Retour sur le régime des suspensions et des exclusions temporaires

  • Cour administrative d'appel Douai M.A… 19/01/2021 - Requête(s) : 19DA01884

RÉSUMÉ

Sont justifiées la mesure conservatoire de suspension et la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire d'un agent à la suite d'une altercation avec un autre agent du service.


I – LE TEXTE DE L'ARRÊT

1. Le 19 février 2018, M. A…, technicien supérieur hospitalier de première classe exerçant les fonctions de responsable du service des archives médicales du centre hospitalier de Saint-Quentin, a fait l'objet d'une mesure de suspension de l'exercice de ses fonctions pour une durée de deux mois, à la suite d'une altercation survenue douze jours auparavant avec un agent du service. Cette altercation a donné lieu à la rédaction d'un rapport d'incident établi le 11 février 2018 par M. E…, directeur du pôle en charge notamment du service des archives médicales. Une enquête administrative a été diligentée et, dans l'attente des résultats de cette enquête, la suspension de M. A… a été renouvelée pour une durée de deux mois par une décision du 16 avril 2018. Par une première demande, enregistrée le 14 juin 2018, M. A… a saisi le tribunal administratif d'Amiens aux fins notamment de voir annuler ces deux décisions. Une procédure disciplinaire a, entre-temps, été engagée par le directeur d'établissement au cours de laquelle, dans sa séance du 14 septembre 2018, la commission administrative paritaire locale, réunie en conseil de discipline, n'est parvenue à aucune majorité en faveur du prononcé d'une sanction. Par une décision du 12 octobre 2018, le directeur du centre hospitalier de Saint-Quentin a infligé à M. A… la sanction de l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre mois. Par une seconde demande, enregistrée le 18 décembre 2018, M. A… a saisi le tribunal administratif d'Amiens aux fins de voir annuler cette sanction, d'enjoindre au centre hospitalier de Saint-Quentin de le réintégrer dans ses fonctions au sein du service des archives et de lui verser, à titre de dommages et intérêts, son traitement correspondant aux quatre mois d'exclusion. Par un jugement n° 1801802,1803831, du 18 juin 2019, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses demandes. M. A… relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la décision de renouvellement de la suspension du 16 avril 2018 :

2. En premier lieu, dès lors qu'une mesure de suspension prise à l'encontre d'un fonctionnaire est une mesure conservatoire prononcée dans l'intérêt du service et ne constitue pas une sanction disciplinaire, elle n'est ni au nombre des décisions qui doivent être motivées par application de l'article L. 211-2 du Code des relations entre le public et l'administration, ni au nombre de celles dans le cadre desquelles le fonctionnaire intéressé doit être mis à même de présenter au préalable sa défense, dans le respect du principe de la présomption d'innocence. Les moyens tirés de l'insuffisance de motivation, de la méconnaissance des droits de la défense et de la méconnaissance de la présomption d'innocence, sont donc inopérants à l'encontre de la décision du 16 avril 2018 et doivent, par suite, être écartés.

3. En deuxième lieu, c'est à bon droit, et par des motifs qu'il y a lieu d'adopter, que les premiers juges ont, au point 5 du jugement attaqué, écarté le moyen tiré du caractère prématuré de la décision de renouvellement de la suspension de M. A… dès lors que ce renouvellement a pris effet le 19 avril 2018, à l'échéance de la première décision de suspension.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : « en cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. / Si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions ».

5. M. A… se prévaut des dispositions précitées de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 pour soutenir que le directeur du centre hospitalier de Saint-Quentin aurait dû régler sa situation à l'issue de la période de quatre mois de suspension. Toutefois, ces dispositions n'imposent nullement à l'autorité disciplinaire d'achever la procédure disciplinaire à l'issue de ce délai de quatre mois et il n'est pas établi, ni même allégué, que M. A…, qui n'a pas fait l'objet de poursuites pénales, n'aurait pas été rétabli dans ses fonctions à l'issue de ce délai. M. A… n'est donc pas fondé à soutenir que le centre hospitalier de Saint-Quentin a méconnu les dispositions précitées de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, entachant ainsi d'erreur de droit la décision du 16 avril 2018.

