L’action en garantie suite à une condamnation en responsabilité sans faute pour la défectuosité d’une prothèse concerne en droit public son fournisseur et non son fabricant officiellement inconnu de l’hôpital utilisateur

  • Cour administrative d'appel Nantes CH de Lannion-Trestel 07/07/2016 - Requête(s) : 15NT01475

I – LE TEXTE DE L'ARRET


1. Considérant qu'à la suite d'une chute de bicyclette le 7 juillet 2006, M. F…, né en 1938, a subi le 20 juillet 2006 au centre hospitalier de Lannion-Trestel, une intervention chirurgicale pour la pose d'une prothèse totale de la hanche gauche ; qu'après la période usuelle de rééducation, M. F… a continué à souffrir d'une boiterie à gauche, d'une gêne au niveau de la hanche gauche et mentionnait également un claquement lors du démarrage de la marche, associés à une impression de frottement interne au niveau de la prothèse ; qu'une radiographie réalisée le 13 novembre 2008 a mis en évidence une fracture de l'insert céramique ; que M. F… a subi deux interventions chirurgicales les 17 décembre 2008 pour remplacement de la prothèse puis le 8 décembre 2009 pour une exérèse de volumineuses exostoses ; qu'après une expertise diligentée à la demande de M. F…, par une ordonnance du président du tribunal administratif de Rennes du 31 août 2009, l'expert désigné, le docteur P…, a remis son rapport le 22 mars 2010 ; que, par une demande du 29 septembre 2011, M. F…, invoquant une défectuosité de la prothèse, a exercé un recours indemnitaire contre le centre hospitalier de Lannion-Trestel, qui l'a rejeté par une décision du 13 octobre 2011 ; que M. F… a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Lannion-Trestel à l'indemniser des préjudices résultant de la défectuosité de la prothèse ; que le centre hospitalier a appelé en garantie la société Symbios Orthopédie SA, producteur de la prothèse ; que, par le jugement attaqué du 12 mars 2015, le tribunal administratif de Rennes a condamné le centre hospitalier à verser les sommes de 14 060 euros à M. F… en réparation de ses préjudices et de 16 387,06 euros à la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor au titre des débours exposés pour le compte de son assuré social et de l'indemnité forfaitaire de gestion, et a rejeté les conclusions du centre hospitalier tendant à ce que la société Symbios Orthopédie SA le garantisse des condamnations prononcées à son encontre sur le fondement des dispositions issues de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985, transposée en droit français par les dispositions des articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil, au motif que le centre hospitalier de Lannion ne pouvait se prévaloir de ces dispositions car il n'avait pas la qualité de fournisseur ; que le centre hospitalier de Lannion-Trestel relève appel de ce jugement ; que la société Symbios Orthopédie SA conclut à titre principal au rejet de la requête, après qu'il ait été ordonné, avant dire droit, au centre hospitalier, de lui remettre la prothèse litigieuse aux fins d'examen par un expert, et conclut, à titre subsidiaire, à ce que la société Morgan Technical Ceramic, son sous-traitant, soit condamnée à la garantir des condamnations qui seraient prononcées à son encontre ; que la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor demande que l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier de Lannion-Trestel en remboursement des débours exposés pour le compte de son assuré social M. F…, et l'indemnité forfaitaire de gestion, soit portée à la somme totale de 16 494,95 euros ; 


Sur l'étendue du litige : 


2. Considérant que si le centre hospitalier de Lannion a contesté, dans sa requête sommaire, la responsabilité sans faute retenue à son encontre par le jugement du tribunal administratif de Rennes, il n'avance, dans son mémoire ampliatif, aucun moyen au soutien de ces conclusions ; qu'il doit, dès lors, être regardé comme ne contestant plus la responsabilité ainsi retenue à son encontre ; 


Sur les conclusions d'appel en garantie présentées par le centre hospitalier de Lannion-Trestel à l'encontre de la société Symbios Orthopédie SA :


3. Considérant que, si le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise, y compris lorsqu'il implante, au cours de la prestation de soins, un produit défectueux dans le corps d'un patient, il peut, lorsque sa responsabilité est recherchée par ce dernier sur ce fondement, exercer un recours en garantie à l'encontre du producteur ;


4. Considérant que, selon l'article 2 de la loi du 11 décembre 2001, les marchés passés en application du Code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs de sorte que les litiges nés de leur exécution relèvent de la compétence du juge administratif ; que constitue un tel litige, l'action en garantie engagée par le service public hospitalier à l'encontre d'un producteur auquel il est lié par un contrat administratif portant sur la fourniture de produits dont la défectuosité de l'un d'eux a été constatée et le contraint à indemniser le patient de ses conséquences dommageables ; que cette action peut être fondée sur les stipulations du contrat, sur les vices cachés du produit en application des articles 1641 à 1649 du Code civil ou encore sur les règles issues de la directive 85/374/CEE du Conseil des communautés européennes du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, telle qu'elle a été interprétée par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 21 décembre 2011, Centre hospitalier de Besançon c. Dutrueux, aff. n° C-495/10, transposée en droit français par les dispositions des articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil ; qu'il appartient en conséquence à la juridiction de l'ordre administratif de connaître d'un tel litige ;


