La demande de question prioritaire de constitutionnalité des organismes professionnels des sages-femmes visant à leur reconnaître un statut autonome identique aux praticiens hospitaliers est rejetée

  • Conseil d'État Organisation nationale syndicale des sages-femmes et al 09/03/2016 - Requête(s) : 388194

I – LE TEXTE DE L'ARRȆT


1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État » ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;


2. Considérant que l'Organisation nationale syndicale des sages-femmes et autres demandent le renvoi au Conseil constitutionnel de la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, en tant qu'il n'étend pas aux sages-femmes en exercice dans les établissements publics de santé l'exception selon laquelle les dispositions de cette loi ne s'appliquent pas « aux médecins, odontologistes et pharmaciens mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 6152-1 du Code de la santé publique » ; que les organisations requérantes soutiennent que la différence de traitement ainsi instaurée entre les sages-femmes, qui relèvent d'un statut particulier pris en application de l'article 5 de la loi, et les médecins, odontologistes ou pharmaciens qui relèvent de statuts autonomes pris en application des dispositions de l'article L. 6152-1 du Code de la santé publique, méconnaît le principe d'égalité devant la loi énoncé par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ;


3. Considérant que les organisations requérantes soutiennent que le législateur et le pouvoir réglementaire ont prévu, pour la profession de sage-femme, des dispositions qui en rapprochent l'exercice de celui de la profession de médecin ou de chirurgien-dentiste, telles qu'un code de déontologie, une certaine liberté de prescription, la possibilité d'accomplir certains actes sans prescription médicale, ou encore l'application de règles communes de représentation au sein des directoires des établissements publics de santé ; que, cependant, contrairement à ce que soutiennent les organisations requérantes, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment pas des différents éléments dont elles se prévalent ainsi qu'il vient d'être dit, qui ne sont d'ailleurs pas tous propres aux professions dites « médicales », régies par le livre Ier de la 4e partie du Code de la santé publique, que la profession de sage-femme se trouve, eu égard à ses missions, ses qualifications et ses responsabilités, dans la même situation que les professions de médecin, d'odontologiste ou de pharmacien au sein des établissements publics de santé ;


4. Considérant, au surplus, que les différences de traitement critiquées par les organisations requérantes, tirées des conditions particulières dans lesquelles le pouvoir hiérarchique serait exercé et les procédures disciplinaires seraient mises en œuvre à l'égard des fonctionnaires sages-femmes, des modalités particulières du « développement professionnel continu » qui leur sont applicables ou encore de l'impossibilité d'exercer à titre libéral au sein de l'hôpital public ne sont, en tout état de cause, pas les conséquences nécessaires de ce que leur statut n'est, en application de la disposition dont la constitutionnalité est contestée, pas au nombre des statuts autonomes prévus par l'article L. 6152-1 du Code de la santé publique ;


5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;


DÉCIDE :


Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'Organisation nationale syndicale des sages-femmes et autres.


Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Organisation nationale syndicale des sages-femmes, au Collège national des sages-femmes de France, à la Conférence nationale des enseignants en maïeutique, à l'Association nationale des étudiants sages-femmes et à l'Association nationale des sages-femmes cadres.


CE, Organisation nationale syndicale des sages-femmes et al., 9 mars 2016, n° 388194



II – COMMENTAIRE


La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) fut inscrite dans la Constitution du 4 octobre 1958 au cours de la réunion en congrès du Parlement à Versailles sous la présidence de Nicolas Sarkozy pour permettre aux justiciables de demander, sous le tri préalable soit du Conseil d'État soit de la Cour de cassation, au Conseil constitutionnel de dire si un texte, une loi ou un décret, est conforme à la Constitution et à son préambule ;


Dans cette affaire soumise au Conseil d'État par les organisations professionnelles et syndicales des sages-femmes, les requérantes demandent à la haute juridiction administrative de transmettre, pour étude de constitutionnalité, l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 relative à la fonction publique hospitalière.


De quoi s'agit-il ? Les sages-femmes contestent, alors qu'elles sont reconnues comme profession médicale, d'être soumises à la fonction publique hospitalière. Elles demandent à rejoindre le statut de PH comme cela fut reconnu aux pharmaciens d'hôpital. Pour elles, il s'agit de souscrire au principe d'égalité entre les professions médicales dont elles se sentent exclues, nonobstant la reconnaissance de leur place dans les commissions médicales d'établissement.


Pour refuser de transmettre au Conseil constitutionnel au titre de la question prioritaire de constitutionnalité cette différence de traitement qui, selon les plaignantes, remet en cause l'égalité de traitement entre professions médicales et la liberté professionnelle, le Conseil d'État considère que les sages-femmes hospitalières ne peuvent se comparer aux médecins, odontologistes et pharmaciens hospitaliers car elles n'ont pas des équivalences de mission, de qualification et de responsabilité.


Que l'on sache, les missions des sages-femmes hospitalières sont autonomes dans l'accouchement physiologique, c'est-à-dire non thérapeutique. De plus, les qualifications sont suffisamment reconnues pour leur permettre de prescrire des médicaments, y compris abortifs. Enfin, les responsabilités de la sage-femme en salle d'accouchement sont aussi importantes que celles des obstétriciens, mais ne peuvent concerner que les accouchements physiologiques ; les autres, c'est-à-dire les accouchements pathologiques, en appellent aux obstétriciens.


Le refus de la QPC apparaît plus conforme à la hiérarchie des tâches prévues lors de l'insertion des sages-femmes dans la fonction publique hospitalière qu'à la volonté de leur émancipation en profession médicale. N'est-ce pas une atteinte à la volonté d'élargir le transfert des compétences des médecins vers les professions parallèles (sages-femmes) ou auxiliaires (infirmiers) ?

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