6. En dernier lieu, la suspension d'un agent public, qui est une mesure conservatoire dépourvue de caractère disciplinaire, non prise en considération de la personne, et ayant pour seul objet d'écarter l'intéressé du service pendant la durée normale de la procédure disciplinaire, peut être légalement prise dès lors que l'administration est en mesure, à la date de l'arrêté portant suspension de l'intéressé, d'articuler à son encontre des griefs présentant un caractère de vraisemblance suffisant et permettant de présumer que celui-ci a commis une faute grave.

7. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que c'est une altercation qui s'est produite le 7 février 2018 entre M. A… et un agent administratif affecté au service des archives médicales qui est à l'origine de la mesure de suspension adoptée à son encontre le 19 février 2018 et renouvelée le 16 avril 2018. Un rapport circonstancié, rédigé le 11 février 2018 par le cadre supérieur de santé en charge du service des archives, a été immédiatement remis à la direction et faisait état, comme en attestent les différents témoignages qui y étaient annexés, émanant de nombreux agents du service, de ce que M. A… avait pour habitude, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, de tenir des propos déplacés à connotation sexuelle, s'accompagnant souvent de gestes inappropriés, voire humiliants à l'encontre de certains agents, à l'origine d'un sentiment de malaise grandissant au sein du service qu'il avait sous sa responsabilité. Dans ces conditions, l'autorité disciplinaire doit être regardée comme ayant disposé, à la date de la décision attaquée, d'éléments précis et circonstanciés permettant de considérer les faits reprochés comme ayant un caractère de vraisemblance et de gravité suffisant. Les témoignages produits par M. A… en appel, généraux et ne portant pas sur les faits reprochés, ne sont pas de nature à remettre en cause cette appréciation. Le moyen tiré de l'erreur d'appréciation doit, par suite, être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A… n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 16 avril 2018 par laquelle la suspension de ses fonctions a été prolongée pour une durée de deux mois.

En ce qui concerne la sanction disciplinaire du 12 octobre 2018 :

9. En premier lieu, l'enquête administrative à laquelle M. A… reproche de n'avoir pas été précédée de l'information de son droit à communication de son dossier et à l'assistance d'un avocat, d'avoir été menée en méconnaissance des droits de la défense et de la présomption d'innocence et dont la synthèse aurait été partiale et subjective, a été menée aux mois de février et mars 2018 avant l'engagement de la procédure disciplinaire en litige. Indépendante de celle-ci, elle n'était soumise à aucun formalisme particulier dont la méconnaissance vicierait la procédure disciplinaire, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges au point 9 du jugement attaqué dont il y a lieu d'adopter les motifs.

10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1 du décret du 7 novembre 1989 susvisé : « le fonctionnaire contre lequel est engagée une procédure disciplinaire doit être informé qu'il a le droit d'obtenir la communication intégrale de son dossier individuel et de se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix. Il doit être invité à prendre connaissance du rapport mentionné à l'article 83 de la loi du 9 janvier 1986 susvisée ».

11. D'une part, contrairement à ce que soutient M. A…, ces dispositions n'imposent pas la communication à l'intéressé au fur et à mesure de leur recueil par l'autorité hiérarchique de l'ensemble des éléments rassemblés au cours de l'enquête préalable à la tenue du conseil de discipline qui, ainsi qu'il a été dit au point précédent, n'est en tout état de cause soumise à aucun formalisme particulier. D'autre part, M. A… n'établit, ni même n'allègue, qu'il n'aurait pu avoir accès à son dossier préalablement à la tenue de ce conseil, ni que ce dossier n'aurait pas comporté l'ensemble des éléments nécessaires à la préparation de sa défense. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit, par suite, être écarté.

