L’interruption du traitement mensuel d’un PH en raison de son contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer la médecine

  • Cour administrative d'appel Douai M.B… 23/01/2024 - Requête(s) : 22DA02569

RÉSUMÉ

Sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, le directeur de l’hôpital qui emploie un PH sous contrôle judiciaire faisant l’objet d’une interdiction d’exercer la médecine a pu se fonder sur cette circonstance pour interrompre le versement de sa rémunération pour absence de service fait.

 

I – LE TEXTE DE L’ARRÊT

Considérant ce qui suit :

1. M. A… B…, médecin généraliste, exerce au centre hospitalier d'Hénin-Beaumont, sous le statut de praticien hospitalier à temps plein, depuis juin 2013. Par décision du 18 juillet 2018, le directeur du centre hospitalier d'Hénin-Beaumont l'a immédiatement suspendu de ses fonctions à titre conservatoire et dans l'intérêt du service, avec maintien de sa rémunération. Par décision du 17 février 2020, le directeur du centre hospitalier d'Hénin-Beaumont a interrompu le versement de sa rémunération à compter du mois de février 2020. M. B… a formé, à l'encontre de cette dernière décision, un recours gracieux par un courrier du 6 avril 2020, qui a donné lieu à une décision implicite de rejet. M. B… relève appel du jugement n° 2008126 du 13 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 17 février 2020 et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux. Il conclut en outre, devant la cour et par voie d'action, à l'annulation de la décision du 18 juillet 2018.

Sur la recevabilité des conclusions tendant, par voie d'action, à l'annulation de la décision du 18 juillet 2018 du directeur du centre hospitalier d'Hénin-Beaumont :

2. Aux termes de l'article R. 421-1 du Code de justice administrative : « La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / […] ». Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : « Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ».

3. Il ressort des pièces du dossier, notamment des mentions portées sur la copie de la décision du 18 juillet 2018 produite par M. B…, que ce dernier en a eu notification en main propre le 18 juillet 2018 comme en atteste la mention manuscrite en ce sens qu'il y a portée, assortie de sa signature manuscrite. Cette décision comporte la mention régulière des voies et délais de recours. Le délai de recours de deux mois a donc commencé à courir, conformément aux dispositions des articles R. 421-1 et R. 421-5 du Code de justice administrative citées au point précédent. Il est constant qu'aucun recours administratif ni aucun recours contentieux n'a été déposé dans ce délai. À la date à laquelle M. B… a demandé, dans le cadre de la présente instance, l'annulation de la décision attaquée, celle-ci avait donc déjà acquis un caractère définitif. Il s'ensuit que ses conclusions tendant à son annulation sont tardives. Au surplus, alors que M. B… s'était borné en première instance à exciper de l'illégalité de cette décision au soutien de sa demande d'annulation de celle du 17 février 2020, il en sollicite désormais l'annulation par voie d'action devant la cour, ce qu'il n'est pas davantage recevable à faire pour la première fois en appel. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense par le centre hospitalier d'Hénin-Beaumont doit être accueillie et ces conclusions doivent être en tout état de cause rejetées comme irrecevables.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué et la légalité de la décision du 17 février 2020 du directeur du centre hospitalier d'Hénin-Beaumont :

4. Pour demander l'annulation de la décision du 17 février 2020 par laquelle le directeur du centre hospitalier d'Hénin-Beaumont a interrompu le versement de sa rémunération à compter du mois de février 2020, M. B… soutient, d'une part, que cette décision, qui est prise pour l'application de la décision du 18 juillet 2018 portant suspension de ses fonctions à titre conservatoire, trouve sa base légale dans celle-ci et s'insère en tout état de cause avec elle dans une opération complexe, est illégale du fait des illégalités dont celle du 18 juillet 2018 est elle-même entachée et, d'autre part, que le directeur du centre hospitalier d'Hénin-Beaumont a en tout état de cause entaché sa décision du 17 février 2020 d'erreur manifeste d'appréciation en interrompant le versement de sa rémunération pour absence de service fait alors qu'il est lui-même à l'origine de cette situation.

