Le refus du bénéfice de la protection fonctionnelle pour absence de harcèlement moral

  • Cour administrative d'appel Paris M. C… 24/04/2019 - Requête(s) : 17PA01573

RÉSUMÉ


 

C'est à bon droit qu'a été rejetée la demande de protection fonctionnelle pour absence de harcèlement moral. Le requérant ne présentait aucun élément permettant de présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral.


 

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT


 

1. M. C… a été recruté au sein de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) à compter du 20 janvier 1992, titularisé en qualité d'aide-soignant le 13 février 1996, puis réintégré, à l'issue d'un détachement pour raisons de santé, à la filière ouvrière en qualité de maître ouvrier le 1er novembre 2013, et affecté à la pharmacie de l'hôpital Tenon. Le 16 octobre 2014, son supérieur hiérarchique a adressé un courrier électronique à la cheffe du service du personnel de l'hôpital Tenon, pour dénoncer des propos homophobes imputés à M. C…. Le 17 octobre 2014, M. C… a été sanctionné d'un avertissement pour « comportements irrespectueux envers son cadre », en raison d'autres faits signalés dans un précédent rapport de son supérieur hiérarchique en date du 30 septembre 2014. Le service du personnel a alors diligenté une enquête interne qui a conclu à la réalité des propos mentionnés ci-dessus. Par une décision du 22 décembre 2016, le directeur général de l'AP-HP a prononcé à son encontre la sanction de l'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de deux ans assortie d'un sursis de dix-huit mois à compter du 16 janvier 2017, en raison de son « comportement inadapté dans l'exercice de ses fonctions envers son cadre et envers ses collègues », en se fondant notamment sur les propos mentionnés ci-dessus.


 

2. Par courrier du 27 mars 2015, M. C… a sollicité de la directrice de l'hôpital Tenon la mise en œuvre de la protection fonctionnelle pour faits de harcèlement moral ainsi que la reconnaissance de l'imputabilité au service de la dégradation de son état de santé, et a demandé à être indemnisé des différents préjudices qu'il estimait avoir subis. Puis, M. C…a demandé au Tribunal administratif de Paris d'une part, l'annulation de la décision implicite de rejet portant refus de mise en œuvre de la protection fonctionnelle et refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de la dégradation de son état de santé, et d'autre part, la condamnation de l'AP-HP au versement de la somme de 25 000 euros. Par un jugement du 6 mars 2017, le tribunal administratif a annulé la décision rejetant implicitement la demande tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service de la dégradation de l'état de santé de M. C…, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. M. C… fait appel de ce jugement en ce qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions.


 

Sur la régularité du jugement attaqué :


 

3. Il ressort du jugement attaqué que le tribunal administratif qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments de M.C…, a suffisamment répondu au moyen tiré des faits de harcèlement moral dont il soutenait avoir été victime en contestant avoir tenu les propos injurieux qui lui ont été attribués, et en faisant état de la dégradation de son état de santé. Le bien-fondé de la réponse que le tribunal a apportée à ce moyen, est sans incidence sur la régularité de son jugement. Les moyens soulevés par M. C…devant la Cour, tirés de méconnaissances des dispositions de l'article L. 9 du Code de justice administrative et de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doivent donc être écartés.


 

Sur la légalité de la décision refusant à M. C… le bénéfice de la protection fonctionnelle :


 

4. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 : « aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel […]. » Aux termes de l'article 11 de la même loi, dans sa rédaction applicable en l'espèce : « les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le Code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire […] la collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté […]. » Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.


 

5. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.


 

