L’erreur commise par l’administration hospitalière pour le calcul des cotisations sociales à la charge d’un praticien hospitalier engage sa responsabilité

  • Cour administrative d'appel Marseille Mme. A… 28/11/2019 - Requête(s) : 18MA04657

RÉSUMÉ

À la suite d'une erreur d'assiette dans le calcul des cotisations, le praticien hospitalier a dû acquitter une cotisation d'impôt sur le revenu d'un montant plus élevé que celui qu'il aurait dû verser si les cotisations sociales avaient été normalement précomptées sur ses rémunérations et par conséquent, le praticien a droit à réparation de son préjudice financier.


I – LE TEXTE DE L'ARRÊT


1. Par jugement du 20 septembre 2018, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la demande de Mme A…, praticien hospitalier au sein du centre hospitalier de Montfavet depuis le 15 janvier 2001, tendant, d'une part, à l'annulation des courriers du 29 juillet 2015 du centre hospitalier l'informant notamment d'une erreur de calcul de ses cotisations à l'IRCANTEC et du 9 novembre 2015 l'informant de l'envoi d'un avis des sommes à payer de régularisation de la part salariale de ses cotisations de retraite depuis le mois de juillet 2008 ainsi que des sept avis de sommes à payer du 1er décembre 2015, d'autre part, sa demande de condamnation dudit centre hospitalier à lui verser la somme de 2 085,87 euros en réparation du préjudice financier subi au titre des années 2012 à 2014 ou, à défaut, la somme de 4 747,50 euros en réparation du même préjudice au titre des années 2008 à 2014 et, enfin, sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint au centre hospitalier de lui accorder un échéancier de 24 mois pour le règlement des sommes en cause. Mme A… relève appel de ce jugement en tant seulement qu'il a rejeté les conclusions à fin d'annulation de sa demande et celles tendant à la condamnation du centre hospitalier de Montfavet à lui verser la somme de 4 747,50 euros.

2. En premier lieu, c'est à bon droit que, par des motifs que Mme A… ne conteste pas utilement, les premiers juges ont rejeté comme irrecevables ses conclusions dirigées contre les lettres des 29 juillet 2015 et 9 novembre 2015 par lesquelles la directrice du centre hospitalier de Montfavet l'a, respectivement, informée de l'existence d'une erreur dans le calcul de ses cotisations de retraite depuis le mois de juillet 2008 en lui indiquant qu'il serait nécessaire de régulariser la situation et en l'invitant à la rencontrer à cette fin et lui a précisé qu'elle lui adresserait, dès réception de la facture de l'IRCANTEC, un avis des sommes à payer aux fins de régularisation, en retenant que ces courriers, qui n'avaient ni pour objet, ni pour effet, d'établir le montant du remboursement réclamé ou d'en ordonner le reversement, n'avaient pas le caractère d'actes faisant grief susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation.

3. En deuxième lieu, selon le premier alinéa de l'article L. 142-1 du Code de la sécurité sociale, «  il est institué une organisation du contentieux général de la sécurité sociale », dont le second alinéa du même article spécifie qu'elle règle les différends auxquels donne lieu l'application des législations et réglementations de sécurité sociale, pour autant que ces différends ne relèvent pas, par leur nature, d'un autre contentieux. Les litiges à caractère individuel qui peuvent s'élever au sujet de l'affiliation d'une personne à un régime de sécurité sociale relèvent de la compétence des juridictions du contentieux général de la sécurité sociale. Il en va ainsi, même dans le cas où les décisions contestées sont prises par des autorités administratives, dès lors du moins que ces décisions sont inhérentes à la gestion, suivant des règles de droit privé, du régime de sécurité sociale en cause. Enfin, les rapports entre les salariés et les employeurs qui ont trait aux obligations de ces derniers au regard d'une institution de prévoyance gérant un régime complémentaire de retraite, sont des rapports de droit privé.

4. Il suit de là que les titres exécutoires contestés, émis par le centre hospitalier de Montfavet pour le montant des cotisations à la charge de la requérante de son affiliation au régime de retraite complémentaire des agents publics non titulaires de l'État et des collectivités publiques, est inhérent à la gestion, suivant des règles de droit privé, de ce régime, même si la créance en cause est de nature salariale. Ainsi, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la contestation par l'intéressée de ces titres exécutoires ne ressortait pas à la compétence de la juridiction administrative.

5. En dernier lieu, aux termes de l'article R. 421-1 du Code de justice administrative : « sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée […] » Aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut être opposée à un requérant ayant introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n'avait présenté aucune demande en ce sens devant l'administration lorsqu'il a formé, postérieurement à l'introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l'administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci a fait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, et ce, quelles que soient les conclusions du mémoire en défense de l'administration.

6. En appel, la requérante justifie avoir présenté au centre hospitalier, par courrier du 13 mai 2016 reçu le 19 mai suivant, une réclamation tendant au versement d'une indemnité réparant les préjudices qu'elle aurait subis en raison de la faute commise par ce centre dans le calcul des cotisations sociales, qui a donné lieu, avant que les premiers juges ne statuent, à une décision implicite de rejet de cette réclamation. Dans ces conditions, les conclusions indemnitaires présentées devant le tribunal n'étaient pas, contrairement à ce qu'il a jugé, irrecevables. Il y a lieu, dès lors, d'annuler le jugement du 20 septembre 2018 sur ce point et de se prononcer immédiatement sur ces conclusions par la voie de l'évocation.

