Le licenciement sans préavis et indemnité d’un psychologue contractuel

  • Cour administrative d'appel Bordeaux Centre hospitalier de Muret 10/07/2018 - Requête(s) : 16BX02274

Résumé

Le licenciement d'un psychologue contractuel sans préavis et indemnité est justifié en raison de manquements à l'obligation d'obéissance hiérarchique et à l'accomplissement de ses missions et fonctions statutaires de psychologue.

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT

1. M. E… a été recruté par le centre hospitalier de Muret par contrat à durée indéterminée conclu le 8 juillet 2010 pour exercer les fonctions de psychologue, après avoir exercé ces fonctions dans ce même établissement public à compter du 15 septembre 2008, dans le cadre de deux contrats à durée déterminée successifs. Par lettre du 29 mars 2012, le directeur du centre hospitalier de Muret a informé l'intéressé de manquements constatés à ses obligations professionnelles et de ce que des suites disciplinaires étaient susceptibles d'être données à ces manquements. Cette même autorité a infligé à M. E… un avertissement, par décision du 6 avril 2012, annulée par le tribunal administratif de Toulouse le 9 février 2016. Par décision du 12 novembre 2013, M. E… a été licencié pour faute sans préavis ni indemnité à compter du 22 novembre 2013. Le centre hospitalier de Muret relève appel du jugement du 18 mai 2016 du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a annulé la décision de licenciement de M. E… du 12 novembre 2013 et a enjoint à son directeur de procéder à la réintégration de M. E… dans cet établissement à compter du 12 novembre 2013.

Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête :

2. M. E… soutient que la requête d'appel serait irrecevable en raison de l'intervention d'une nouvelle décision de licenciement prise à son encontre le 20 mai 2016, qui aurait implicitement retiré la précédente décision de licenciement en date du 12 novembre 2013. Toutefois, il n'est pas établi que cette nouvelle mesure soit devenue définitive. Au demeurant, cette décision du 20 mai 2016, qui précise qu'elle prend effet à compter de sa notification, n'a eu ni pour objet ni pour effet de retirer la précédente mesure de licenciement, mais de licencier M. E… pour l'avenir. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par celui-ci doit être écartée.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

3. Aux termes de l'article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, alors en vigueur : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. À cet effet, doivent être motivées les décisions qui : […] infligent une sanction […] ». Aux termes de l'article 3 de cette même loi : « La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ». Et aux termes de l'article 39 du décret n° 91-155 du 6 février 1991 : « Les sanctions disciplinaires susceptibles d'être appliquées aux agents contractuels sont les suivantes : […] 4° Le licenciement, sans préavis ni indemnité de licenciement. / La décision prononçant une sanction disciplinaire doit être motivée ». Il résulte de ces dispositions que l'autorité qui prononce une sanction disciplinaire a l'obligation de préciser elle-même, dans sa décision, les griefs qu'elle entend retenir à l'encontre de l'intéressé, de sorte que ce dernier puisse, à la seule lecture de la décision qui lui est notifiée, connaître les motifs de la sanction qui le frappe.

4. L'autorité qui inflige la sanction doit, à ce titre, indiquer, soit dans sa décision elle-même, soit par référence à un document joint ou précédemment adressé à la personne sanctionnée, les considérations de fait sur lesquelles elle se fonde. La décision contestée précise expressément que le rapport disciplinaire, mentionnant les faits matériels constitutifs des fautes qui sont reprochées à M. E…, est joint à cette décision et l'intéressé n'a jamais signalé l'absence de ce rapport avant l'introduction de sa demande devant le tribunal administratif. La décision contestée pouvait faire référence au rapport disciplinaire, qui énonce de façon suffisamment précise les faits matériels constitutifs des fautes reprochées à M. E… Dans ces conditions, la décision du 12 novembre 2013 est suffisamment motivée en fait au regard des dispositions précitées de la loi du 11 juillet 1979 et du décret du 6 février 1991 et expose suffisamment les raisons qui ont conduit le directeur du centre hospitalier de Muret à prendre une décision de licenciement.

5. Il résulte de ce qui précède que le directeur du centre hospitalier de Muret est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision de licenciement de M. E… du 12 novembre 2013. Il y a lieu pour la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E… devant le tribunal administratif de Toulouse et devant la cour.

Sur les autres moyens invoqués par M. E… :

En ce qui concerne la légalité externe :

6. En premier lieu et contrairement à ce que soutient M. E…, la décision de licenciement mentionne qu'elle est signée par M. A… G…, directeur du centre hospitalier de Muret. De plus, la circonstance que la lettre de convocation à l'entretien disciplinaire serait entachée d'irrégularité est sans incidence sur la légalité de la décision de licenciement en litige.

