L’absence de preuves permettant de qualifier des altercations comme un accident de service

  • Cour administrative d'appel Douai centre hospitalier de Douai 13/12/2022 - Requête(s) : 22DA00164

Résumé

Le différend opposant les agents qui a pour origine la remise des clés d'un local syndical n'est pas de nature à détacher l'incident du service mais il faut prouver les faits d’agression pour que l’accident de service soit reconnu.

 

I – LE TEXTE DE L’ARRÊT

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 22DA00164 et n° 22DA00365 sont dirigées contre le même jugement et concernent la situation d'une même personne. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. Mme E… D…, adjoint administratif au centre hospitalier de Douai, a demandé à son employeur de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident qu'elle indiquait avoir subi les 29 juin 2017 et le 3 juillet 2017. Par décision du 26 novembre 2018, le directeur des ressources humaines de cet établissement a rejeté sa demande. Le recours gracieux formé par Mme D… le 29 janvier 2019 a été implicitement rejeté. Le centre hospitalier de Douai relève appel du jugement du 25 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé ces décisions et lui a enjoint de reconnaître l'imputabilité au service des agressions verbales et des menaces dont Mme D… avait été victime entre le 29 juin 2017 et le 3 juillet 2017 et de procéder à la régularisation administrative et financière de la situation de l'intéressée.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : « Le fonctionnaire en activité a droit : […] 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence […] / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du Code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de la maladie ou de l'accident est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales ». Constitue un accident de service, pour l'application des dispositions précitées, un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.

4. Il ressort des pièces des dossiers que Mme D…, sollicitée par un collègue ayant quitté ses fonctions syndicales, a refusé de répondre à ses messages portant sur la restitution des clés d'un local syndical. Le jeudi 29 juin 2017, une altercation a été provoquée par ce collègue qui lui aurait adressé des propos menaçants. Le lundi 3 juillet 2017, Mme D… indique avoir reçu de nouvelles pressions de ce collègue. Autorisée à quitter le service, l'agent a déclaré un accident du travail. Contrairement à ce que le centre hospitalier a indiqué dans sa décision du 26 novembre 2018, la circonstance que le différend opposant les agents a pour origine la remise des clés d'un local syndical n'est pas de nature à détacher l'incident du service. Dès lors, le motif retenu par le centre hospitalier était illégal.

5. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

6. Les éléments décrits par Mme D… sont insuffisants pour établir qu'elle aurait été victime, les 29 juin 2017 et 3 juillet 2017, d'un accident. L'agent ne produit aucun témoignage précis relatant les faits qu'elle invoque. Ni le courriel de la responsable syndicale du 3 juillet 2017, ni le certificat médical rédigé le même jour par un médecin urgentiste, qui se borne à relater les faits décrits par l'agent, ne permettent de considérer que les altercations en cause constitueraient des événements soudains et violents susceptibles d'être qualifiés d'accident de service. En outre, le centre hospitalier de Douai fait valoir que l'expert ayant examiné Mme D… dans le cadre de l'instruction de sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de l'accident, précise que ces événements s'inscrivent dans un contexte conflictuel qui remonte à plusieurs mois. Dès lors, Mme D… n'est pas fondée à soutenir qu'elle a été victime d'un accident de service.

7. Il résulte de ce qui précède que le motif tiré de ce que les altercations évoquées par Mme D… ne répondent pas à la définition de l'accident de service, est de nature à justifier légalement le rejet de la demande d'imputabilité au service présentée par Mme D…. Il résulte des pièces des dossiers que le centre hospitalier de Douai aurait pris la même décision s'il avait entendu se fonder sur ce motif. Dès lors qu'elle ne prive Mme D… d'aucune garantie procédurale, il y a lieu de procéder à la substitution demandée, le premier motif retenu par le centre hospitalier étant, comme il est dit au point 3, illégal. Par suite, le centre hospitalier de Douai est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont annulé la décision du 26 novembre 2018 ainsi que celle par laquelle le centre a implicitement rejeté le recours gracieux de Mme D….

8. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme D… dans sa demande de première instance et dans les mémoires en défense qu'elle a présentés devant la cour.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

9. D'une part, ainsi qu'il vient d'être dit, Mme D… n'est pas fondée à soutenir que le centre hospitalier de Douai a commis une erreur d'appréciation en rejetant sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de l'accident qu'elle a déclaré.

