En l’absence d’un tableau d’avancement unique pour les catégories professionnelles d’un même corps (aides-soignants et auxiliaires de puériculture), le juge impose à l’établissement fautif de reconstituer la carrière de l’agent lésé

  • Conseil d'État Dame A. c/CHR et U de Clermont Ferrand 03/07/2015 - Requête(s) : 372041

I LE TEXTE DE L'ARRȆT

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A…, auxiliaire de puériculture au centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand, estimant avoir été lésée par la pratique ayant consisté, jusqu'en juin 2009, à établir des tableaux d'avancement distincts pour les aides-soignants et les auxiliaires de puériculture, en dépit de leur appartenance à un même corps, a demandé au directeur de l'établissement de reconstituer sa carrière; que le directeur a rejeté cette demande par une décision du 24 septembre 2012; que, par un jugement du 5 juillet 2013, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté la demande de l'intéressée tendant à l'annulation de cette décision et à ce qu'il soit enjoint au centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand de reconstituer sa carrière à compter de la date d'entrée en vigueur du décret du 18 avril 1989 et de lui verser en conséquence des rappels de traitement; que Mme A… se pourvoit en cassation contre ce jugement;


2. Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret du 18 avril 1989 portant statut particulier des aides-soignants et des agents des services hospitaliers de la fonction publique hospitalière, qui en vertu de son article 25 a pris effet le 1er janvier 1989: « Le corps des aides-soignants comprend les aides-soignants, les auxiliaires de puériculture et les aides psychologiques »; que ces dispositions ont été reprises à l'article 3 du décret du 3 août 2007 qui a édicté un nouveau statut des agents en cause;


3. Considérant que l'égalité de traitement à laquelle ont droit les agents d'un même corps fait obstacle à l'institution de tableaux et de règles d'avancement distincts pour certaines catégories d'entre eux; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'en violation de ce principe, le centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand a maintenu jusqu'au mois de juin 2009 des tableaux d'avancement distincts pour les aides-soignants et les auxiliaires de puériculture;


4. Considérant qu'il appartenait au directeur du centre hospitalier, saisi par Mme A… d'une demande de reconstitution de carrière fondée sur le constat d'une telle illégalité dans la mise en œuvre des règles d'avancement des agents d'un même corps, de vérifier si l'établissement de tableaux d'avancement distincts avait eu une incidence sur le déroulement de la carrière de l'intéressée et, dans le cas où cet examen aurait fait apparaître qu'elle s'était trouvée désavantagée, de prendre les mesures nécessaires pour la rétablir dans ses droits statutaires; que pour rejeter la demande de l'intéressée, le tribunal administratif s'est notamment fondé sur le motif qu'elle n'établissait pas que la coexistence de deux tableaux d'avancement avait eu des conséquences préjudiciables sur le déroulement de sa carrière; qu'il résulte de ce qui vient d'être dit qu'en statuant ainsi, le tribunal administratif a commis une erreur de droit;


5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le jugement attaqué doit être annulé; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative, le versement à Mme A… d'une somme de 3000 euros; que les mêmes dispositions font obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par le centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand soit mise à la charge de Mme A…, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance;


DÉCIDE:


Article 1er: Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 5 juillet 2013 est annulé.


Article 2: L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Clermont-Ferrand.


Article 3: Le centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand versera à Mme A… une somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.


Article 4: Les conclusions présentées par le centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.


Article 5: La présente décision sera notifiée à Mme B… A… et au centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand.


CE, Dame A. c/CHR et U de Clermont Ferrand, 3 juillet 2015, n° 372041


II – COMMENTAIRE


La notion d'égalité est un des principes essentiels du droit public. Pour ne pas avoir déféré à ce principe, le CHU de Clermont Ferrand a vu le tableau d'avancement distinct des aides-soignants et des auxiliaires de puériculture frappé d'inégalité et donc annulé, avec l'obligation de reconstituer la carrière de la requérante afin, éventuellement, de la dédommager des pertes financières que cette inégalité a entraînées.


Le tableau d'avancement est établi annuellement pour être soumis à la commission administrative paritaire compétente pour la catégorie d'agents en fonction de la répartition en corps et grade selon leur statut particulier. Le tribunal administratif n'avait pas, en première instance, trouvé à redire sur la scission du tableau d'avancement du corps des aides-soignants entre, d'une part les aides-soignants et, d'autre part, les auxiliaires de puériculture. Cette distinction entre deux métiers d'un même corps n'avait pas que des aspects négatifs pour chacun des membres de ces corps qui pouvaient, en conséquence, être comparés entre eux. Le juge du Conseil d'État en a décidé autrement, sous le principe de l'égalité des membres d'un même corps, fussent-ils de métier différent. Relevons que les aides-soignants sont bien plus nombreux que les auxiliaires de puériculture, justifiant de fait (mais non de droit) un tableau d'avancement spécifique. En regroupant les métiers d'un même corps, on assure en droit l'égalité entre les membres de ce corps, mais on lèse en fait les membres du corps le moins nombreux.