La notation et l’évaluation d’un agent sont subordonnées à sa présence physique au cours de l’année en cause pendant une durée suffisante

  • Cour administrative d'appel Nantes Mme C… 22/12/2017 - Requête(s) : 16NT01136

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT

1. Considérant que Mme C…, aide-soignante depuis 2004 au centre hospitalier de Vendôme (Loir-et-Cher), y a été victime le 12 janvier 2005 d'une agression par un patient, qui lui a causé un traumatisme du rachis cervical et un choc psychologique ; qu'elle a été placée de ce fait à plusieurs reprises en arrêt de travail, reprenant ses fonctions dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique, puis à temps complet ; qu'elle a obtenu la qualité de travailleur handicapé le 6 août 2009, avec un taux d'incapacité permanente partielle de 3 % ; que, sa notation annuelle n'ayant pas évolué entre 2005 et 2012, elle a sollicité de son employeur la révision de sa notation au titre de l'année 2012, ce qui lui a été refusé par une décision du 6 juin 2013 contre laquelle elle a formé un recours gracieux auquel il n'a pas été répondu ; qu'elle a également formé le 24 mars 2014 auprès de son employeur une demande indemnitaire préalable qui a été rejetée le 9 avril suivant ; que Mme C… a saisi le tribunal administratif d'Orléans de deux demandes tendant, d'une part, à l'annulation de la décision refusant de procéder à la révision de sa notation au titre de l'année 2012 et, d'autre part, à ce que le centre hospitalier de Vendôme soit condamné à l'indemniser de ses préjudices ; que, par un jugement du 2 février 2016, ce tribunal a rejeté ses conclusions à fin d'annulation et lui a alloué 1 000 euros de dommages et intérêts ; que Mme C… relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à ses conclusions présentées en première instance ; que, par la voie de l'appel incident, le centre hospitalier de Vendôme demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il l'a condamné à verser 1 000 euros à Mme C… ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu des dispositions de l'article R. 741-7 du Code de justice administrative, la minute du jugement doit être régulièrement signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ; qu'il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué est revêtue de ces signatures ; que le moyen tiré de la méconnaissance de ce texte doit, par suite, être écarté ;

3. Considérant, en second lieu, que si Mme C… soutient que le tribunal administratif aurait omis de statuer sur ses conclusions tendant à l'indemnisation des souffrances endurées et de son préjudice d'agrément, il résulte des énonciations du point 21 du jugement attaqué que les premiers juges ont expressément indiqué que la requérante n'était pas fondée à réclamer l'indemnisation de ces préjudices ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme C… n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué, qui est, par ailleurs, suffisamment motivé, serait entaché d'irrégularité ;

Sur la légalité de la décision de refus de révision de la notation de Mme C… au titre de l'année 2012 :

5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 4 de la loi susvisée du 27 mai 2008 : « Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. […] » ; que si les premiers juges ont estimé que " les éléments figurant au dossier ne sont pas de nature à établir l'existence d'une discrimination fondée sur son état de santé ou son handicap ", c'est après avoir, aux points 5 et 6 du jugement attaqué, examiné pour les écarter les arguments de la requérante tendant à faire présumer l'existence d'une telle discrimination quant à sa notation au titre de l'année 2012 ; que le moyen tiré de ce que les juges de première instance auraient méconnu les règles de preuve énoncées par les dispositions précitées doit, par suite, être écarté ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que Mme C… se borne à reprendre en appel les arguments soumis aux premiers juges relatifs à l'erreur d'appréciation qu'aurait commise le centre hospitalier en n'évaluant pas sa manière de servir de manière plus positive au titre de l'année 2012 ; qu'il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs exhaustifs retenus par les juges de première instance ;

7. Considérant, enfin, qu'en se bornant à faire référence aux autres moyens exposés par elle en première instance à l'encontre de la décision contestée Mme C… ne met pas le juge d'appel en mesure d'apprécier l'éventuel mal-fondé des motifs retenus par le tribunal administratif pour les écarter ;

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier :

8. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 17 de la loi du 13 juillet 1983 : « Les notes et appréciations générales attribuées aux fonctionnaires et exprimant leur valeur professionnelle leur sont communiquées. / Les statuts particuliers peuvent ne pas prévoir de système de notation » ; qu'aux termes de l'article 65 de la loi du 9 janvier 1986 : « Le pouvoir de fixer les notes et appréciations générales exprimant la valeur professionnelle des fonctionnaires dans les conditions définies à l'article 17 du titre Ier du statut général est exercé par l'autorité investie du pouvoir de nomination, après avis du ou des supérieurs hiérarchiques directs. / Les commissions administratives paritaires ont connaissance des notes et appréciations ; à la demande de l'intéressé, elles peuvent en proposer la révision. / Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent article » ; qu'un arrêté du 6 mai 1959 prévoit que la notation des agents des établissements publics d'hospitalisation est annuelle ; que s'il résulte des dispositions précitées que, sauf dérogation prévue par les statuts particuliers, tout fonctionnaire en activité doit être évalué annuellement, l'application de ces dispositions est subordonnée à la présence effective du fonctionnaire au cours de l'année en cause pendant une durée suffisante, eu égard notamment à la nature des fonctions exercées, pour permettre à son chef de service d'apprécier sa valeur professionnelle ;