En ce qui concerne l'exception d'illégalité de la décision du 18 juillet 2018 :

5. D'une part, l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l'application du premier acte ou s'il en constitue la base légale. S'agissant d'un acte réglementaire, une telle exception peut être formée à toute époque, même après l'expiration du délai du recours contentieux contre cet acte. S'agissant d'un acte non réglementaire, l'exception n'est, en revanche, recevable que si l'acte n'est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée, sauf dans le cas où l'acte et la décision ultérieure constituant les éléments d'une même opération complexe, l'illégalité dont l'acte serait entaché peut-être invoquée en dépit du caractère définitif de cet acte. Par ailleurs, l'expiration du délai dont dispose un administré pour contester une décision non réglementaire ne fait pas obstacle, en principe, à ce qu'il se prévale de l'illégalité de cette décision à l'appui d'une demande d'indemnité.

6. D'autre part, sans préjudice des autres dispositifs de suspension prévus notamment aux articles L. 4113-14 et R. 6152-77 du Code de la santé publique, le directeur d'un centre hospitalier, qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du même code, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients, décider de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné. Cette mesure, à caractère conservatoire et qui n'est, par elle-même, pas constitutive d'une sanction disciplinaire, ne peut avoir en revanche ni pour objet ni pour effet de priver le praticien hospitalier des droits qu'il tire de son statut, notamment de sa rémunération. Le versement de celle-ci peut néanmoins être interrompu pour absence de service fait si une autre circonstance, distincte de la mesure de suspension, fait obstacle à l'exercice régulier des fonctions.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. B… a été suspendu de ses fonctions à titre conservatoire par une décision du 18 juillet 2018 du directeur du centre hospitalier d'Hénin-Beaumont, prise au titre des attributions que confère à ce dernier sa qualité de chef de service, mais qu'il a continué à percevoir sa rémunération. Pour interrompre le versement de celle-ci par la décision du 17 février 2020, le directeur de l'établissement s'est fondé, contrairement à ce que soutient M. B…, non pas sur l'absence de service fait résultant de la mesure de suspension conservatoire prise à son encontre mais sur l'interdiction d'exercer les fonctions de médecin généraliste prononcée par l'autorité judiciaire dans le cadre de la procédure pénale dont il fait par ailleurs l'objet, laquelle interdiction fait en tout état de cause obstacle, tant qu'elle demeure applicable, à la reprise de son service. La décision du 17 février 2020, qui repose ainsi sur des considérations de droit et de fait distinctes de celles de la décision du 18 juillet 2018, ne peut être regardée ni comme étant prise pour l'application de cette dernière décision, ni comme trouvant sa base légale dans celle-ci. Ces deux décisions ne s'inscrivent pas davantage dans le cadre d'une opération complexe. Enfin, ainsi qu'il a été dit au point 3, la décision du 18 juillet 2018 est en tout état de cause définitive depuis le 19 septembre 2018. Si cette circonstance ne s'opposerait pas à ce que M. B… puisse invoquer la supposée illégalité de cette décision à l'appui d'une demande indemnitaire, il n'a en tout état de cause présenté de conclusions en ce sens ni devant les premiers juges, ni devant la cour.

8. Dans ces conditions, et par application des principes rappelés au point 5, M. B… n'est, ainsi que le soutient le centre hospitalier d'Hénin-Beaumont en défense, pas recevable, à l'occasion de la contestation de la décision du 17 février 2020 portant interruption du versement de sa rémunération, à exciper de l'illégalité de la décision du 18 juillet 2018 portant suspension de ses fonctions à titre conservatoire. Au surplus, aucun des moyens qu'il soulève à l'encontre de cette décision n'est de toute façon fondé dès lors qu'il résulte des principes rappelés au point 6 que le directeur d'un centre hospitalier est compétent, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients, pour suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier, que cette mesure conservatoire n'est pas constitutive d'une sanction disciplinaire et n'a pas à être adoptée suivant la procédure disciplinaire prévue aux articles R. 6152-75 à R. 6152-78 du Code de la santé publique et qu'aucun texte ni aucun principe n'impose de fixer une durée. L'exception d'illégalité de la décision du 18 juillet 2018 doit, dès lors, être en tout état de cause écartée.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dirigé contre la décision du 17 février 2020 :

