Directives anticipées : le Conseil constitutionnel valide le refus du médecin d'appliquer des directives anticipées manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient

Saisi par le Conseil d'État en août dernier (ordonnance n° 466082 du 19 août 2022), le Conseil constitutionnel (CC) vient de se prononcer sur le pouvoir du médecin de ne pas suivre les directives anticipées établies par un patient lorsqu'elles sont manifestement inappropriées ou non conformes à sa situation médicale (voir notre fiches “Les directives anticipées”).

En l'espèce, il s'agissait de savoir si les directives médicales d'un patient, souhaitant être maintenu en vie même de façon artificielle pouvaient être écartées. Les requérantes soutenaient qu'en prévoyant que des directives anticipées de poursuite des soins et traitements ne s'imposent pas au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement dans le cas où ces directives " apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ", conduisant alors à mettre fin à la vie du patient contre sa volonté, ces dispositions méconnaissent le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ainsi que la liberté de conscience et la liberté personnelle, garanties par le Préambule de la Constitution et les articles 1, 2, 4 et 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Elles soutiennent également qu'en tout état de cause la possibilité d'écarter des directives anticipées dans une telle hypothèse de refus d'arrêt des soins et traitements prodigués n'est pas suffisamment encadrée, l'expression " manifestement inappropriées " étant imprécise, aucun délai de réflexion n'étant ménagé et la décision étant prise non de manière collégiale mais par le seul médecin en charge du patient.

Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le 10 novembre 2022 (Décision n°2022-1022 QPC du 10 novembre 2022). Il en ressort que :

- en permettant au médecin d'écarter des directives anticipées, le législateur a estimé que ces dernières ne pouvaient s'imposer en toutes circonstances, dès lors qu'elles sont rédigées à un moment où la personne ne se trouve pas encore confrontée à la situation particulière de fin de vie dans laquelle elle ne sera plus en mesure d'exprimer sa volonté en raison de la gravité de son état. Ce faisant, il a entendu garantir le droit de toute personne à recevoir les soins les plus appropriés à son état et assurer la sauvegarde de la dignité des personnes en fin de vie ;

- les dispositions contestées ne permettent au médecin d'écarter les directives anticipées que si elles sont « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » du patient. Ces dispositions ne sont ni imprécises ni ambiguës ;

- la décision du médecin ne peut être prise qu'à l'issue d'une procédure collégiale destinée à l'éclairer. Elle est inscrite au dossier médical et portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches ;

- la décision du médecin est soumise, le cas échéant, au contrôle du juge.

En conséquence, le législateur n'a méconnu ni le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ni la liberté personnelle. Les griefs tirés de leur méconnaissance doivent donc être écartés et elles sont déclarées conformes à la Constitution.

Le CC ne détermine pas ce qui peut être manifestement inapproprié ou non conforme à la situation médicale. En l'occurrence, le Conseil d'État relevait un état sans aucune amélioration jusqu'à présent malgré les soins prodigués, et montrant des signes d'aggravation, la qualité de survie attendue étant qualifiée de “catastrophique” ; “le maintien des actes et traitements est apparu à l'équipe médicale inutile et même disproportionné et comme n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie sans aucune perspective raisonnable d'amélioration”. Ce sont donc ces éléments médicaux qui permettent de déroger aux directives anticipées, ce que résume la juridiction en indiquant “le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. Une attention particulière doit être accordée à la volonté que le patient peut avoir exprimée, par des directives anticipées ou sous une autre forme”.