5. Considérant, toutefois, qu'en l'espèce, si le centre hospitalier de Lannion-Trestel a conclu le 13 mai 2006 avec la société Intermede SAS, un marché public de fournitures courantes et de services ayant le caractère d'un contrat administratif, portant notamment sur la fourniture de dispositifs pour prothèses de hanche, il n'est pas contesté que la prothèse de hanche implantée chez M. F… le 20 juillet 2006 fournie par la société Intermede SAS cocontractant du centre hospitalier, a été fabriquée par la société Symbios Orthopédie SA, avec laquelle le centre hospitalier de Lannion-Trestel n'était lié par aucun contrat administratif ; qu'en l'absence d'un tel contrat, la juridiction de l'ordre administratif n'est pas compétente pour connaître de l'action en garantie engagée, en application des articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil, par le centre hospitalier à l'encontre de la société Symbios Orthopédie SA, fabricant de la prothèse défectueuse ;


Sur les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor : 


6. Considérant que les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor tendant à ce que l'indemnité totale mise à la charge du centre hospitalier de Lannion-Trestel en remboursement, d'une part, des débours exposés pour le compte de son assuré social M. F…, et au versement, d'autre part, de l'indemnité forfaitaire de gestion, soit portée à la somme totale de 16 494,95 euros, relèvent d'un litige distinct de celui qui a été seul soumis à la cour par le centre hospitalier de Lannion-Trestel et qui concerne l'action en garantie de l'établissement contre le fabricant de la prothèse implantée en juillet 2006 chez M.F… ; que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor ont, par suite, le caractère d'un appel principal ; que n'ayant été enregistrées que le 21 août 2015, après l'expiration du délai d'appel, elles sont tardives et, par suite, irrecevables ;


7..Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Lannion-Trestel n'est pas fondé à se plaindre de ce que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ; qu'en conséquence de l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître du litige, les conclusions d'appel en garantie présentées par la société Symbios Orthopédie SA à l'encontre de son sous-traitant, ne peuvent qu'être rejetées ; 


Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative :


8. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Lannion-Trestel la somme que demande M. F… au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; 


DÉCIDE :


Article 1er : Les conclusions de la requête du centre hospitalier de Lannion-Trestel et les conclusions d'appel en garantie présentées par la société Symbios Orthopédie SA sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.


Article 2 : Les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor sont rejetées.


Article 3 : Les conclusions présentées par M. F… tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.


Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Lannion-Trestel, à M. C… F…, à la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor, à la Mutuelle générale de l'Éducation nationale et à la société Symbios Orthopédie SA.


CAA Nantes, CH de Lannion-Trestel, 7 juillet 2016, n° 15NT01475



II – COMMENTAIRE


La jurisprudence est désormais bien fixée en matière de responsabilité pour défectuosité d'une prothèse ou d'un dispositif médical.


Tout d'abord, la responsabilité du service public hospitalier est reconnue en cas de pose de prothèse défectueuse (CE, Sieur Falempin c/ CH de Chambéry, 25 juillet 2013, n° 339922 ; FJH n° 5, janvier 2014, disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com). Dans tous les cas, il appartiendra au service public hospitalier d'appeler en garantie le fournisseur de la prothèse qui a contracté avec l'hôpital et cela devant la juridiction administrative (TC, CH de Chambéry c/Société Groupe Lépine, 11 avril 2016, n° C 4044 ; FJH n° 68, septembre 2016, p. 343 et s., disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com).


Dans cette affaire qui opposait le centre hospitalier de Lannion-Trestel à la société Symbios Orthopédie SA en tant que producteur de la prothèse défectueuse, le juge a certes confirmé l'opportunité de recours en garantie de l'hôpital contre son fournisseur de prothèses titulaire du marché public idoine, mais à condition que cette société soit bien la titulaire du marché, ce qui n'était pas le cas puisque si la société Symbios Orthopédie SA était le fabricant de la prothèse, elle n'avait pas contracté avec l'hôpital car c'était la société Intermede SAS qui était bénéficiaire du marché public.


Le centre hospitalier de Lannion-Trestel n'ayant aucun lien avec le fabricant de la prothèse défectueuse, n'avait pas le moyen juridique de l'attaquer sauf si ce dernier avait été agréé par l'hôpital comme le sous-traitant de la société Intermede SA, ce qui n'était apparemment pas le cas. Il appartient donc au centre hospitalier de Lannion-Trestel d'appeler en garantie la société titulaire du marché, à savoir la société Intermede SAS, à charge pour cette dernière de se retourner devant le juge judiciaire contre ses fournisseurs de la prothèse défectueuse.