Une erreur de diagnostic imputable à un tiers médecin extérieur à l’AP-HP n’engage pas la responsabilité de celle-ci pour négligence fautive parce que ces praticiens hospitaliers n’ont pas vérifié le diagnostic initial, nonobstant quelques indices révélateurs d’une anomalie des effets d’une chimiothérapie

  • Cour administrative d'appel Paris SHAM c/ AP-HP 05/10/2015 - Requête(s) : 14PA01731

I – LE TEXTE DE L'ARRȆT


1. Mme A…, épouse B…, a été hospitalisée d'urgence pour une angiocholite à la polyclinique de Villeneuve-Saint-Georges où elle a été opérée le 8 mai 2000. Pendant l'intervention, une volumineuse tumeur de la tête du pancréas ainsi qu'une lésion néoplasique ont été mises en évidence. Le compte rendu d'anatomie et de cytologie pathologique du 18 mai 2000 des biopsies pratiquées lors de cette intervention a conclu à un carcinoïde bénin du grêle et à un adénocarcinome pancréatique avec métastase ganglionnaire. Mme A… épouse B… a été transférée au centre hospitalier universitaire Henri Mondor, relevant de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, où elle a subi 13 séances de chimiothérapie entre le 5 juin et le 26 septembre 2000. Le 12 septembre 2000, une écho-endoscopie à la clinique de Turin a montré une régression très nette des lésions et la persistance d'un nodule juxtaportal. Une duodénopancréatectomie céphalique a alors été proposée à la patiente, et cette intervention a été réalisée le 18 octobre 2000. Mme A… épouse B… a été de nouveau hospitalisée le 5 novembre 2000 pour une fatigue, des difficultés d'alimentation et des douleurs thoraciques et abdominales importantes. Elle est définitivement sortie le 16 novembre 2000. L'analyse histologique de la pièce de duodénopancréatectomie céphalique a révélé une pancréatite chronique sans signe de malignité ni d'atteinte ganglionnaire.


2. Le tribunal de grande instance de Créteil, par un jugement du 15 janvier 2008, rectifié le 12 février 2008, a considéré que la responsabilité du médecin ayant rédigé le compte rendu d'anatomie et de cytologie pathologique erroné était engagée pour faute en raison d'une erreur de diagnostic et l'a condamné à verser à Mme A… épouse B… la somme de 269 405,49 euros, à M. B… la somme de 15 000 euros, aux époux B…, en leur qualité d'administrateurs légaux de leurs deux enfants mineurs, la somme de 20 000 euros, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, la somme de 108 607,82 euros, à la société Médéric Prévoyance, la somme de 64 398 euros et à la caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France, la somme de 165 525,43 euros, outre les intérêts au taux légal. Ces sommes ont été versées par la Société hospitalière d'assurances mutuelles le 22 avril 2008 qui est donc subrogée dans les droits du médecin responsable ayant rédigé le compte rendu d'anatomie et de cytologie pathologique erroné, dont elle est l'assureur, et de la victime auprès de laquelle elle a acquitté la dette en cause. Par une lettre du 22 mars 2011, la Société hospitalière d'assurances mutuelles a demandé à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris le remboursement des sommes qu'elle a dû acquitter. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Par un jugement du 7 février 2014, le tribunal administratif de Melun a rejeté la demande de la Société hospitalière d'assurances mutuelles tendant à ce que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris soit condamnée à lui rembourser la totalité des frais avancés par elle en dédommagement du préjudice subi par Mme A… épouse B….


3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique : « Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. »


4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise de l'expert désigné par le tribunal de grande instance de Créteil, déposé le 11 décembre 2003, que l'erreur histologique de départ (le diagnostic anatomopathologique erroné posé le 18 mai 2000), a induit la suite du programme thérapeutique et par conséquent la duodénopancréatectomie céphalique subie par Mme A… épouse B…. D'une part, au regard du diagnostic initialement posé d'un cancer du pancréas dans sa forme adénocarcinomateuse, dont l'ablation n'avait pu être réalisée lors de l'intervention chirurgicale du 8 mai 2000, et qui répond bien à la chimiothérapie, il est licite de proposer, dans un deuxième temps, une duodénopancréatectomie céphalique. D'autre part, si le rapport de l'expert médical a indiqué que « la réponse étonnante à cette chimiothérapie [révélée par l'écho-endoscopie réalisée le 12 septembre 2000] aurait pu inciter soit à revoir les lames, soit à demander un prélèvement par écho-endoscopie du nodule résiduel, examen qui aurait permis d'écarter le diagnostic initial », le médecin-conseil de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, en réponse au rapport de l'expert médical, a indiqué le 8 mars 2004, sans être ultérieurement contredit, que la réponse à la chimiothérapie ne pouvait être regardée comme aussi exceptionnelle et étonnante que le relève l'expert médical eu égard à l'efficacité des nouvelles chimiothérapies, telles que celles reçues par Mme A… épouse B…, qui, en cas de réponse, permettent d'obtenir de véritables régressions tumorales, que les prélèvements cytologiques par écho-endoscopie ne sont pas encore de pratique courante, qu'il s'agit d'un examen difficile surtout lorsque la tumeur est petite et située au contact de gros vaisseaux comme le confluent mésentérico-porte, comme dans le cas de la patiente, et qu'enfin, le résultat de l'examen cytologique de ces prélèvements n'est pas d'une fiabilité absolue avec une sensibilité et une spécificité de l'ordre de 70 à 80 %. Ainsi, eu égard à ces résultats certes inhabituels mais concordants avec les effets de la chimiothérapie, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris n'a pas commis de négligence fautive en ne réexaminant pas les prélèvements biopsiques initiaux et en s'abstenant d'effectuer de nouveaux prélèvements par une intervention par écho-endoscopie risquée et dont les résultats, en tout état de cause, n'auraient pas levé le doute de manière certaine. Par suite, la duodénopancréatectomie céphalique subie par Mme A… épouse B… le 18 octobre 2000, effectuée dans les règles de l'art, et l'absence d'examens complémentaires préalablement à ladite intervention chirurgicale, n'étaient pas, compte tenu du diagnostic d'anatomie et de cytologie pathologique erroné posé le 18 mai 2000, constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les conclusions indemnitaires de la Société hospitalière d'assurances mutuelles.