12. En troisième lieu, c'est à bon droit et par des motifs énoncés aux points 10 et 11 du jugement attaqué, qu'il y a lieu d'adopter, que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du décret du 7 novembre 1989 dès lors que le changement de date de la réunion du conseil de discipline pour la fixer au 14 septembre 2018 ne constitue pas un report au sens de l'article 5 du décret précité, dont il résulte des termes mêmes qu'il ne peut être décidé qu'au cours de la séance du conseil de discipline à la majorité des membres présents, mais une simple mesure d'organisation matérielle préalable à la réunion du conseil de discipline.

13. En quatrième lieu, aux termes de l'article 83 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : « […] L'autorité investie du pouvoir de nomination et le fonctionnaire poursuivi peuvent faire entendre des témoins ». Aux termes de l'article 2 du décret du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière : « le fonctionnaire poursuivi […] peut, devant le conseil de discipline, présenter des observations écrites ou orales, citer des témoins et se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix ». Enfin, aux termes de l'article 6 de ce décret : « […] Le conseil de discipline entend séparément chaque témoin cité ». Il résulte de ces dispositions que le fonctionnaire dispose d'un droit de faire citer des témoins devant le conseil de discipline. En l'espèce, si M. A… soutient qu'à défaut d'avoir obtenu la communication des adresses des agents ayant témoigné contre lui, il a été dans l'impossibilité de faire citer des témoins, d'une part, il n'établit nullement avoir eu une telle intention, et, en tout état de cause, il lui appartenait de saisir le président du conseil de discipline d'une demande à cette fin. En refusant de communiquer à M. A… les adresses des agents ayant témoigné contre lui, le président du conseil de discipline n'a par suite pas méconnu les dispositions précitées de la loi du 9 janvier 1986 et du décret du 7 novembre 1989. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions, qui organisent la possibilité pour le fonctionnaire intéressé de faire citer des témoins devant le conseil de discipline, doit donc être écarté.

14. En dernier lieu, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire sont matériellement établis, constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

15. Pour infliger à M. A… une sanction du troisième groupe, en l'espèce, l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre mois, le directeur du centre hospitalier de Saint-Quentin s'est fondé sur l'attitude inadaptée et non professionnelle de M. A… envers les agents du service des archives médicales qu'il avait sous sa responsabilité. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier des témoignages précis, circonstanciés et concordants de nombreux agents du service des archives médicales, que M. A… a, de manière régulière et récurrente, depuis plusieurs années, tenu dans le cadre de ses fonctions des propos déplacés, notamment à caractère sexuel, dégradants et parfois injurieux, à l'endroit des agents placés sous sa responsabilité. Ces agissements, dont M. A… ne conteste d'ailleurs pas la matérialité, sont à l'origine d'un climat malsain au sein du service ayant conduit à une nette dégradation des conditions de travail. Les témoignages versés au dossier par M. A…, dont certains pour la première fois en appel, ne permettent pas de remettre en cause l'exactitude matérielle et le caractère fautif de ces agissements. La circonstance que cet environnement de travail dégradé ait parfois été accepté, voire entretenu, par certains agents n'est pas de nature à atténuer la gravité de la faute commise par M. A… qui, en sa qualité de responsable du service, se devait d'adopter un comportement exemplaire et de mettre un terme immédiat aux dérives observées. Ainsi que l'a jugé le tribunal, ces faits apparaissent d'une particulière gravité, eu égard à leur nature et à leur réitération sur une longue période et compte tenu des responsabilités hiérarchiques incombant à M. A…. C'est donc à juste titre que les premiers juges ont écarté les moyens tirés de l'erreur matérielle et l'erreur d'appréciation dirigés contre la décision du 12 octobre 2018.

16. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité des conclusions indemnitaires présentées par M. A… qui ne peuvent qu'être rejetées par voie de conséquence de l'absence de toute illégalité fautive commise par le centre hospitalier de Saint-Quentin, que M. A… n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté l'ensemble de ses demandes.

Sur les frais liés à l'instance :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du centre hospitalier de Saint-Quentin, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A… une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le centre hospitalier de Saint-Quentin et non compris dans les dépens.

DÉCIDE

Article 1er : La requête de M. A… est rejetée.

Article 2 : M. A… versera au centre hospitalier de Saint-Quentin une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C… A… et au centre hospitalier de Saint-Quentin.

CAA de Douai, 19 janvier 2021, M. A…, n°19DA01884


II – COMMENTAIRE

La décision de la cour administrative d'appel de Douai est intéressante en ce qu'elle aborde tantôt la problématique liée aux mesures conservatoires et tantôt les sanctions disciplinaires.

Voici les faits : un technicien supérieur hospitalier a fait l'objet d'une mesure de suspension de deux mois à la suite d'une altercation avec un autre agent du service. Dans l'attente des résultats de l'enquête administrative initiée par l'établissement, la suspension a été renouvelée pour deux mois. L'agent saisi dans un premier temps le tribunal administratif d'Amiens d'une demande en annulation de ces deux décisions.

Une procédure disciplinaire a été engagée entre-temps au terme de laquelle le directeur de l'établissement a prononcé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour quatre mois.

Par une seconde demande, le technicien a saisi le même tribunal en annulation de la sanction d'exclusion temporaire.

Le tribunal administratif ayant rejeté l'ensemble de ses demandes, l'agent interjette appel devant la cour administrative d'appel de Douai.

Dans un premier temps, la cour examine la décision de renouvellement de la suspension et rappelle qu'une décision de suspension est une mesure conservatoire prononcée dans l'intérêt du service et qu'elle ne constitue pas une sanction disciplinaire.

Ensuite, la juridiction d'appel vient préciser les dispositions de la loi du 13 juillet 1983 qui prévoient que si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise […] le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions et énonce qu'il n'est toutefois pas imposé que la procédure disciplinaire initiée par l'administration soit achevée à l'issue de ce délai de quatre mois. En ce sens, la cour conforte sa position énoncée dans un précédent arrêt du 17 août 2017 (FJH n° 092, 2017, p.475).

Enfin, elle énonce qu'une telle décision peut être légalement prise dès lors que l'administration est en mesure, à la date de l'arrêté portant suspension de l'intéressé, d'articuler à son encontre des griefs présentant un caractère de vraisemblance suffisant et permettant de présumer que celui-ci a commis une faute grave.

Dès lors, la cour retient que l'établissement a pris cette décision après avoir pris connaissance de l'altercation qui s'est produite ainsi que de témoignages relatant des propos déplacés à caractère sexuel ainsi que des gestes inappropriés voire humiliants à l'encontre de certains agents.

L'ensemble de ces éléments permet à la cour de conclure que la décision de renouvellement de la suspension de l'agent est justifiée.

Par ailleurs, la jurisprudence administrative confirme que des comportements violents et agressifs envers les personnels justifient des mesures conservatoires (voir en ce sens CAA de Douai, 29 janvier 2019, MD…, n°17DA01466, FJH n°026, 2019, p°109).

Dans un second temps, la cour apprécie la validité de la sanction disciplinaire prononcée à l'issue de la procédure disciplinaire.

En sa qualité de juge de l'excès de pouvoir, la cour recherche si les faits reprochés sont établis, s'ils constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité des fautes.

La cour observe que les faits reprochés étant établis, la position hiérarchique élevée de l'agent justifie une sanction du quatrième groupe et souligne qu'en sa qualité de responsable du service, se devait d'adopter un comportement exemplaire et de mettre un terme immédiat aux dérives observées.

Dès lors, la sanction de l'agent est justifiée et sa demande en annulation, rejetée.