7. En deuxième lieu et aux termes de l'article 39-1 du décret précité du 6 février 1991 : « En cas de faute grave commise par un agent contractuel, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité définie à l'article 40 du présent décret […] ». D'une part, contrairement à ce que soutient M. E…, aucune disposition du décret du 6 février 1991 ne prévoit que la décision de licenciement aurait dû être précédée d'une mise à pied préalable. D'autre part, le directeur du centre hospitalier de Muret n'était pas tenu, avant de prendre la décision de licenciement en litige, de prononcer à l'encontre de M. E… une mesure de suspension, qui n'est ni automatique ni de droit.

8. En troisième lieu et aux termes de l'article 40 du décret du 6 février 1991 : « Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité signataire du contrat. / L'agent contractuel à l'encontre duquel une sanction disciplinaire est envisagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes. Il a également le droit de se faire assister par les défenseurs de son choix. / L'intéressé doit être informé par écrit de la procédure engagée et des droits qui lui sont reconnus ».

9. Il ressort des pièces du dossier que M. E… a été convoqué à un entretien disciplinaire par lettre du 29 juillet 2013, qu'il a pris connaissance de son dossier le 12 août 2013, qu'accompagné d'un représentant du personnel, il a présenté ses observations orales au cours de l'entretien disciplinaire du 27 août 2013, que le compte-rendu de cet entretien lui a été transmis le 9 septembre 2013 et qu'il a présenté des observations écrites sur ce compte-rendu le 18 septembre 2013. Par suite, M. E… n'est pas fondé à soutenir que la décision de licenciement contestée n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire.

10. En quatrième lieu et d'une part, M. E… a la qualité d'agent contractuel de droit public et est, à ce titre, soumis aux dispositions du décret précité du 6 février 1991 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière. Par suite, l'appelant ne saurait utilement se prévaloir des dispositions de l'article 82 de la même loi du 9 janvier 1986 en application desquelles l'autorité disciplinaire se prononce après avis de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline, dès lors que ces dispositions ne s'appliquent qu'aux agents titulaires de la fonction publique hospitalière.

11. D'autre part, il ne résulte ni des dispositions précitées de l'article 40 du décret du 6 février 1991, ni d'aucune autre disposition législative ou réglementaire que l'autorité investie du pouvoir disciplinaire qui envisage d'infliger une sanction à un agent contractuel serait tenue de saisir, au préalable, le conseil de discipline. Par suite, M. E… n'est pas fondé à soutenir que le défaut de saisine de cette instance consultative entacherait la décision attaquée d'un vice de procédure.

12. En cinquième et dernier lieu aucun texte ni aucun principe général du droit n'enferme dans un délai déterminé, à la date de la décision attaquée, l'exercice de l'action disciplinaire à l'égard d'un agent public. Dans ces conditions, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce que l'administration aurait engagé tardivement la procédure disciplinaire.

En ce qui concerne la légalité interne :

13. Si les faits qui ont motivé la sanction de l'avertissement infligée le 6 avril 2012 à M. E… sont de même nature que ceux qui ont justifié son licenciement, ils se sont toutefois produits pendant deux périodes successives et distinctes. Dans ces conditions, le directeur du centre hospitalier de Muret n'a pas méconnu le principe « non bis in idem ».

14. Par ailleurs et aux termes de l'article 1-1 du décret du 6 février 1991 : « […] L'agent contractuel est, quel que soit son emploi, responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public […] ». Aux termes de l'article 39-2 du même décret : « Tout manquement au respect des obligations auxquelles sont assujettis les agents publics, commis par un agent contractuel dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, est constitutif d'une faute l'exposant à une sanction disciplinaire, sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par le Code pénal ». Enfin, aux termes de l'article 39 du même décret : « Les sanctions disciplinaires susceptibles d'être appliquées aux agents contractuels sont les suivantes : […] 4° Le licenciement, sans préavis ni indemnité de licenciement […] ».

15. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

16. Pour prononcer à l'encontre de M. E… la sanction du licenciement sans préavis ni indemnité de licenciement, le directeur du centre hospitalier de Muret s'est fondé sur les motifs tirés de ce que l'intéressé avait manqué à ses obligations professionnelles, par des manquements répétés, d'une part, à l'obligation d'obéissance hiérarchique et, d'autre part, à l'accomplissement de ses missions et fonctions statutaires de psychologue dans la prise en charge pluridisciplinaire du résident, sous responsabilité médicale.

17. Il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport disciplinaire établi par le directeur adjoint du centre hospitalier de Muret qu'en dépit d'un avertissement qui lui a été infligé le 6 avril 2012, M. E… a refusé de respecter l'organisation institutionnelle établie par la hiérarchie, créant ainsi des tensions au sein du service avec le personnel, s'est abstenu de rendre compte de son activité clinique, a refusé de respecter son cadre d'intervention et celui du médecin, mettant ainsi en danger la santé d'un résident en œuvrant pour lui faire prescrire un antidépresseur alors qu'une telle prescription médicale ne lui était pas adaptée, a utilisé un véhicule déjà réservé par un service, sans prévenir ni respecter la procédure de réservation, et a refusé d'intervenir en cas de crises parfois violentes de résidents. Par conséquent, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait fondée sur des motifs inexacts ne peut qu'être écarté.