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'entre 2007 et 2010 la note chiffrée attribuée à Mme C…est restée la même, soit 15,25/20 ; qu'il est indiqué dans la fiche d'évaluation de l'intéressée pour l'année 2007 que « son temps de travail ne permet pas une appréciation directe et approfondie en particulier sur son évolution », que celle de 2008 fait état de ce qu'il n'y a pas d'évaluation directe de la requérante car elle est absente, tout en soulignant que l'agent est régulier dans ses fonctions, qu'enfin la fiche d'évaluation de l'année 2009 porte la mention selon laquelle « pour l'année 2009, Mme C… ne peut être augmentée au vu de son temps effectif de travail » ; qu'au titre des trois années en cause, Mme C… a été absente du service pendant respectivement 144, 118 et 235 jours, du fait d'un congé de maternité et d'arrêts de travail lié à des rechutes de son accident de service ; que si le centre hospitalier de Vendôme a fait état devant le juge d'un incident de maltraitance imputable à l'agent en 2007 et de la nature des fonctions nouvelles abordées par la requérante en 2009 qui pouvaient justifier qu'il n'ait pas été procédé à une réévaluation de sa notation, ces éléments ne sont pas mentionnés dans les fiches d'évaluation correspondantes, alors que la durée des absences de Mme C… y est prise en compte de manière non équivoque ; qu'eu égard aux circonstances de fait ainsi rappelées et en particulier à la durée insuffisante de la présence de l'agent dans le service, le centre hospitalier de Vendôme aurait dû, en vertu des dispositions citées au point 8, s'abstenir d'évaluer Mme C… pour les trois années concernées ; qu'il suit de là qu'en procédant néanmoins à l'évaluation de l'intéressée au titre des ces années, il a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

10. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983 : « Afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, les employeurs visés à l'article 2 prennent, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1°, 2°, 3°, 4°, 9°, 10° et 11° de l'article L. 5212-13 du Code du travail d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer et d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, sous réserve que les charges consécutives à la mise en œuvre de ces mesures ne soient pas disproportionnées, notamment compte tenu des aides qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur. […] » ; qu'aux termes de l'article 23 de cette même loi : « Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail ». ; qu'enfin, aux termes de l'article 71 de la loi du 9 janvier 1986 : « Lorsque les fonctionnaires sont reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions, le poste de travail auquel ils sont affectés est adapté à leur état physique. Lorsque l'adaptation du poste de travail n'est pas possible, ces fonctionnaires peuvent être reclassés dans des emplois d'un autre corps, s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes. / Le reclassement est subordonné à la présentation d'une demande par l'intéressé » ;

11. Considérant que Mme C… soutient que son employeur a manqué à son obligation de protection de sa santé, en ne procédant pas à l'aménagement de son poste, alors qu'elle n'était, depuis 2005, apte aux fonctions d'aide-soignante que sous certaines réserves selon le médecin du travail, qu'il n'a pas été fait droit à ses candidatures pour un autre poste et qu'elle s'est vue contrainte de changer d'affectation à plusieurs reprises à compter de juin 2013 ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que si le médecin du travail a déclaré Mme C… apte à ses fonctions sous réserve d'éviter les travaux en élévation pour préserver son bras gauche et le soulèvement de charges et a préconisé qu'elle change de poste en 2009 à son retour de congé de maternité, il a été tenu compte de ces préconisations, ainsi que cela a notamment été constaté par le Défenseur des droits saisi par la requérante le 17 septembre 2010, par son employeur qui a modifié à de nombreuses reprises l'affectation de Mme C… entre 2009 et 2013 afin de tenir compte des prescriptions du médecin du travail et des contraintes personnelles formulées par son agent ; que si les candidatures exprimées par Mme C… n'ont pu aboutir, il résulte de l'instruction que c'est faute de vacance d'un poste adapté à son état de santé ou au motif que les postes en cause étaient déjà pourvus ; qu'il ne résulte, par ailleurs, pas de l'instruction que son employeur ne l'aurait pas accompagnée dans ses démarches de reconversion professionnelle, alors qu'il a accepté, à sa demande, de prendre en charge une partie de sa formation d'assistante sociale ; que, dans ces conditions, et alors même que le Défenseur des droits a estimé dans ses recommandations émises le 17 avril 2013 que le centre hospitalier de Vendôme n'aurait pas « suffisamment pris la mesure de la réalité des tâches quotidiennes » que la requérante devait assumer, le tribunal administratif, qui n'a pas méconnu la portée des moyens présentés en première instance, a estimé à bon droit que le centre hospitalier de Vendôme n'avait pas eu à l'égard de la requérante une attitude fautive et discriminatoire en raison de son état de santé et de son handicap ;

