Le Pacte de lutte contre les déserts médicaux de François Bayrou

Après l'Assemblée Nationale et le Sénat (voir nos veilles du 4 avril 2025 et du 17 avril 2025), voici le Pacte de lutte contre les déserts médicaux du Premier ministre, présenté le 25 avril dernier.

En 2024, 87% du territoire est classé en désert médical et ce, en dépit des nombreuses réformes engagées depuis 2017 (cf. partie 2 du pacte) : renforcement des structures de soins de proximité, suppression du numerus clausus, contrat d'engagement de service public, déploiement des assistants médicaux, plan d'action pour doter les patients en ALD (affection longue durée) d'un médecin traitant…mais également le service d'accès aux soins curieusement non évoqué.

Le Pacte repose sur 4 axes combinant formation, organisation des soins, engagement collectif de la profession médicale et partenariat renforcé avec les collectivités locales. Chaque axe est assorti d’objectifs opérationnels concrets et d’indicateurs de suivi.

 

1. DIVERSIFIER L’ORIGINE GÉOGRAPHIQUE ET SOCIALE DES ÉTUDIANTS EN PERMETTANT À PLUS DE JEUNES D’ACCÉDER AUX ÉTUDES EN SANTÉ, SUR L’ENSEMBLE DU TERRITOIRE

Constat : 24 départements ne disposent d’aucun accès local aux études de santé, alors que les médecins s’installent majoritairement près de leur lieu de formation.

Objectifs et mesures 

Former au plus près des territoires : développement des options "santé" dès le lycée ; ouverture d’une première année de santé dans chaque département d’ici 2026, via universités, campus connectés ou partenariats locaux.

Mobiliser les internes et docteurs juniors : 4e année d’internat de médecine générale généralisée dès novembre 2026, avec stages obligatoires hors CHU et en zones sous-denses.

Augmenter le nombre de médecins formés : réforme du numérus apertus pour prioriser les besoins territoriaux ; accès annuel aux études en santé tout au long de la licence ; simplification du retour d’étudiants français partis à l’étranger ; réforme de l’accueil des PADHUE ; facilitation des passerelles vers les études médicales.

Résultats attendus 

3 700 nouveaux médecins généralistes formés pour les zones sous-denses.

100 % des étudiants en médecine effectueront au moins un stage en zone sous-dense.

+20 % d’étudiants en santé à l’horizon 2030.

 

2. DÉPLOYER UN PRINCIPE DE SOLIDARITÉ DE L’ENSEMBLE DE LA COMMUNAUTÉ MÉDICALE POUR DÉVELOPPER L’OFFRE DE SOINS DANS LES TERRITOIRES LES PLUS CRITIQUES

Mesures principales :

Mission de solidarité obligatoire : tous les médecins devront intervenir jusqu’à deux jours par mois dans des zones identifiées comme prioritaires par l'ARS ("zones rouges"), sur le modèle de la permanence des soins. Les médecins pourront se faire remplacer dans leur cabinet.

Généralisation des permanences de soins : couverture du territoire les soirs, week-ends et nuits, avec contrôle des plannings et recours aux réquisitions en cas de carence.

Création du statut de praticien territorial de médecine ambulatoire : engagement de deux ans minimum en zone rouge, avec garantie de revenu et exonération de solidarité obligatoire. Mais ce statut n’ouvrira pas l’accès au secteur 2.

Mobilisation des établissements : développement de consultations spécialisées hors les murs, facilitées par les ARS.

Mesures complémentaires :

  • Soutien au maintien du réseau officinal, notamment en zones fragiles.
  • Ouverture dérogatoire de pharmacies dans les petites communes (<2 500 hab.).
  • Mesures transitoires pour faire face aux tensions dans les pharmacies hospitalières en permettant le remplacement temporaire ou l'exercice par des pharmaciens non détenteurs du diplôme spécialisé.

 

3. MODERNISER LES ORGANISATIONS ET UNIR LES COMPÉTENCES POUR SOIGNER PLUS DE PATIENTS

Objectifs et leviers :

Réduction de la charge administrative : suppression des certificats médicaux non justifiés (absences scolaires, sport, etc.), avec instruction nationale prévue en mai 2025.

