Attention sol glissant : le CE reconnaît la "nature sérielle" des actions indemnitaires engagées contre les sociétés de revêtements de sol

C'est une affaire au long cours qui mérite quelques développements chronologiques.

“Sur la base d’indices transmis par la DGCCRF,  l’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office et a mené, en 2013, des opérations de visite et saisie dans le secteur des revêtements de sols” (voir le communiqué de presse du 19 octobre 2017). Elle a sanctionné à hauteur de 302 millions d'euros “les trois fabricants leaders des revêtements de sols PVC et linoléums en France, Forbo, Gerflor et Tarkett ainsi que le syndicat professionnel des revêtements de sols, le SFEC (Syndicat Français des Enducteurs Calandreurs et Fabricants de Revêtements de Sols et Murs)”  dans sa décision n°17-D-20 du 18 octobre 2017 pour :

"- une entente entre les trois principaux fabricants de revêtement de sols PVC en France portant sur de nombreux aspects de la politique commerciale, dont les prix, et constituant un plan d’ensemble visant à réduire drastiquement, voire à totalement supprimer, la concurrence dans le secteur de la fabrication et la commercialisation des produits de revêtements de sols PVC et linoléums, et à stabiliser les situations respectives de Forbo, Gerflor et Tarkett ;

- l’échange, sous l’égide du  SFEC, d’informations confidentielles précises relatives à leur activité leur permettant d’ajuster leur politique commerciale ;

- la signature, avec le concours du SFEC, d’un pacte de non concurrence concernant la communication sur les performances environnementales de leurs produits."

Ces revêtements de sols, particulièrement résistants, sont notamment installés dans les établissements de santé ou maisons de retraite.

Dès lors, un certain nombre d'établissements ont saisi la justice au regard de leur préjudice économique, dans le cadre d'un recours collectif initié en 2022.

Le tribunal administratif de Lyon vient d'apporter la première pierre à l'édifice dans sa décision Centre hospitalier Privas Ardèche du 18 juillet 2024.

Tout d'abord, il n'admet pas l'annulation du marché public passé mais accueille le moyen fondé sur les pratiques anticoncurrentielles des sociétés mises en cause et du syndicat au regard de la décision de l'Autorité de la concurrence et conclut que “le centre hospitalier Privas Ardèche est fondé à rechercher la responsabilité quasi-délictuelle de ces sociétés et syndicat du fait de ces pratiques.”

Divers préjudices sont avancés par le CH : “la perte résultant du surcoût correspondant à la différence entre le prix du bien ou du service qu'il a effectivement payé et celui qui l'aurait été en l'absence de commission de l'infraction, sous réserve de la répercussion totale ou partielle de ce surcoût qu'il a éventuellement opérée sur son contractant direct ultérieur, la perte de chance et le préjudice moral.”

Le surcoût est aisément admis par le tribunal administratif.

En revanche et c'est regretté, le TA ne suit pas le CH dans son moyen relatif à la perte de chance d'acquérir des produits plus performants. En effet, les sociétés s'étaient entendues sur ce point et même s'il s'agit d'un "des critères essentiels du choix des acheteurs", “le centre hospitalier Privas Ardèche ne justifie pas avoir subi un préjudice personnel tenant à la privation de la qualité environnementale des produits du fait de l’entente.”

Le tribunal s'en remet à une expertise avant-dire-droit.

 

Le Conseil d'État a, de son côté, apporté une précision dans son arrêt n°491177 du 30 juillet 2024. Dans cette affaire, “le tribunal administratif de Strasbourg, saisi par le centre hospitalier Robert-Pax du litige l'opposant notamment aux sociétés Gerflor et Tarkett France, a, avant dire droit, ordonné une expertise en vue de lui fournir tous les éléments permettant de déterminer le montant des préjudices que le centre hospitalier estime avoir subis du fait des pratiques anticoncurrentielles de ces sociétés. La société Gerflor s'est, d'une part, opposée à ce que certains documents, qu'elle avait transmis au seul expert, soient soumis au débat contradictoire, et, d'autre part, abstenue de donner suite à la demande de l'expert de produire d'autres documents." La société Gerflor en a demandé l'annulation mais la CAA de Nantes a, par ordonnance du 10 janvier 2024, rejeté cette requête comme manifestement irrecevable au motif “que la décision du 14 décembre 2023 de la magistrate chargée des expertises du tribunal administratif de Strasbourg, qui enjoint sous astreinte à la société Gerflor de communiquer des documents à l'expert, ne constitue pas une décision à caractère juridictionnel susceptible d'être contestée en appel” ; le CE juge qu'il s'agit là d'une erreur de droit et annule. D'autres décisions du même jour concernent les autres sociétés mises en cause (Tarkett France).

 

 

 

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