L’utilisation d’un DIF (droit individuel de formation) ne peut satisfaire des projets personnels ou professionnels en dehors du contexte de l’emploi occupé par le demandeur

  • Conseil d'État Sieur A… B… c/ Préfet du Val-de-Marne 22/07/2016 - Requête(s) : 397345

I – Le texte de l'arrêt


1. Considérant qu'aux termes de l'article R. 742-2 du Code de justice administrative : « Les ordonnances mentionnent le nom des parties, l'analyse des conclusions ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elles font application » ; que le juge des référés du tribunal administratif de Melun n'a mentionné le mémoire en défense du préfet du Val-de-Marne, enregistré le 29 janvier 2016 au greffe du tribunal administratif avant l'audience publique convoquée le 3 février 2016, ni dans les visas ni dans les motifs de son ordonnance ; qu'il suit de là, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, que le ministre de l'Intérieur est fondé à soutenir que l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité et à en demander, pour ce motif, l'annulation ;


2. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande de suspension en application des dispositions de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative ;


3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;


4. Considérant qu'aux termes de l'article 22 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : « Le droit à la formation professionnelle tout au long de la vie est reconnu aux fonctionnaires. Sans préjudice des actions de formation professionnelle prévues par les statuts particuliers, tout agent bénéficie chaque année, en fonction de son temps de travail, d'un droit individuel à la formation qu'il peut invoquer auprès de toute administration à laquelle il se trouve affecté parmi celles mentionnées à l'article 2. Ce droit est mis en œuvre à l'initiative de l'agent en accord avec son administration. Celle-ci prend en charge les frais de formation. Les actions de formation suivies au titre du droit individuel à la formation peuvent avoir lieu, en tout ou partie, en dehors du temps de travail. Dans ce cas, les agents bénéficiaires perçoivent une allocation de formation. Un décret en Conseil d'État détermine les conditions et modalités d'utilisation et de financement du droit individuel à la formation, le montant et les conditions d'attribution de l'allocation de formation dont peuvent bénéficier les agents en vertu du quatrième alinéa » ; qu'aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État : « Le fonctionnaire en activité a droit : 6° Au congé de formation professionnelle » ; 


5. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 15 octobre 2007 relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie des fonctionnaires : « La formation professionnelle tout au long de la vie comprend principalement les actions suivantes : 1° La formation professionnelle statutaire, destinée, conformément aux règles prévues dans les statuts particuliers, à conférer aux fonctionnaires accédant à un grade les connaissances théoriques et pratiques nécessaires à l'exercice de leurs fonctions et la connaissance de l'environnement dans lequel elles s'exercent ; 2° La formation continue, tendant à maintenir ou parfaire, compte tenu du contexte professionnel dans lequel ils exercent leurs fonctions, la compétence des fonctionnaires en vue d'assurer : a) Leur adaptation immédiate au poste de travail ; b) Leur adaptation à l'évolution prévisible des métiers ; c) Le développement de leurs qualifications ou l'acquisition de nouvelles qualifications ; 3° La formation de préparation aux examens, concours administratifs et autres procédures de promotion interne ; 4° La réalisation de bilans de compétences permettant aux agents d'analyser leurs compétences, aptitudes et motivations en vue de définir un projet professionnel ; 5° La validation des acquis de leur expérience en vue de l'acquisition d'un diplôme, d'un titre à finalité professionnelle ou d'un certificat de qualification inscrit au répertoire national prévu par l'article L. 335-6 du Code de l'éducation ; 6° L'approfondissement de leur formation en vue de satisfaire à des projets personnels et professionnels grâce au congé de formation professionnelle régi par le 6° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 » ; qu'en vertu de l'article 10 du même décret, tout fonctionnaire bénéficie d'un droit individuel à la formation professionnelle d'une durée de vingt heures par année de service ; qu'aux termes de l'article 11 du même décret : « Le droit individuel à la formation professionnelle est utilisé à l'initiative du fonctionnaire en accord avec son administration. L'utilisation du droit individuel à la formation par le fonctionnaire peut porter sur des actions régies par les b et c du 2° de l'article 1er, inscrites au plan de formation de son administration. Le fonctionnaire peut également faire valoir son droit individuel à la formation pour des actions mentionnées aux 3°, 4° et 5° de l'article 1er. L'action de formation choisie en utilisation du droit individuel à la formation fait l'objet d'un accord écrit entre le fonctionnaire et l'administration dont il relève.  L'administration dispose d'un délai de deux mois pour notifier sa réponse à la demande faite par l'agent. Le défaut de notification de sa réponse par l'administration au terme de ce délai vaut accord écrit au sens de l'alinéa précédent » ;


