Le licenciement pour faute grave d’un ASH est inadapté en cas de faute vénielle

Publié en septembre 2017 | FJH n°067 , p.337

Licenciement Annulation Faute grave ASH

Voir également :
  • Cour administrative d'appel Nantes Mme D... 22/06/2017 - Requête(s) : 16NT00113

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT

1. Considérant que Mme D… a été engagée à partir du 9 août 2010, en qualité d'agent des services hospitaliers, par le centre hospitalier de Saint-Brieuc, par des contrats à durée déterminée successifs dont le dernier a été conclu à compter du 11 juillet 2013 pour une durée d'un an ; que, par une décision du 10 octobre 2013, le directeur de l'hôpital a prononcé son licenciement pour faute grave ; que le centre hospitalier de Saint-Brieuc relève appel du jugement du 3 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Rennes, saisi par Mme D…, a annulé cette décision ainsi que la décision de rejet du recours gracieux du 29 octobre 2013 et l'a condamné à verser à son agent, d'une part, une somme de 4 758 euros au titre de l'indemnité de licenciement, de la privation de préavis, du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence et, d'autre part, une indemnité correspondant aux pertes de revenus subies, dont la liquidation lui a été confiée ; que, par la voie de l'appel incident, Mme D… demande à la cour de porter au montant total de 12 503,30 euros la somme que le centre hospitalier de Saint-Brieuc doit être condamné à lui verser ;

Sur la légalité de la décision de licenciement :

2. Considérant que la décision de licenciement contestée repose sur les motifs tirés de ce qu'il est reproché à Mme D… d'avoir quitté son poste le 21 août 2013 à 20 h 10, soit 1 heure et 5 minutes avant la fin de son service, et d'avoir cessé de travailler dès 19 h 40 ; qu'à ces motifs le directeur du centre hospitalier a ajouté les difficultés liées au comportement professionnel de l'intéressée apparues à la fin de l'année 2012 et ayant justifié un courrier du 13 février 2013 et le fait d'avoir quitté le service sans autorisation le 24 décembre 2012 à 13 h 15 au lieu de 14 h 15 ;

3. Considérant, toutefois, que les faits relevés en décembre 2012, dont Mme D… fait valoir qu'ils relèvent d'une pratique traditionnellement autorisée la veille de Noël, n'avaient fait l'objet d'aucune remarque ni d'aucun rapport avant le 10 octobre 2013 ; que, par ailleurs, l'évaluation professionnelle réalisée le 10 juillet 2013 a relevé une amélioration du comportement de l'intéressée, ce qui a d'ailleurs justifié le renouvellement de son contrat de travail du 10 juillet 2013 au 10 juillet 2014 ; qu'enfin le départ anticipé reproché à l'agent le 21 août 2013 est intervenu dans des circonstances particulières où l'infirmière responsable du service était informée et avait accepté de libérer Mme D… à partir de 20 h 30 et où une aide soignante provenant d'un autre service avait été appelée en renfort provisoire, et ne saurait être regardé, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier, comme un abandon de poste, Mme D… ayant repris son travail le lendemain et jusqu'à la date de son éviction du service le 29 octobre 2013 ; que, dans ces conditions, à supposer que les faits reprochés à Mme D… puissent être regardés comme constitutifs d'une faute professionnelle de nature à justifier une sanction, la sanction de licenciement prononcée était, en tout état de cause, inadaptée et sans proportion avec ces faits ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision de licenciement du 10 octobre 2013 ainsi que la décision du 29 octobre 2013 rejetant le recours gracieux formé par Mme D… ; que l'illégalité de ces décisions est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Saint-Brieuc ;

Sur les conclusions indemnitaires :

5. Considérant, en premier lieu, que Mme D… est fondée à demander la condamnation du centre hospitalier de Saint-Brieuc à lui verser, au titre de la perte de revenus, une indemnité correspondant à la différence entre, d'une part, les sommes qu'elle aurait dû percevoir à compter du 29 octobre 2013, date de son éviction, et jusqu'au 10 juillet 2014, terme de son contrat, à l'exclusion de toutes primes ou indemnités liées directement à l'exercice effectif des fonctions, et, d'autre part, les revenus de remplacement de toute nature dont elle a pu bénéficier au cours de la même période ; qu'elle a produit à l'instance un tableau précis et détaillé prenant en compte les revenus qu'elle aurait dû percevoir et les revenus de remplacement qu'elle a perçus au cours de la période d'éviction ; que les montants qui y figurent ne sont pas contestés ; qu'ainsi la somme à laquelle Mme D… a droit doit être arrêtée au montant de 2 565,30 euros qu'elle indique ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que, par l'effet de l'annulation de la décision de licenciement, prononcée par le tribunal administratif et confirmée au point 2 du présent arrêt, et de la condamnation du centre hospitalier de Saint-Brieuc à verser à l'intéressée la somme de 2 565,30 euros représentative de ses pertes de revenus au cours de la période d'éviction prononcée au point 5, Mme D… se trouve placée dans la même situation que si elle était allée jusqu'au terme de son contrat ; qu'il ne peut, par suite, lui être également allouées une indemnité de préavis et une indemnité de licenciement ;