10. D'autre part, la décision du 26 novembre 2018 a été signée par M. A… F…, directeur des ressources humaines du centre hospitalier de Douai. Il ressort des pièces des dossiers que, par acte du 13 avril 2018, le directeur du centre hospitalier de Douai, dont il n'est pas contesté qu'il dispose du pouvoir de nomination, a donné délégation de signature au directeur des ressources humaines, notamment, dans le domaine de la gestion statutaire du personnel titulaire non médical. Ainsi, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision du 26 novembre 2018 doit être écarté.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

11. Le présent arrêt, qui rejette la demande de première instance de Mme D…, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les demandes de Mme D… présentées devant le tribunal tendant à ce qu'il soit enjoint au centre hospitalier de Douai de reconnaître l'imputabilité au service des agressions survenues entre le 29 juin et le 3 juillet 2017 et de régulariser sa situation rétroactivement, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur le sursis à exécution du jugement :

12. La cour statuant par le présent arrêt sur la requête tendant à l'annulation du jugement n° 1904618 du tribunal administratif de Lille du 25 novembre 2021, les conclusions du centre hospitalier de Douai tendant au sursis à l'exécution de ce jugement ont perdu leur objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier de Douai, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme D… demande au titre des frais qu'elle a exposés. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D… une somme au titre des frais exposés par le centre hospitalier de Douai.

 

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions du centre hospitalier de Douai aux fins de sursis à l'exécution du jugement n° 1904618 du tribunal administratif de Lille du 25 novembre 2021.

Article 2 : Le jugement n° 1904618 du tribunal administratif de Lille du 25 novembre 2021 est annulé.

Article 3 : La demande présentée en première instance et les conclusions présentées en appel par Mme D… sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions du centre hospitalier de Douai tendant à l'application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié au centre hospitalier de Douai et à Mme E… D….

CAA de Douai, 13 décembre 2022, centre hospitalier de Douai, n°22DA00164

 

 

II – COMMENTAIRE

L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon le 13 décembre 2022 concernait une demande d’imputabilité au service d’agressions dont un adjoint administratif prétendait avoir été victime.

Précisément, l’adjoint administratif se plaignait des propos menaçants d’un collègue à propos des clefs d’un local syndical. L’adjoint administratif avait demandé à son collègue, qui avait quitté ses fonctions syndicales, la restitution des clés mais, le 29 juin 2017, une altercation avait été provoquée par ce dernier qui aurait eu des propos menaçants. Peu de temps après, le 3 juillet 2017, de nouvelles pressions auraient eu lieu de la part de ce même collègue à l’égard de l’adjoint administratif. 

L’adjoint administratif, alors demander à l’établissement de reconnaître l’imputabilité au service à l’accident survenu le 29 juin et 3 juillet 2017. L’établissement a refusé au motif que le différend opposant les agents a pour origine la remise des clés d'un local syndical qui doit être détaché des fonctions

 

En première instance, la requérante obtient gain de cause, mais en cause d’appel, le jugement est annulé par la cour administrative d’appel de Douai après avoir été saisie par le centre hospitalier de Douai.

Cet arrêt du 13 décembre 2022 doit retenir notre attention à deux égards.

 

En premier lieu, sur le terrain procédural, l’arrêt de la cour est intéressant parce qu’il rappelle la possibilité pour l’administration hospitalière de substituer pendant l’instance, un motif par rapport à celui invoqué dans la décision attaquée. En effet, l’établissement ne pouvait pas valablement fonder sa décision de refus sur le fait que l’incident de la remise des clés du local syndical était détachable du service. Cette substitution de motif en cours d’instance, remonte à la fameuse jurisprudence Hellal du Conseil d’État (CE, 6 février 2004, n°240560). Encore faut-il que ce motif soit de nature à fonder légalement la décision et vérifier que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif. De plus, le juge doit vérifier que cette substitution de motif ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale ; c’est-à-dire que le principe du contradictoire puisse être respecté. 

 

En deuxième lieu, la cour rappelle la définition de l’accident de service : « un événement survenu à une date certaine, par le fait, ou à l’occasion du service, dont il résulte une lésion, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci. ».

Or, les éléments qui étaient versés au débat étaient insuffisants pour établir l’existence d’un accident de service. En effet, le juge a considéré que « ni le courriel de la responsable syndicale du 3 juillet 2017, ni le certificat médical rédigé le même jour par un médecin urgentiste, qui se borne à relater les faits décrits par l’agent ne permettent de considérer que les altercations en cause constitueraient des événements soudains et violents susceptibles d’être qualifiés d’accident de service ».

 

Pour un autre cas où n’a pas été reconnue comme accident de travail l’altercation entre un agent et son collègue à la suite d’un avis négatif de la commission de réforme, voir : CAA de Lyon, 24 octobre 2017, n°15LY03601, FJH n°006, p.27, 2018