Refus de la protection fonctionnelle d’un fonctionnaire attaqué en diffamation pour ses écrits mettant en cause son directeur d’hôpital

  • Cour administrative d'appel Paris Sieur B… D… c/ Hôpitaux de Saint-Maurice 30/12/2016 - Requête(s) : 15PA02003

I – LE TEXTE DE L'ARRÊT


1. Considérant qu'il a été reproché à M. D…, médecin, chef de service au centre hospitalier de Saint-Maurice, d'avoir envoyé le 11 septembre 2013, un courriel à une quarantaine de ses collègues afin de leur relater un incident survenu dans son service et mettant en cause le directeur des Hôpitaux de Saint-Maurice ; que ce dernier ayant déposé une plainte pour diffamation contre lui, M. D… a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle ; qu'il a saisi le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 30 avril 2014, par laquelle le directeur des Hôpitaux de Saint-Maurice a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ; que, par un jugement du 24 mars 2015, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande ; que M. D… relève régulièrement appel dudit jugement ;


Sur la régularité du jugement attaqué :


2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier de première instance que si le mémoire en défense des Hôpitaux de Saint-Maurice avait été enregistré après la clôture de l'instruction, celle-ci avait été rouverte à la suite du renvoi d'audience et ledit mémoire en défense communiqué à M. D… ; que le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué ne peut donc qu'être écarté ;


Sur le bien-fondé du jugement attaqué :


3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 : « Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le Code pénal et les lois spéciales. La collectivité publique est tenue d'accorder sa protection au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle » ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité publique dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle, et, à moins qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l'objet ;


4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le 11 septembre 2013, M. D… a adressé un courriel à l'ensemble de ses collègues des Hôpitaux de Saint-Maurice en vue de les informer d'un incident intervenu le 8 septembre 2013, et mettant en cause M. C…, le directeur des Hôpitaux de Saint-Maurice ; que ce courriel largement diffusé, comme l'atteste le nombre des destinataires, dont certains n'étaient d'ailleurs plus en fonctions dans l'hôpital, contenait des termes injustifiés au regard des pratiques administratives normales et révélait de l'animosité à l'encontre de M. C…, tels que : « les efforts ne sont pas pour tout le monde », « l'ambulance est à l'aéroport pour aller chercher M. C… qui rentre de vacances ! », « il faudra attendre plus d'une heure que M. C… qui ne peut pas se payer un taxi revienne », « le directeur utilise les moyens des patients pour son confort », « voilà un bel exemple de participation à l'effort de tous » ; qu'au surplus, en se bornant à affirmer de tels faits, sans les justifier, sans les avoir vérifiés, ni avoir mesuré leurs conséquences, le requérant a manifesté une animosité qui doit être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme marquant une intention de nuire et de porter atteinte à l'image, comme à l'autorité de M. C…, comme l'ont estimé à juste titre les premiers juges ; que si M. D… se prévaut du jugement du tribunal correctionnel de Créteil en date du 5 décembre 2014 le relaxant de la plainte en diffamation, ladite plainte a été rejetée pour irrecevabilité et, par suite, ce jugement ne lie pas le juge administratif et ne peut, au surplus, constituer un quelconque indice de nature à établir la réalité des reproches faits par M. D… à M. C… ; que la réalité de ces reproches n'est au demeurant pas établie par les pièces du dossier ; qu'ainsi, le courriel adressé par M. D… doit être regardé comme constitutif d'une faute personnelle détachable du service, nonobstant le fait qu'il ne soit pas dépourvu de lien avec le service ; que, par suite, la décision attaquée refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle n'est entachée d'aucune erreur de droit et d'aucune erreur d'appréciation et ne méconnaît pas les dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ;


5. Considérant, en second lieu, que M. D… soutient que le directeur des Hôpitaux de Saint-Maurice a commis un détournement de pouvoir en ayant signé la décision refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle alors qu'il est à l'origine de la procédure pénale diligentée contre lui et que cette procédure a été rejetée pour irrecevabilité par un jugement du tribunal correctionnel ; que, toutefois, cette seule circonstance ne suffit pas à caractériser un détournement de pouvoir ; que ce moyen doit donc être écarté ;


6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. D… n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées : qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D… une somme au titre des frais exposés par les Hôpitaux de Saint-Maurice et non compris dans les dépens ;


DÉCIDE :


Article 1er : La requête de M. D… est rejetée.


Article 2 : Les conclusions des Hôpitaux de Saint-Maurice au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.


Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B… D… et au directeur des Hôpitaux de Saint-Maurice.


CAA Paris, Sieur B… D… c/ Hôpitaux de Saint-Maurice, 30 décembre 2016, n° 15PA02003



II – COMMENTAIRE


La protection juridique des fonctionnaires prévue par le statut des fonctionnaires (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, article 11) n'est pas automatique (Voir « La protection fonctionnelle », FDH n° 341, p. 5245, disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com). Il est en effet prévu par le statut des fonctionnaires que ceux-ci bénéficient, à l'occasion de leur fonction, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le Code pénal et les lois spéciales. Or, cette protection ne s'applique que lorsque le fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions ou extérieurement à celles-ci, n'a pas commis de faute personnelle détachable, c'est-à-dire une faute intentionnelle d'une certaine gravité.


Dans l'affaire qui opposait le centre hospitalier de Saint-Maurice à un de ses agents, médecin chef de service, ce dernier, manifestement agressif, a dénoncé les faits et gestes de son directeur par courriel adressé à de nombreux collègues, portant ainsi atteinte à l'honneur de cette autorité hiérarchique. Le directeur de l'hôpital a refusé la protection fonctionnelle de cet agent qui la demandait tant devant le tribunal correctionnel où était portée l'affaire par plainte du directeur pour fait de calomnie, que devant le tribunal administratif de Melun devant lequel l'agent attaqué en calomnie a porté requête pour bénéficier de cette protection. Les personnels médicaux ne peuvent se référer à l'article 11 précité pour solliciter la protection fonctionnelle qui repose, selon le Conseil d'État dans sa décision du 14 janvier 2011 (FJH n° 87, 2011, p. 401) sur un principe général du droit (disponible dans sa version numérique sur www.hopitalex.com). Les juges ont rappelé, tant en première instance qu'en appel, que la protection fonctionnelle du fonctionnaire ne pouvait s'appliquer pour des fautes ou des actes engageant la responsabilité personnelle du fonctionnaire, détachable de ses fonctions. Cet agent, qui ne manque pas d'audace, aurait pu se considérer comme lanceur d'alerte et obtenir en conséquence la protection qu'il demandait ; mais il est vrai qu'à l'époque des faits, la loi validant les lanceurs d'alerte n'avait pas été promulguée. Cela nous laisse, pour les prochaines affaires, bien du plaisir à commenter les jurisprudences qui ne manqueront pas d'apparaître.