6. Considérant que le délai de deux mois au terme duquel le défaut de réponse par l'administration à une demande d'utilisation du droit individuel à la formation professionnelle vaut accord ne court qu'à compter de la réception par l'administration de l'ensemble des renseignements nécessaires pour statuer sur cette demande ; qu'il ressort des pièces du dossier que la demande initialement adressée le 6 novembre 2015 par M. B…, attaché d'administration centrale de l'État affecté au sein de la direction régionale interministérielle de l'habitat et du logement du Val-de-Marne, à la préfecture du Val-de-Marne, ne comportait pas l'avis de son supérieur hiérarchique sur l'utilisation de son droit individuel à la formation ; qu'à la suite de l'envoi d'un courriel par la section recrutement et formation de la préfecture, M. B… a adressé une nouvelle demande comportant l'avis favorable de son supérieur hiérarchique, qui a été reçue le 13 novembre 2015 ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'une décision implicite d'acceptation était intervenue le 6 janvier 2016 et que la décision qui lui a été notifiée par courriel le 11 janvier 2016 était tardive n'est pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ; qu'il en va de même du moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée ;


7. Considérant qu'il résulte des termes mêmes de l'article 11 du décret du 15 octobre 2007 que l'utilisation du droit individuel à la formation peut porter sur des actions de formation continue portant sur l'adaptation des fonctionnaires à l'évolution prévisible des métiers, le développement de leurs qualifications ou l'acquisition de nouvelles qualifications ainsi que sur la formation de préparation aux examens et concours administratifs, la réalisation de bilans de compétences ou la validation des acquis de leur expérience mais non sur des actions de formation en vue de satisfaire à des projets personnels ou professionnels en dehors de ce contexte professionnel, de telles actions relevant d'un congé de formation professionnelle ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'administration ne pouvait lui refuser l'utilisation de son droit individuel à la formation pour suivre une formation en boulangerie s'inscrivant dans le cadre d'un projet personnel n'est pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ;


8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'aucun des moyens invoqués par M. B… n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; que, dès lors, ses conclusions à fin de suspension présentées devant le juge des référés du tribunal administratif de Melun doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente affaire, la somme que M. B… demande à ce titre ;


DÉCIDE :


Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Melun du 4 février 2016 est annulée.


Article 2 : La demande présentée par M. B… devant le juge des référés du tribunal administratif de Melun est rejetée.


Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'Intérieur et à M. A… B…


CE, Sieur A… B… c/ Préfet du Val-de-Marne, 22 juillet 2016, n° 397345



II – LES texteS citÉS en rÉfÉrence


Articles L. 821- 2 du Code de justice administrative et L. 335-6 du Code de l'éducation


Articles L. 821- 2 du Code de justice administrative

S'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'État peut soit renvoyer l'affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l'affaire devant une autre juridiction de même nature, soit régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie.


Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'État statue définitivement sur cette affaire.



Article L. 335-6 du Code de l'éducation

I.-Les diplômes et titres à finalité professionnelle délivrés au nom de l'État sont créés par décret et organisés par arrêté des ministres compétents, après avis d'instances consultatives associant les organisations représentatives d'employeurs et de salariés quand elles existent, sans préjudice des dispositions des articles L. 331-1, L. 335-14, L. 613-1, L. 641-4 et L. 641-5 du présent code et L. 811-2 et L. 813-2 du Code rural et de la pêche maritime.


II.-II est créé un répertoire national des certifications professionnelles. Les diplômes et les titres à finalité professionnelle y sont classés par domaine d'activité et par niveau.


Les diplômes et titres à finalité professionnelle peuvent y être enregistrés à la demande des organismes ou instances les ayant créés et après avis de la Commission nationale de la certification professionnelle. Ceux qui sont délivrés au nom de l'État et créés après avis d'instances consultatives associant les organisations représentatives d'employeurs et de salariés y sont enregistrés de droit. Préalablement à leur élaboration, l'opportunité de leur création fait l'objet d'un avis public de cette commission dans un délai de trois mois. Passé ce délai, cet avis est réputé favorable.


Les certificats de qualification professionnelle établis par une ou plusieurs commissions paritaires nationales de l'emploi peuvent également être enregistrés au répertoire national des certifications professionnelles, à la demande des organismes ou instances les ayant créés et après avis conforme de la Commission nationale de la certification professionnelle.


