La CJUE donne les clés pour qualifier ou pas un temps de travail en temps de garde ou d'astreinte

Si les juridictions françaises disposent de décisions récentes sur les contours de la définition du temps d'astreinte, par opposition au temps de garde, y compris en droit hospitalier, les décisions de la Cour de justice de l'Union Européenne présentent toujours un intérêt majeur.

En droit français, il est acquis que :

- être joignable en dehors de ses heures de service mais sans être tenu de rester sur son lieu de travail est constitutif d'une astreinte (pour le gardien de l'établissement : CAA de Lyon, 17 décembre 2020, M. E…, n°18LY00365) ;

- y compris lorsqu'un logement est mis à disposition du moment que l'agent peut librement vaquer à ses occupations (pour un infirmier-anesthésiste : CAA de Douai, 22 décembre 2020, Mme A…, n°19DA02108, CE, Mme B... A…, 13 octobre 2017, n° 396934,  et contra : CE, 19 décembre 2019, Mme B…, n° 418404 car les infirmiers-anesthésistes devaient demeurer à proximité de l'établissement ou CAA de Lyon, M. D…, 9 juillet 2020, n°18LY00923 pour un agent du service de sécurité incendie devant intervenir à tout moment).

Au plan européen, la CJUE a établi son analyse depuis l'arrêt "Ville de Nivelles contre Rudy Matzak" du 21 février 2018 pour un sapeur-pompier volontaire. En l'espèce, l'intéressé était "contraint d'être physiquement présent au lieu déterminé par l'employeur", en l'occurrence son domicile, et de rejoindre son lieu de travail en 8mn. Dans ces conditions, ces obligations "sont de nature à limiter de manière objective les possibilités qu'un travailleur se trouvant dans la condition de M. Matzak a pour se consacrer à ses intérêts personnels et sociaux". Ce temps était donc du temps de travail.

Dans ses dernières décisions, en date du 9 mars 2021, la Cour juge, en premier lieu,que les périodes de garde, y compris sous régime d'astreinte, relèvent également, dans leur intégralité, de la notion de «temps de travail» lorsque les contraintes imposées au travailleur au cours de celles-ci affectent objectivement et très significativement sa faculté de gérer librement le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de se consacrer à ses propres intérêts. À l'inverse, en l'absence de telles contraintes, seul le temps lié à la prestation de travail qui est, le cas échéant, effectivement réalisée au cours de telles périodes doit être considéré comme du «temps de travail». Il faut alors prendre en considération les seules contraintes imposées au travailleur, le caractère raisonnable du délai dont il dispose pour reprendre ses activités professionnelles à compter du moment où son employeur sollicite son intervention, et ce, concrètement, notamment s'il faut une tenue vestimentaire particulière ou si des facilités sont accordées (véhicule de service par exemple), ce qui induit d'avoir "égard à la fréquence moyenne des interventions réalisées par un travailleur au cours de ses périodes de garde, lorsqu'elle peut être objectivement estimée".

En sus, la CJUE précise que les employeurs ne peuvent instaurer des périodes de garde qui représentent, par leur longueur ou leur fréquence, un risque pour la sécurité ou la santé des travailleurs, et ce indépendamment du fait que ces périodes soient qualifiées de «périodes de repos», au sens de la directive2003/88. En droit national, la participation au service d'astreinte est limitée dans le temps (72 heures pour 15 jours et dans la limite d'un samedi, d'un dimanche et d'un jour férié par mois, article 23 du décret n°2002-9 du 4 janvier 2002).