Tel est l'enseignement de l'arrêt du Conseil d'État dans sa décision n°491128 du 11 février 2025.
En l'espèce, la société Mediflash a pour vocation de mettre en relation des soignants (infirmiers, aides-soignants, éducateurs…) et des établissements pour des “missions de renfort”, particulièrement en EHPAD. La société agit en tant qu'intermédiaire, et non d'entreprise de travail temporaire.
Une lettre n° D21-031940/CA/VS du 30 décembre 2021 de la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et du ministre des solidarités et de la santé visait “explicitement à mettre en garde les directeurs d'établissements de santé, sociaux et médico-sociaux quant au recours aux services de certains professionnels paramédicaux, dont les aides-soignants, sous un statut de travailleur indépendant, en faisant valoir l'illégalité de cette situation au regard des dispositions du code de la santé publique et du code du travail et le risque, en cas de contentieux, de requalification des contrats conclus avec ces professionnels en contrat de travail ainsi que de possibles sanctions pénales pour travail dissimulé.” En effet, la lettre précisait ”en l'état actuel de la règlementation, il n'est donc légalement pas possible pour un aide-soignant d'exercer en tant que travailleur indépendant et d'être mis à disposition auprès d'un établissement de santé ou médico-social sous ce statut. " Les aides-soignants ne sont pas les seuls visés par cette lettre qui énumérait également les auxiliaires de puériculture, les IBODE, les IADE, les infirmiers en puériculture, les conseillers en génétiques et les assistants dentaires, comme ne pouvant pas exercer sous statut de travailleur indépendant, qui est distinct du statut libéral.
Mediflash a demandé, sans succès, l’abrogation de cette lettre, puis a saisi le Conseil d'État qui n'a pas davantage accueilli sa requête aussi bien en référé (CE, juge des référés, 5 février 2024, n°491130) qu'au fond.
Tout d'abord, les juges constatent que le contenu même de cette lettre “est susceptible d'avoir des effets notables sur la situation des professionnels médicaux et paramédicaux qui exercent sous un tel statut comme sur celle de la société requérante, dont l'activité exclusive est de mettre en relation ces professionnels et des établissements de santé, sociaux et médico-sociaux”. Dès lors, le recours pour excès de pouvoir est admis.
Ensuite, le CE s'attache à rappeler le cadre du travail indépendant qui, selon l'article L. 8221-6 du code du travail, exclut normalement “un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription” sauf si “les personnes …fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci”. Le spectre de la dissimulation d'emploi se profile si “si le donneur d'ordre s'est soustrait intentionnellement par ce moyen à l'accomplissement des obligations incombant à l'employeur”.
Or, souligne le Conseil d'État, “l'existence d'une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle. Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail.”
Au surplus, les conditions d'exercice de certains professionnels et notamment les aides-soignants, telles que posées par le code de la santé publique ou le code de l'action sociale et des familles, sont limitatives ; “les aides-soignants ne peuvent, dans les établissements à caractère sanitaire, social ou médico-social, exercer leur activité que sous la responsabilité et la conduite d'un infirmier, dans le respect de l'organisation interne de l'établissement et des emplois du temps arrêtés à cette fin et avec les moyens de l'établissement s'agissant des soins à donner aux patients." Conséquence : ”lorsqu'ils exercent au sein d'un tel établissement, les aides-soignants doivent nécessairement être regardés comme étant placés sous l'autorité et le contrôle de la hiérarchie de cet établissement. "
L'adoption récente de la Directive (UE) 2024/2831 relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme du 23 octobre 2024 va impacter ces pratiques, même si sa transposition en droit national est prévue au 2 décembre 2026. La directive retient une présomption de salariat, dans des conditions moins strictes qu’au départ (cf. article 5).