7. Il résulte de l'instruction que le centre hospitalier de Montfavet a commis une erreur d'assiette lors du calcul des cotisations à la charge de Mme A… au titre de son affiliation au régime de retraite complémentaire des agents publics non titulaires de l'État et des collectivités publiques en considérant qu'en plus de son activité de praticien hospitalier, elle avait exercé pour la période courant de 2008 à 2014 une activité libérale et en ne prenant en compte que les deux tiers de son traitement alors que la requérante exerçait exclusivement au sein de l'établissement de soins et qu'il convenait de retenir comme base la totalité de sa rémunération.

8. La responsabilité de l'administration du fait de l'erreur d'assiette ainsi commise ne peut être engagée envers Mme A… qu'à la condition que cette dernière établisse la réalité du préjudice qu'elle invoque.

9. Mme A… ne justifie pas de la réalité d'un préjudice moral consécutif à l'obligation de rembourser sans délai une somme d'argent importante et aux menaces dont elle aurait fait l'objet de la part du comptable public relative à l'inscription d'une hypothèque judiciaire sur son logement.

10. Il est constant en revanche que l'intéressée qui a perçu de 2008 à 2014 des traitements plus importants que ceux qu'elle aurait dû percevoir en l'absence d'erreur de calcul de ses cotisations, a dû acquitter une cotisation à l'impôt sur le revenu d'un montant plus élevé que celui qu'elle aurait dû verser si ces cotisation sociales avaient été normalement précomptées sur ses rémunérations.

11. Les avis d'imposition qu'elle produit ne permettent toutefois pas d'établir le montant du préjudice dont elle pourrait demander réparation, qui est constitué du montant des suppléments de cotisation à l'impôt résultant de l'augmentation de l'assiette de ses revenus au cours des années 2008 à 2014, diminué de la réduction de la cotisation à l'impôt dont elle aura éventuellement bénéficié du fait de la restitution des cotisations sociales venant en réduction de l'assiette de ses revenus de l'année où elle les aura effectivement remboursées.

12. Il y a lieu, en conséquence, d'ordonner avant dire droit un supplément d'instruction aux fins, pour Mme A…, de produire tous documents permettant d'évaluer le préjudice mentionné ci-dessus, le cas échéant en se rapprochant de l'administration fiscale ou d'un expert-comptable.


DÉCIDE 

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 20 septembre 2018 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par Mme A….

Article 2 : Mme A… est invitée à produire, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, tous éléments permettant d'établir l'étendue du préjudice décrit au point 11 du présent arrêt.

Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C.. A… et au centre hospitalier de Montfavet.

CAA de Marseille, 28 novembre 2019, Mme. A., n°18MA04657


II – COMMENTAIRE


C'est une affaire peu banale qu'a dû trancher la cour administrative d'appel de Marseille. Il s'agissait d'une erreur d'assiette dans le calcul des cotisations sociales à la charge d'un praticien hospitalier au titre de son affiliation au régime de retraite complémentaire (IRCANTEC).

Il avait été considéré qu'en plus de son activité de praticien hospitalier, celui-ci avait exercé pendant la période courante de 2008 à 2014 une activité libérale. L'erreur commise par l'établissement était la suivante : en ne prenant en compte que les deux tiers de son traitement alors que le praticien exerçait exclusivement au sein de l'établissement et qu'il fallait donc retenir comme base la totalité de sa rémunération. C'est alors que le centre hospitalier avait informé le praticien de son erreur dans le calcul de ses cotisations à l'IRCANTEC par courrier du 29 juillet 2015 puis lui avait adressé un autre courrier le 9 novembre 2015 l'informant de l'envoi d'un avis des sommes à payer de régularisation de la part salariale de ses cotisations de retraite depuis le mois de juillet 2008 et les sept avis des sommes à payer depuis le 1er décembre 2015.

Le praticien forma alors un recours en annulation contre les lettres qui lui avaient été adressées et demandait réparation de son préjudice financier. En première instance sa requête avait été rejetée par le tribunal administratif de Nîmes, et devant la Cour administrative d'appel de Marseille, il avait été fait droit à sa demande indemnitaire uniquement. Toutefois, par arrêt avant dire droit, la juridiction d'appel lui demande de produire tous les éléments qui permettent d'établir l'étendue du préjudice financier.

Cet arrêt est fort intéressant et l'enseignement qu'il faut en retenir est le suivant : l'administration hospitalière engage sa responsabilité du fait de l'erreur de l'assiette qu'elle a pu commettre dans le calcul des cotisations à la charge du praticien au titre de son affiliation à l'IRCANTEC.

Cependant, le requérant doit prouver la réalité de son préjudice. Et dans l'affaire qui a été jugée, il n'a pas rapporté la preuve de son préjudice moral. En revanche, pour son préjudice financier, la juridiction d'appel affirme qu'il est constitué du montant des suppléments de cotisations à l'impôt résultant de l'augmentation de l'assiette de ses revenus au cours des années 2008 à 2014, diminuée de la réduction de la cotisation à l'impôt dont elle aura éventuellement bénéficié du fait de la restitution des cotisations sociales venant en réduction de l'assiette de ses revenus de l'année où elle les aura effectivement remboursées.

En revanche, le préjudice financier est, selon la Cour, constitué du montant des suppléments de cotisations à l'impôt résultant de l'augmentation de l'assiette de ses revenus au cours des années 2008 à 2014, diminué de la réduction de la cotisation à l'impôt dont elle aura éventuellement bénéficié du fait de la restitution des cotisations sociales venant en réduction de l'assiette de ses revenus de l'année où elle les aura effectivement remboursées.

Le praticien a été invité par la juridiction à produire tous les éléments qui permettent d'établir l'étendu de ce préjudice. Un délai de deux mois lui a été imparti à compter de la notification de l'arrêt.

Affaire à suivre.