5. Il résulte de tout ce qui précède que la Société hospitalière d'assurances mutuelles n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative, de mettre à la charge de la Société hospitalière d'assurances mutuelles le paiement à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris de la somme de 1 500 euros au titre des frais que celle-ci a exposés et non compris dans les dépens.


DÉCIDE :


Article 1er : La requête de la Société hospitalière d'assurances mutuelles est rejetée.


Article 2 : La Société hospitalière d'assurances mutuelles versera la somme de 1 500 euros à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.


Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Société hospitalière d'assurances mutuelles et à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.


CAA Paris, SHAM c/ AP-HP, 5 octobre 2015, n° 14PA01731



II – COMMENTAIRE


Voici une affaire qui ne manquera pas de commentateurs, tout au moins nous l'espérons, tant elle pose la question du « filage » entre les différents médecins intervenant pour le diagnostic puis à la thérapie. Les médecins thérapeutes peuvent-ils ignorer le diagnostic de leurs collègues biologistes, imageurs ou autres, ou doivent-ils exercer une critique de bon sens sur ce qui leur est servi ? Il n'y a pas une seule réponse, il y en a autant que de cas. Que peut faire le juge en pareille circonstance ?


À l'origine, la responsabilité du médecin auteur d'un compte rendu d'anatomie et de cytologie erroné, est reconnue par le tribunal administratif de Créteil qui condamne l'assureur de ce biologiste, à savoir la SHAM, à dédommager la victime et ses ayants cause. La SHAM, substituante de son médecin assuré, demande au tribunal administratif de Melun de condamner l'AP-HP de lui rembourser les sommes qu'elle a dû verser à la victime. Selon la SHAM, l'AP-HP a commis une faute en entreprenant une intervention lourde sur le fondement du diagnostic initial du médecin anatomo-cytologiste et ce, malgré les résultats surprenants d'une cure de chimiothérapie. Selon la SHAM, au regard de ces résultats positifs surprenants, le réexamen des prélèvements aurait dû être effectué ou de nouvelles investigations entreprises, ce qui aurait permis d'éviter la très lourde opération chirurgicale réalisée au centre hospitalier Henri Mondor de Créteil.


Rappelons que pour une affaire se déroulant dans un autre centre hospitalier, le juge a considéré que la mauvaise concertation entre services médicaux relevant de spécialités différentes constituait une faute médicale dont le préjudice subséquent devait être dédommagé proportionnellement à la perte de chance d'y échapper (CAA Marseille, ONIAM et CHU de Montpellier, 19 décembre 2013, n° 11MA01193 et 11MA01204 ; FJH n° 39, avril 2014, disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com).


Pour étayer son rejet du CH Henri Mondor dépendant de l'AP-HP, le juge considère que les nouveaux prélèvements biopsiques n'auraient pas levé le doute de manière certaine sur la régression de la tumeur qui, mal située, ne pouvait être identifiée avec certitude comme en voie de guérison. Là se situent toutes les incertitudes de l'art médical. Le juge sanctionne par l'absence de vérification du diagnostic initial mais préfère argumenter sur les incertitudes pathologiques pour refuser de condamner l'AP-HP de rembourser à la SHAM les sommes que cette dernière a dû verser pour indemniser la victime de son assuré tiers médecin anatomo-pathologiste auteur de la faute de diagnostic. Pourquoi pas puisque, in fine, la victime et ses ayants cause furent indemnisés ? Mais sur le plan du droit de la responsabilité, un doute subsiste sur la nature fautive ou non du chirurgien du centre hospitalier Henri Mondor qui n'a pas poussé plus loin ses investigations, eu égard au doute concernant la régression tumorale due à la chimiothérapie. En d'autres termes, nous pensons que le juge aurait pu questionner la conscience professionnelle de ce chirurgien, eu égard au fait qu'il allait entreprendre une opération d'une lourdeur inhabituelle.