9. Ainsi qu'il a été dit au point 7, il ressort des pièces du dossier que M. B… fait l'objet d'un placement sous contrôle judiciaire, incluant notamment l'interdiction d'exercer les fonctions de médecin généraliste, ce dont le centre hospitalier d'Hénin-Beaumont a été informé par courrier du 7 février 2020 du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Béthune. Il est constant que cette interdiction s'opposait, pendant toute la durée de son application, à ce que M. B… puisse reprendre les fonctions pour lesquelles il était employé par le centre hospitalier d'Hénin-Beaumont. C'est dès lors sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que le directeur de cet établissement s'est fondé sur cette circonstance pour interrompre le versement de sa rémunération pour absence de service fait. À cet égard, contrairement à ce que soutient M. B… et ainsi qu'il a déjà été dit au point 7, il ressort des énonciations de la décision attaquée que c'est sur l'interdiction d'exercer qui lui est faite dans le cadre de son contrôle judiciaire que le directeur du centre hospitalier d'Hénin-Beaumont s'est fondé pour conclure à l'absence de service fait et non sur la mesure de suspension prononcée à titre conservatoire le 18 juillet 2018. Par ailleurs, les conséquences financières et matérielles de la décision du 17 février 2020 sur la situation personnelle de M. B… sont sans incidence sur sa légalité. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation soulevé par M. B… doit être écarté.

10. Il résulte de ce qui précède que M. B… n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 17 février 2020, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux, ainsi que, par voie de conséquence, celles à fin d'injonction et d'astreinte. Il s'ensuit que les conclusions qu'il présente en appel, tendant à l'annulation du jugement attaqué et à ce qu'il soit fait droit à ces conclusions de première instance, doivent à leur tour être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier d'Hénin-Beaumont, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. B…, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de celui-ci la somme demandée par le centre hospitalier d'Hénin-Beaumont, au même titre.

 

DÉCIDE

Article 1er : La requête de M. B… est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier d'Hénin-Beaumont présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A… B… et au centre hospitalier d'Hénin-Beaumont.

CAA de Douai, 23 janvier 2024, M.B…, n°22DA02569

 

II – COMMENTAIRE

Un PH placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer la médecine ne peut pas être rémunéré par son établissement nonobstant la mesure de suspension provisoire prise antérieurement. Tel est le message qui ressort de l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Douai le 23 janvier 2024. 

 

Commençons toutefois par un rappel des faits : le PH avait fait l’objet par décision du 18 juillet 2018 prise par le directeur de son hôpital d’une suspension provisoire, dans l’intérêt du service, de ses activités cliniques et thérapeutiques. On comprend, à la lecture de l’arrêt, que le PH faisait également l’objet d’une procédure pénale et avait été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer la médecine. Le Procureur de la République de Béthune avait informé le centre hospitalier par courrier du 7 février 2020. Quelques jours plus tard, par décision du 17 février 2020, le directeur de l’hôpital a interrompu le versement de sa rémunération à compter du mois de février 2020 en se fondant sur l’interdiction d’exercer la médecine prononcée par l’autorité judiciaire. 

Après avoir saisi le juge administratif, le requérant a vu sa requête rejetée en première instance et devant la juridiction d’appel.

 

L’enseignement à retenir de l’arrêt rendu le 23 janvier 2024 est très clair : tant que le PH fait l’objet d’une suspension provisoire de ses activités cliniques et thérapeutiques, il continue à percevoir sa rémunération, mais, à partir du moment où une interdiction d’exercer la médecine a été prise par une autorité compétente, l’hôpital peut légitimement mettre fin au versement de la rémunération mensuelle. 

En définitive, cet arrêt du 23 janvier 2024 ne fait que reprendre à son compte la jurisprudence de la cour administrative de Versailles du 10 juin 2020 selon « laquelle l'administration peut, indépendamment de toute action disciplinaire, mettre fin à tout moment à une mesure de suspension prise antérieurement à l'égard d'un fonctionnaire et, dans le cas où celui-ci fait l'objet d'une incarcération ou d'une mesure de contrôle judiciaire lui interdisant d'exercer ses fonctions, interrompre par voie de conséquence le versement du traitement pour absence de service fait à compter de la date à laquelle la mesure de suspension cesse de s'appliquer » (CAA de Versailles, 10 juin 2020, Mme C…-A…, n°19VE03026, FJH n° 062, p. 259, 2020 pour un PH temps plein).