Déploiement d’assistants médicaux : 15 000 assistants médicaux d’ici 2028, aux missions élargies pour libérer du temps médical.

Extension des compétences paramédicales et pharmaceutiques : les pharmaciens pourront délivrer certains traitements pour des affections bénignes, sur la base de protocoles validés. Les orthophonistes, kinésithérapeutes, audioprothésistes ou podologues verront leurs actes élargis, et l’accès direct à certaines professions sera facilité. 

Encadrement des pratiques : encadrement spécifique pour limiter les activités esthétiques non thérapeutiques des médecins généralistes, plafonnées à 10 % de leur chiffre d’affaires

Développement du numérique et de l’IA : appel à projets « IA & accès aux soins » et suppression du plafond de téléconsultation pour les médecins retraités.

L’impact attendu de l’ensemble de ces mesures est considérable : jusqu’à 50 millions de consultations supplémentaires par an pourraient être dégagées dans les zones sous-dotées, en combinant les effets de la solidarité médicale, de la mobilisation des docteurs juniors, de la simplification administrative et de l'élargissement des compétences.

 

4. AVEC LES ÉLUS LOCAUX, CRÉER DES CONDITIONS D’ACCUEIL ATTRACTIVES POUR LES ÉTUDIANTS ET PROFESSIONNELS DE SANTÉ SUR TOUT LE TERRITOIRE

Il s'agit de créer, avec les élus locaux, des conditions d’accueil attractives et durables pour les professionnels de santé dans tous les territoires. 

Plusieurs axes d'actions sont déployés :

  • Synergie ARS – Préfets – Collectivités locales : logement, crèches, mobilité, sécurité.
  • Évaluation du zonage "France Ruralités Revitalisation" pour le coordonner avec le zonage médical.
  • Guichet numérique unique d’aide à l’installation à l’échelle régionale, basé sur les portails PAPS.
  • Amélioration des services numériques (Ameli Pro) et des internats ruraux.
  • Mesures de sécurisation de l’exercice :
    • Dispositifs d’alerte et protection (boutons d’urgence, visioplainte).
    • Renforcement du cadre juridique : proposition de loi sur la sécurité des professionnels (extension du délit d’outrage, aggravation des peines, droit à plainte par l’établissement employeur).

 

La partie 4 précise le calendrier de mise en œuvre et ce, dès 2025. Plusieurs mesures nécessitent une inscription dans la loi et seront intégrées à des textes en cours ou à venir, notamment  le projet de loi de simplification de la vie économique ou des propositions de loi ciblées : Garot (déserts médicaux), Mouiller (accès aux soins), Pradal (sécurité des professionnels), Dubré-Chirat (professions infirmières) sans oublier les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2026. En revanche, d’autres mesures relèvent du champ réglementaire et seront mises en œuvre dès 2025 (par exemple : réforme des Épreuves de Vérification des Connaissances (EVC) pour les PADHUE et mise en oeuvre de la mission de solidarité territoriale).

 

Les réactions à ce Pacte sont mitigées. Les pharmaciens ont plutôt accueillis ces mesures favorablement à l'exception des dispositions sur l'exercice en PUI, là où les infirmiers ou les kinésithérapeutes sont plutôt critiques.

Plusieurs questions ont été soulevées : “Qui créera et gérera les structures où exercer ? Quid de la qualité du suivi dans le cadre d’un turnover continu de médecins généralistes ? Quelle pertinence de s’appuyer sur des médecins qui quitteront leur cabinet en délaissant leurs patients pour exercer dans une autre structure ?” (ReAGJIR).

De son côté, la Fédération nationale des infirmiers pointe un recyclage “des mesures déjà actées, ou ressorties du cimetière de la Loi Bachelot” notamment sur les consultations en zones sous-dotées. Les étudiants en médecine ne sont pas plus enthousiastes. 

Quoiqu'il en soit, ces propositions ne sont pas un obstacle à l'examen de la proposition de loi Garot dont l'article 1er, déjà adopté début avril, a acté une autorisation d’installation des médecins, délivrée par l’ARS de droit en zone sous-dotée et sous conditions strictes si ce n'est pas le cas. 

 

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