18. Les manquements en cause constituent des fautes et sont de nature à justifier une sanction disciplinaire. En prononçant le licenciement critiqué, le directeur du centre hospitalier de Muret n'a pas, dans les circonstances de l'affaire et au regard de la gravité des fautes commises, pris une sanction disproportionnée.

19. En outre, la circonstance, à la supposer établie, que M. E… aurait été victime de calomnies au sein du centre hospitalier de Muret est sans incidence sur la légalité de la décision contestée. Enfin, si l'avis de vacance du poste de psychologue occupé par M. E… a été diffusé le 25 juillet 2013, cet avis mentionnait que le poste était seulement susceptible d'être vacant au 1er septembre 2013. Par suite, la diffusion de cet avis de vacance est également sans incidence sur la légalité de la décision contestée.

20. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 18 mai 2016 en tant qu'il a annulé la décision de licenciement de M. E… du 12 novembre 2013 et a enjoint au directeur du centre hospitalier de Muret de procéder à la réintégration de M. E… dans cet établissement.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du Code justice administrative :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Muret, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. E… demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E… la somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1305822, 1401452 du 18 mai 2016 du tribunal administratif de Toulouse est annulé en tant qu'il a annulé la décision de licenciement de M. E… du 12 novembre 2013 et a enjoint au directeur du centre hospitalier de Muret de procéder à la réintégration de M. E… dans cet établissement.

Article 2 : La demande de M. E… devant le tribunal administratif de Toulouse et ses conclusions présentées devant la cour sont rejetées.

Article 3 : M. E… versera au centre hospitalier de Muret la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de M. E… tendant à l'application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B… E… et au centre hospitalier de Muret.

CAA Bordeaux, Centre hospitalier de Muret, 10 juillet 2018, n° 16BX02274

II – COMMENTAIRE

L'affaire jugée par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 10 juillet 2018 concernait le licenciement d'un agent qui avait été recruté par le centre hospitalier de Muret par contrat à durée indéterminée pour exercer les fonctions de psychologue. Cet agent avait été auparavant recruté par le même établissement public de santé dans le cadre de deux CDD successifs. Le psychologue avait fait l'objet d'un avertissement par décision du directeur le 6 avril 2012, puis, par décision du 2 novembre 2013, il avait été licencié pour faute sans préavis ni indemnité. L'agent avait exercé un recours pour excès de pouvoir contre la décision de licenciement et il avait obtenu gain de cause par jugement du 18 mai 2016 rendu par le tribunal administratif de Toulouse. Le centre hospitalier de Muret avait interjeté appel et la cour administrative d'appel de Bordeaux annula la décision rendue en première instance au motif que le licenciement du psychologue était parfaitement fondé. À sa lecture, l'arrêt rendu le 10 juillet 2018 est intéressant à un double titre.

En premier lieu, la mesure de suspension provisoire prévue par l'article 39-1 du décret n° 91-155 du 6 février 1991 n'est pas un préalable obligatoire à la décision de licenciement sans préavis et sans indemnité. Pour le dire autrement, l'autorité de nomination n'est pas obligée de suspendre provisoirement l'agent contractuel avant de prendre la décision de licenciement. Les juges d'appel sont très clairs : « D'une part contrairement à ce que soutient M. E…, aucune disposition du décret du 6 février 1991 ne prévoit que la décision de licenciement aurait dû être précédée d'une mise à prix préalable. D'autre part, le directeur du centre hospitalier de Muret n'était pas tenu, avant de prendre la décision de licenciement en litige, de prononcer à l'encontre de M. E… une mesure de suspension, qui n'est ni automatique, ni de droit ».

En second lieu, l'autre point intéressant de l'arrêt concerne le contrôle de la matérialité des manquements reprochés à l'agent contractuel. Ici comme ailleurs, l'autorité administrative disposait de plusieurs pièces dans le dossier qui permettaient de mettre en évidence :

  • le refus du psychologue de respecter l'organisation institutionnelle établie par la hiérarchie créant ainsi des tensions au sein du service avec le personnel ;
  • le fait de s'être abstenu de rendre compte de son activité clinique ;
  • le refus de respecter son code d'intervention ou celui du médecin, mettant ainsi en danger la santé d'un résident en œuvrant pour lui faire prescrire un antidépresseur alors qu'une telle prescription médicale ne lui était pas adaptée ;
  • le fait d'avoir utilisé un véhicule déjà réservé par le service, sans prévenir ni respecter la procédure de réservation ;
  • le refus d'intervenir en cas de crises, parfois violentes, de résidents.

La direction de l'établissement avait donc de nombreux éléments pour justifier les griefs contre le psychologue contractuel qui mettaient en évidence ses manquements répétés à ses obligations professionnelles que sont l'obéissance hiérarchique et l'accomplissement de ses missions en tant que psychologue dans la prise en charge pluridisciplinaire de ses responsabilités médicales.