7. Considérant, en troisième lieu, que Mme D…, qui justifie des difficultés à retrouver un emploi équivalent, est fondée à obtenir réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'elle a subis du fait de son licenciement illégal ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces préjudices en condamnant le centre hospitalier de Saint-Brieuc à lui verser une somme de 5 000 euros ;

8. Considérant que Mme D… a droit, sur la somme totale de 7 565,30 euros qui lui est accordée par le présent arrêt, aux intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande indemnitaire préalable, soit le 24 décembre 2013 ; que ces intérêts seront eux-mêmes capitalisés à compter du 24 décembre 2014, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Saint-Brieuc n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes l'a condamné à indemniser Mme D… ; que Mme D… est, pour sa part, fondée à demander la réformation du jugement dans la mesure énoncée aux points 5 et 7 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative :

10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme D…, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le centre hospitalier de Saint-Brieuc demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Brieuc le versement à Mme D… de la somme de 1 500 euros au titre de ces mêmes dispositions ;

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que le centre hospitalier de Saint-Brieuc a été condamné par le tribunal administratif de Rennes à verser à Mme D… est portée au montant total de 7 565,30 euros. Cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2013, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés à compter du 24 décembre 2014, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 2 : Le jugement n° 1304977 du 3 décembre 2015 du tribunal administratif de Rennes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La requête du centre hospitalier de Saint-Brieuc et le surplus des conclusions présentées devant la cour par Mme D… sont rejetés.

Article 4 : Le centre hospitalier de Saint-Brieuc versera à Mme D… une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Saint-Brieuc et à Mme D….

CAA Nantes, Mme D…, 22 juin 2017, n° 16NT00113

II – COMMENTAIRE

Un agent des services hospitaliers avait été licencié pour faute grave au motif qu'il avait quitté le service sans autorisation le 24 décembre 2012 à 13 heures 15 au lieu de 14 heures 15 et qu'il avait quitté son poste le 21 août 2013 à 20 heures 10 soit 1 heure 05 avant la fin de son service et avait cessé de travailler avant 19 heures 40.

La décision de licenciement a été annulée par le tribunal administratif de Rennes dans son jugement du 3 décembre 2015.

La cour administrative d'appel de Nantes, dans son arrêt du 22 juin 2017, a confirmé la solution des juges de première instance.

La juridiction d'appel a considéré que la sanction de licenciement était inadaptée et sans proportion avec les faits qui étaient commis.

De plus, en ce qui concerne le départ avancé la veille de Noël, l'agent faisait valoir devant le juge administratif que cette pratique était autorisée au sein de l'établissement et que la direction n'avait fait aucune remarque avant le rapport du 10 août 2013.

Quant à son départ en avance le 21 août 2013, l'agent le justifiait en indiquant que l'infirmière responsable du service avait été informée puis qu'elle avait accepté en raison des circonstances particulières.

L'enseignement de la jurisprudence rapportée est clair : l'autorité administrative doit prendre la mesure de la faute avant de sanctionner un agent car les juges contrôlent non seulement l' existence des griefs reprochés à l'agent et en plus vérifient la proportionnalité de la sanction par rapport aux faits imputés à l'agent.

L'autorité administrative doit être d'autant plus vigilante que si la décision de licenciement est annulée, l'agent peut ensuite demander réparation pour des préjudices subis (préjudice économique, préjudice moral…).

Tel a été le cas dans cette affaire jugée le 22 juin 2017.

Au total la somme qui doit être versée par l'hôpital peut très vite atteindre plusieurs milliers d'euros.

En l'espèce, l'établissement a été condamné à 7 565,30 euros ainsi que les intérêts au taux légal et sans oublier la somme de 1 500 euros au titre des remboursements des frais de procédure.