a commis une erreur de droit ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son jugement doit être annulé ;

4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Longjumeau la somme de 2 000 euros à verser à M. B… au titre des dispositions l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de M. B… qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 17 novembre 2015 du tribunal administratif de Versailles est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Versailles.

Article 3 : Le centre hospitalier de Longjumeau versera à M. B… une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Longjumeau au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A… B… et au centre hospitalier de Longjumeau.

CE, 30 juin 2017, M. B…, n° 396908

II – LE TEXTE DE RÉFÉRENCE

Article L. 451-1 du Code de la sécurité sociale

« Sous réserve des dispositions prévues aux articles L. 452-1 à L. 452-5, L. 454-1, L. 455-1, L. 455-1-1 et L. 455-2 aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit ».

III – COMMENTAIRE

L'arrêt rendu par le Conseil d'État le 30 juin 2017 est intéressant à plus d'un titre.

En premier lieu, le Conseil d'État rappelle que le praticien hospitalier, qu'il soit permanent ou non titulaire, a droit à la protection fonctionnelle de son établissement.

Le Conseil d'État l'avait déjà précisé dans une affaire jugée en 2011 (CE, 26 juillet 2011, Madame A., n° 336114).

Comme le souligne le Conseil d'État dans sa décision du 30 juin 2017, ce principe général du droit était consacré par la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 qui a réformé la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983.

Dans l'affaire jugée le 30 juin 2017, il s'agit d'un praticien hospitalier à temps partiel qui avait été victime d'une agression au cours de sa garde au service des urgences.

En deuxième lieu, le juge du Conseil d'État rappelle que la législation spécifique sur les accidents du travail applicable au praticien hospitalier exclut la possibilité pour la victime d'exercer contre son employeur une action en réparation des conséquences de l'accident sauf en cas de faute inexcusable de l'employeur c'est-à-dire une faute intentionnelle.

En troisième lieu et dernier lieu, le praticien hospitalier a le droit, au titre de la protection fonctionnelle due par son établissement, de demander réparation des préjudices qui n'auraient pas été pris en charge par les prestations d'accident du travail.

C'est tout simplement le principe de la réparation intégrale des préjudices qui est rappelé par le Conseil d'État.

Cette action en réparation des préjudices non couverts par la législation des accidents du travail n'est pas subordonnée à la preuve d'une faute intentionnelle commise par l'employeur.

En clair, le Conseil d'État applique tout à la fois l'obligation de réparation à la charge de l'employeur au titre de la protection fonctionnelle et le principe de la réparation intégrale des préjudices.