6. En premier lieu, si M. C… conteste la décision lui refusant implicitement le bénéfice de la protection fonctionnelle en soutenant avoir été victime d'actes de harcèlement moral, l'engagement de la procédure disciplinaire qui a conduit à la décision du directeur général de l'AP-HP du 22 décembre 2016 prononçant la sanction d'exclusion temporaire mentionnée au point 1, ne permet pas de faire présumer l'existence de tels faits. En effet, d'une part, la réalité des propos tenus notamment lors d'un déjeuner au restaurant administratif le 16 octobre 2014, à raison desquels cette procédure a été engagée, est établie par les témoignages précis et circonstanciés de plusieurs de ses collègues présents le même jour au restaurant administratif, alors que les attestations d'autres collègues produites par M. C… sont rédigées en des termes stéréotypés et généraux et émanent, pour deux d'entre elles, d'agents dont l'administration établit, en se référant aux données du système informatique de gestion des badges de la cantine, qu'ils n'étaient pas présents lors du déjeuner en cause. D'autre part, compte tenu de ces propos et d'autres propos dégradants et insultants, tenus à de multiples reprises sur son lieu de travail, ainsi que de son comportement agressif, intimidant et parfois accompagné d'actes de violence, qui s'est poursuivi malgré plusieurs rappels à l'ordre, la sanction qui lui a été infligée ne peut être regardée comme disproportionnée ou comme entachée d'une erreur d'appréciation. Sa demande tendant à l'annulation de cette sanction a d'ailleurs été rejetée par un jugement du Tribunal administratif de Paris du 12 février 2018. Cette sanction ne peut donc faire présumer l'existence du harcèlement moral dont il prétend avoir été victime.


 

7. En deuxième lieu, ainsi que le tribunal administratif l'a relevé à bon droit dans son jugement du 6 mars 2017, les demandes répétées du supérieur hiérarchique de M. C… et de la cheffe du personnel de l'hôpital Tenon, de positionnement prévisionnel de ses jours de congés, les divers rappels à ses obligations professionnelles qui lui ont été adressés, et les réserves exprimées par sa hiérarchie quant à son changement de statut, n'ont pas excédé les limites du pouvoir hiérarchique.


 

8. En troisième lieu, les certificats médicaux produits par M. C… ne permettent pas d'établir un lien entre l'altération de sa santé et ses conditions de travail.


 

9. En quatrième lieu, M. C… n'établit pas la réalité des faits de harcèlement sexuel dont il fait état, de la part de son supérieur hiérarchique.


 

10. Ainsi, aucune des circonstances mentionnées ci-dessus ne permet pas de faire présumer l'existence de faits de harcèlement moral de nature à justifier la mise en œuvre de la protection fonctionnelle.


 

11. M. C… ne saurait enfin faire état de la plainte déposée à son encontre par son supérieur hiérarchique en raison des propos mentionnés au point 6, qui ont le caractère d'une faute personnelle.


 

12. Il résulte de ce qui précède que M. C… n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision lui refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'AP-HP de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ne peuvent qu'être rejetées.


 

Sur les conclusions indemnitaires :


 

13. Compte tenu de ce qui vient d'être dit aux points 6 à 12, M. C… n'est pas fondé à demander réparation du préjudice moral et du préjudice « de santé » résultant selon lui, de pressions de sa hiérarchie à son encontre, de la dégradation de ses conditions de travail et d'accusations infondées d'homophobie, et du préjudice de carrière résultant du harcèlement moral dont il aurait été victime. S'il fait allusion à d'autres fautes de l'AP-HP tenant à l'absence de communication de ses dossiers administratif, disciplinaire et médical, à l'absence de saisine du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), et à l'absence de saisine de la commission de réforme, il n'a en tout état de cause assorti ses conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices correspondants, au demeurant non chiffrées, d'aucun moyen et d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. Il n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions indemnitaires.


 

Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'AP-HP d'exécuter le jugement du Tribunal administratif de Paris du 6 mars 2017 :


 

14. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'annulation par le jugement du 6 mars 2017, de la décision rejetant implicitement la demande de M. C… tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service de la dégradation de son état de santé, en raison d'un vice de procédure en l'absence de consultation de la commission de réforme, M. C… a, le 25 avril 2017, été convoqué devant cette commission qui a, lors de sa séance du 23 mai suivant, sursis à statuer sur sa demande dans l'attente de la communication de documents médicaux. Il a été de nouveau convoqué devant la commission le 21 novembre 2017. Cette instance a alors émis un avis défavorable à la reconnaissance d'un accident de service. M. C… n'est donc, en tout état de cause, pas fondé à demander à la Cour d'enjoindre à l'AP-HP d'exécuter le jugement du Tribunal administratif de Paris du 6 mars 2017 et d'examiner sa demande de reconnaissance d'accident de service.