En ce qui concerne les préjudices de Mme C… :

12. Considérant, en premier lieu, qu'en l'absence de faute du centre hospitalier de Vendôme relative à son obligation de préservation de la santé de Mme C…, d'adaptation de son poste en fonction de ses contraintes médicales ou à son obligation de non-discrimination par rapport à son handicap évalué à 3 %, la requérante n'est pas fondée à se prévaloir du préjudice d'agrément ou des souffrances physiques qui pourraient être en lien avec une faute de cette nature ;

13. Considérant, en deuxième lieu, que les premiers juges ont fait une équitable appréciation du préjudice moral subi par Mme C… du fait de l'irrégularité de son évaluation professionnelle entre 2007 et 2010 en l'estimant à la somme de 1 000 euros ;

14. Considérant, en troisième et dernier lieu, que si Mme C… soutient qu'elle a subi un préjudice financier du fait de l'absence de progression de sa notation, qui l'aurait notamment privée de la possibilité de voir son traitement de base augmenté, elle n'apporte à cet égard aucune justification qui permettrait d'établir la réalité ni le quantum d'un tel préjudice ; que c'est, par suite, à bon droit que les premiers juges ont rejeté les conclusions indemnitaires présentées à ce titre ;

15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme C… n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans n'a que partiellement fait droit à ses demandes ; que les conclusions d'appel incident présentées par le centre hospitalier de Vendôme doivent être également rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative :

16. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Vendôme qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, la somme dont Mme C… sollicite le versement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées au même titre par le centre hospitalier de Vendôme ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C… et les conclusions présentées en appel par le centre hospitalier de Vendôme sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B… C… et au centre hospitalier de Vendôme.

CAA Nantes, Mme C…, 22 décembre 2017, n° 16NT01136

II – COMMENTAIRE

Un agent le plus souvent absent du service entre 2007 et 2009 respectivement pour 144, 118 et 235 jours, du fait d'un congé de maternité et d'arrêts de travail liés à des rechutes de son accident de service pouvait-il être noté par son employeur ?

À cette question, la cour administrative d'appel de Nantes a répondu par la négative dans son arrêt du 22 décembre 2017.

De manière claire, le juge administratif a rappelé que, conformément à l'arrêté du 6 mai 1959 relatif à la notation de personnel des établissements d'hospitalisation, de soins et de cures publiques, la notation est annuelle et que cette notation concerne les agents en activité. Pour être plus clair encore, le juge administratif souligne que cette évaluation « est subordonnée à la présence effective des fonctionnaires au cours de l'année en cause pendant une durée suffisante, eu égard notamment à la nature des fonctions exercées, pour permettre à son chef de service, d'apprécier à sa valeur professionnelle » (« La notation et l'avancement de l'agent de la fonction publique hospitalière », FDH n° 211, p. 3325, disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com).

Cette appréciation de la « durée suffisante » dépend évidemment des circonstances de chaque affaire mais, dans le cas jugé par la juridiction nantaise, cette dernière a estimé qu'en raison de la durée insuffisante de la présence de l'agent dans le service, l'hôpital aurait dû s'abstenir d'évaluer l'agent les 3 années concernées.

À noter que l'hôpital engage sa responsabilité car il commet une faute en évaluant un agent qui n'a pas été présent pendant une durée suffisante.

En l'espèce, la juridiction administrative a accordé une somme de 1 000,00 euros à l'agent au titre du préjudice moral en raison de l'irrégularité de son évaluation professionnelle.

L'on précisera qu'une note du Défenseur des droits, du 6 juin 2017 rappelle fermement sa position quant à la notation des agents en indiquant que :

  • tout agent doit être noté sauf lorsqu'il est recruté après le 30 juin ;
  • l'exigence d'une période minimale de présence est illégale et discriminatoire ;
  • mais la durée de l'absence n'entre en ligne de compte que si sa longueur ne permet pas à l'employeur de porter une appréciation sincère sur la manière de servir de l'agent et chaque situation doit être traitée au cas par cas par l'employeur (« Maternité, parentalité, non-discrimination : le point avec la note d'information du 6 juin 2017 », veille juridique, [en ligne], www.hopitalex.com).