La faute inexcusable de l'employeur dans l'agression d'une urgentiste

Cette décision de la Cour de cassation du 29 février 2024, si elle concerne un établissement privé à but non lucratif, n'en présente pas moins un intérêt puisqu'elle concerne la faute inexcusable de l'employeur, en l'espèce reconnue dans l'accident du travail dont a été victime une urgentiste.

En l'espèce, une urgentiste a été violemment agressé par une patiente alors qu'elle se trouvait dans l'espace ambulatoire ; la patiente s'est jetée sur elle et l'a agrippée par les cheveux avant de la frapper, une fois au sol, à coups de poing et de pied. L'auteur des faits a été condamné par le tribunal correctionnel de Nanterre, le 16 juin 2017, à une peine de trois mois d'emprisonnement pour violences sur un professionnel de santé suivies d'une incapacité de travail supérieure à huit jours. La victime a saisi le tribunal judiciaire de Nanterre d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et, sa requête ayant été rejetée, a relevé appel de ce jugement. La CA de Versailles a jugé, le 16 juin 2022 (n°21/02680), que la faute inexcusable était caractérisée en s'appuyant sur plusieurs éléments :

- la recrudescence d'actes violents au sein du service des urgences de l'hôpital était évoquée dès 2015 par le programme d'évaluation des pratiques professionnelles, en raison, notamment, de l'engorgement des services générant l'insatisfaction des usagers, l'altération des conditions de travail et la dégradation de la qualité des soins ;

- l'employeur ne pouvait ignorer le risque d'agression encouru par son personnel soignant, médecins compris, dans un contexte de tensions professionnelles et relationnelles exacerbées, la conscience du danger devant s'apprécier in abstracto, et non au vu d'un événement particulier.

Les réponses apportées étaient soit postérieures à l'agression (recrutement d'un agent de sécurité, fermeture des portes coulissantes), soit sous-dimensionnées (formations sur la gestion de la violence, contrat de sécurité cynophile). En résumé, les mesures de protection mises en œuvre par l'employeur étaient insuffisantes ou inefficaces à prévenir le risque d'agression auquel était soumis son personnel en particulier, son personnel de nuit. 

Saisie en cassation, la Cour vient de trancher l'affaire dans son arrêt du 29 février 2024 (n°22-18.868). Après avoir rappelé que, en vertu des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale et L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, la Cour considère que l'employeur ne pouvait ignorer le danger et le risque d'agression, couvant depuis 2015. Rejoignant l'analyse de la cour d'appel, le pourvoi est rejeté.