 

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative :


 

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'AP-HP qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. C… demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions de l'AP-HP présentées sur le fondement des mêmes dispositions.


 

DÉCIDE


 

Article 1er : La requête de M. C… est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'AP-HP, présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F… C…, et au directeur général de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris.


 

CAA de Paris, 24 avril 2019, M. C..., n°17PA01573



 

II – COMMENTAIRE


 

La Cour administrative d'appel de Paris a rendu, le 24 avril 2019, un arrêt concernant un refus de protection fonctionnelle pour absence de harcèlement moral (Voir « Le harcèlement dans la fonction publique hospitalière », FDH n° 242, p. 3877 ; « La protection fonctionnelle  », FDH n° 341, p. 5245).


 

Les faits étaient les suivants : un agent avait été titularisé en qualité d'aide-soignant puis, à l'issue d'un détachement pour raison de santé, il avait été réintégré dans son établissement à la filière ouvrière en qualité de maître ouvrier et enfin il avait été affecté à la pharmacie de l'hôpital Tenon.


 

Le 16 octobre 2014, son supérieur hiérarchique avait adressé un courrier au chef du service du personnel de l'hôpital Tenon pour dénoncer les propos homophobes de l'agent. Ce dernier avait été sanctionné d'un avertissement pour comportement irrespectueux envers son cadre. Une enquête administrative interne avait été réalisée et la réalité des propos homophobes était établie. Par décision du 22 décembre 2016, le directeur général de l'APHP a prononcé à son encontre la sanction de l'exclusion temporaire de fonction d'une durée de deux ans assorti d'un sursis de 18 mois. Cependant, entre temps, l'agent avait sollicité de la direction de l'hôpital Tenon la mise en œuvre de la protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral ainsi que la reconnaissance de l'imputabilité au service de la dégradation de son état de santé. L'établissement avait rejeté ses demandes mais l'agent avait saisi le Tribunal administratif de Paris qui avait fait droit uniquement à sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa pathologie par jugement du 6 mars 2017. L'agent avait alors interjeté appel pour le rejet d'annulation du refus de la protection fonctionnelle. La Cour administrative d'appel de Paris n'a fait que confirmer la décision des premiers juges au motif qu'il n'y avait pas de harcèlement moral. L'arrêt rendu le 24 avril 2019 ne fait que confirmer une jurisprudence constante selon laquelle l'agent qui s'estime victime de faits constitutifs de harcèlement moral doit rapporter au juge des éléments susceptibles d'en faire présumer l'existence. Le requérant n'était pas dans la capacité de rapporter des faits présumant le harcèlement moral (voir aussi : CAA Marseille, 2 avril 2019, n°18MA03897 ; FJH 2019, n°48).


 

Parmi tous les faits versés au débat, la juridiction d'appel s'en tient à la réalité des propos qui ont été tenus et qui ressortent des témoignages précis et circonstanciés de plusieurs de ses collègues présents le même jour au restaurant administratif. Le juge administratif a également tenu compte d'autres propos dégradants et insultants, tenus à de multiples reprises sur son lieu de travail, ainsi que son comportement agressif, intimidants et parfois accompagnés d'actes de violences qui s'est poursuivi malgré plusieurs rappels à l'ordre.


 

Rien ne permettait donc de présumer un harcèlement moral. Certes, l'agent se prévalait de la dégradation de son état de santé mais la juridiction administrative a considéré que les certificats médicaux ne permettaient pas d'établir un lien entre sa pathologie et les conditions de travail. Par ailleurs, l'agent essayait d'établir des faits de harcèlement sexuel mais ils n'ont pas non plus été retenus par la Cour administrative d'appel de Paris.


 

A cause des propos homophobes que l'agent a pu tenir vis-à-vis de son supérieur hiérarchique, la juridiction administrative a vu dans ce comportement une faute personnelle qui empêchait le bénéfice de la protection fonctionnelle. En pratique et en accord avec l'orthodoxie juridique, nous conseillons aux directeurs d'établissement d'être vigilants sur les conditions d'attribution de la protection fonctionnelle et de s'assurer de posséder des éléments écrits pertinents (enquête administrative interne, attestations, rapports…).