Ces organismes ou instances garantissent tout au long de la période de validité de l'enregistrement :


1° La transparence de l'information donnée au public sur la certification qu'ils délivrent ;


2° La qualité du processus de certification ;


3° Lorsqu'ils sont à la tête d'un réseau d'organismes de formation qui délivrent la même certification, la qualité de la certification délivrée par chacun des membres du réseau.


Ces engagements sont précisés sur un cahier des charges défini par arrêté du ministre chargé de la Formation professionnelle, sur proposition de la Commission nationale de la certification professionnelle.


La Commission nationale de la certification professionnelle établit et actualise le répertoire national des certifications professionnelles. Elle veille à la cohérence, à la complémentarité et au renouvellement des diplômes et des titres ainsi qu'à leur adaptation à l'évolution des qualifications et de l'organisation du travail.


Les certifications et habilitations correspondant à des compétences transversales exercées en situation professionnelle peuvent être recensées dans un inventaire spécifique établi par la Commission nationale de la certification professionnelle.


Les personnes qui appartiennent aux promotions prises en compte dans le cadre de la procédure d'instruction pour enregistrement au répertoire national des certifications professionnelles visé au présent article ainsi que celles qui appartiennent à la promotion en cours et ayant obtenu la certification peuvent se prévaloir de l'inscription de cette certification au répertoire national des certifications professionnelles.


De même, les personnes qui ont suivi un cycle préparatoire à une certification en cours de validité au moment de leur entrée en formation peuvent, après obtention de la certification, se prévaloir de l'inscription de celle-ci au répertoire national des certifications professionnelles.


La Commission nationale de la certification professionnelle réalise l'évaluation publique qu'elle juge nécessaire de certificats de qualification professionnelle et émet des recommandations à l'attention des institutions délivrant des diplômes, des titres à finalité professionnelle ou des certificats de qualification figurant sur une liste établie par la commission paritaire nationale de l'emploi d'une branche professionnelle ; en vue d'assurer l'information des particuliers et des entreprises, elle leur signale notamment les éventuelles correspondances totales ou partielles entre les certifications enregistrées dans le répertoire national, ainsi qu'entre ces dernières et d'autres certifications, notamment européennes.


Un décret en Conseil d'État détermine les conditions d'enregistrement des diplômes et titres dans le répertoire national ainsi que la composition et les attributions de la Commission.



III – COMMENTAIRE


Le juge est là pour expliciter le droit applicable ; telle est la conclusion que l'on peut tirer de cette décision du Conseil d'État mettant en cause le préfet du Val-de-Marne pour avoir refusé au requérant un congé pour DIF (droit individuel de formation). Le tribunal administratif sollicité en référé avait suspendu la décision préfectorale, justifiant son pourvoi devant le Conseil d'État.


1. L'ordonnance attaquée ne contenant pas le mémoire en défense du préfet dans ses visas et ses motifs, elle est donc entachée d'irrégularité et en conséquence annulée. Selon l'article R. 742-2 du Code de la justice administrative : « Les ordonnances mentionnent le nom des parties, l'analyse des conclusions ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elles font application. » L'absence d'une de ces indications entraîne l'annulation de ladite ordonnance pour irrégularité ;


2. En ce qui concerne le droit individuel de formation inscrit à l'article 22 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, celui-ci doit suivre une procédure empruntant la voie hiérarchique et peut être suspendu dans l'attente d'une appréciation sollicitée de sa hiérarchie ;


3. Le DIF ne peut être dévoyé de son objet qui est précisé au 1° du décret du 15 octobre 2007 relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie des fonctionnaires. Le DIF, qui fait l'objet d'un accord écrit entre le sollicitant et son administration, est ouvert chaque année et est pris pour tout ou partie sur le temps de travail. Le DIF est accordé pour 20 heures par année de service limitativement selon ledit décret :


a. dû au contexte professionnel de l'agent :

- pour l'adaptation à l'évolution prévisible des métiers ;

- pour le développement de la qualification ou l'acquisition de nouvelles qualifications ;

b. la formation de préparation aux examens, concours administratifs et autres procédures de promotion interne ;

c. La réalisation de bilans de compétences en vue de définir un projet professionnel ;

d. La validation des acquis de leur expérience (VAE) en vue de l'acquisition d'un diplôme, d'un titre à finalité professionnelle ou d'un certificat de qualification inscrit au répertoire national prévu par l'article L. 335-6 du Code de l'éducation ;


Le juge du Conseil d'État constate que le métier de boulanger sollicité par l'agent est un projet personnel et non professionnel et qu'à ce titre, il ne relève pas d'un DIF mais d'une formation à titre personnel prévue sur le temps personnel de l'agent et surtout, pour partie, sur ses deniers après inscription au projet de formation de l'établissement.