L’encadrement de la communication du registre de contention et d'isolement

  • Conseil d'État 08/02/2023 - Requête(s) : 455887

RÉSUMÉ

Le registre de contention et d’isolement est un document communicable sous conditions mais l’identifiant du patient concerné doit être occulté.

 

I. LE TEXTE DE L’ARRÊT

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer, saisi d'une demande de l'association « commission des citoyens pour les droits de l'homme » (CCDH) tendant à la communication d'une copie du registre de contention et d'isolement de l'année 2017 et du rapport annuel de la même année rendant compte des pratiques de contention et d'isolement observées dans cet établissement, lui a opposé une décision de refus. Le centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer se pourvoit en cassation contre le jugement du 25 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille, faisant droit à la demande de l'association, a annulé sa décision de refus et lui a enjoint de communiquer ces documents en occultant les éléments permettant d'identifier les patients et les personnels de santé, mais sans occultation de l'identifiant « anonymisé » du patient et des mentions relatives au début, à la fin et à la durée des mesures d'isolement et de contention.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l'administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ». Aux termes de l'article L. 311-6 du même code : « Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical […] ; 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ». Enfin, aux termes de l'article L. 311-7 de ce code : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ».

3. D'autre part, l'article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique, dans sa rédaction applicable en 2017, dispose que : « L'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin. […] / Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l'agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l'article L. 3222-1. Pour chaque mesure d'isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l'ayant surveillée. Le registre, qui peut être établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires. / L'établissement établit annuellement un rapport rendant compte des pratiques d'admission en chambre d'isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l'évaluation de sa mise en œuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la commission des usagers prévue à l'article L. 1112-3 et au conseil de surveillance prévu à l'article L. 6143-1 ».

4. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique, qui prévoient, d'une part, que le registre de contention et d'isolement doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires et, d'autre part, que le rapport annuel rendant compte de ces pratiques est transmis pour avis à la commission des usagers et au conseil de surveillance de l'établissement, n'ont ni pour objet ni pour effet de soustraire ces documents aux règles fixées par les dispositions du Code des relations entre le public et l'administration relatives au droit d'accès aux documents administratifs. Il s'ensuit que c'est sans erreur de droit que le tribunal administratif, qui a suffisamment motivé sa décision, a jugé les dispositions des articles L. 311-1 et suivants du Code des relations entre le public et l'administration applicables au litige qui lui était soumis.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le registre de contention et d'isolement comporte des mentions qui ne sont pas soumises à occultation préalable avant leur communication, telles que les dates, les heures et la durée de chaque mesure de contention forcée ou d'isolement. Le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait entaché son jugement d'une erreur de qualification juridique en jugeant que le contenu du registre de contention et d'isolement du centre hospitalier ne se réduisait pas à des mentions non communicables ne peut donc qu'être écarté.

6. En troisième lieu, toutefois, les éléments permettant d'identifier les patients doivent , en application des articles L. 311-6 et L. 311-7 du Code des relations entre le public et l'administration, être occultés préalablement à la communication du registre de contention et d'isolement, afin de ne pas porter atteinte au secret médical et à la protection de la vie privée, comme doivent également l'être celles permettant d'identifier les soignants, afin d'éviter que la divulgation d'informations les concernant puisse leur porter préjudice.

7. Dans le cas où l'identité des patients a fait l'objet d'une pseudonymisation, laquelle ne permet l'identification des personnes en cause qu'après recoupement d'informations, il appartient au juge administratif d'apprécier si, eu égard à la sensibilité des informations en cause et aux efforts nécessaires pour identifier les personnes concernées, leur communication est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical. En l'espèce, compte tenu de la nature des informations en cause, qui touchent à la santé mentale des patients, et du nombre restreint de personnes pouvant faire l'objet d'une mesure de contention et d'isolement, facilitant ainsi leur identification, alors au demeurant que les autorités énumérées à l'article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique peuvent accéder à l'ensemble des informations figurant sur les registres et contrôler l'activité des établissements concernés, l'identifiant dit « anonymisé » figurant dans ces registres, qu'il s'agisse, selon la pratique du centre hospitalier, de « l'identifiant permanent du patient » (IPP) ou d'un identifiant spécialement défini, doit être regardé comme une information dont la communication est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical. Cet identifiant n'est donc communicable qu'au seul intéressé en vertu des dispositions de l'article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le centre hospitalier est fondé à soutenir que le tribunal administratif de Lille a entaché sa décision d'erreur de qualification juridique des faits en lui enjoignant de communiquer à l'association requérante le registre demandé sans occultation préalable de l'identifiant « anonymisé » du patient.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le jugement attaqué doit être annulé en tant seulement qu'il a annulé le refus opposé par le centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer à la demande de communication du registre des mesures d'isolement et de contention prises au sein de cet établissement au cours de l'année 2017 sans occultation de l'identifiant anonymisé du patient et qu'il lui a enjoint de procéder à la communication de cet identifiant.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler dans cette mesure l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative.

10. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que l'identifiant du patient inscrit au registre de contention et d'isolement constitue une information qui ne peut être communiquée qu'à l'intéressé. Par suite, la demande de l'association requérante tendant à ce que cet identifiant soit communiqué sans occultation préalable ne peut qu'être rejetée.

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'association « commission des citoyens pour les droits de l'homme » et par le centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

 

DÉCIDE 

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 25 juin 2021 est annulé en tant qu'il a annulé le refus opposé par le directeur du centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer de communiquer à l'association « commission des citoyens pour les droits de l'homme » le registre des mesures d'isolement et de contention établi au titre de l'année 2017 sans occultation préalable de l'identifiant « anonymisé » du patient et qu'il a enjoint au centre hospitalier de communiquer ce document sans procéder à une telle occultation.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'association « commission des citoyens pour les droits de l'homme » tendant à ce que le registre des mesures d'isolement et de contention établi au titre de l'année 2017 lui soit communiqué sans occultation préalable sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative par le centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et par l'association « commission des citoyens pour les droits de l'homme » sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et à l'association « commission des citoyens pour les droits de l'homme ».

CE, 08 février 2023, n°455887

 

II. COMMENTAIRE

Le Conseil d’État tranche, dans cette décision du 8 février 2023 mentionnée au Lebon, une problématique sur laquelle la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a eu l’occasion de travailler et il reprend d’ailleurs le raisonnement suivi.

L'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement. Leurs modalités sont précisées par l’article L.3222-5-1 du Code de la santé publique

Afin d’encadrer ces pratiques, et pour chaque mesure de contention ou d’isolement, un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l'agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement.

Ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, un identifiant du patient concerné ainsi que son âge, son mode d'hospitalisation, la date et l'heure de début de la mesure, sa durée et le nom des professionnels de santé l'ayant surveillée.

Il est établi sous forme numérique, et doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires.

En outre, l’établissement établit encore un rapport annuel rendant compte des pratiques d'admission en chambre d'isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l'évaluation de sa mise en œuvre ; il est transmis pour avis à la commission des usagers et au conseil de surveillance.

Pour autant, le registre et le rapport annuel sont-ils des documents administratifs communicables ?

À plusieurs reprises, la CADA a fermement répondu par l’affirmative au sens de l'article L300-2 du Code des relations entre le public et l'administration, soumis au droit d'accès prévu à l'article L311-1 de ce code, sous les réserves prévues à cet article et aux articles L311-5 et L311-6 (avis n°20200002 du 4 juin 2020).

Depuis la LFSS 2021, le registre doit inclure « un identifiant du patient concerné ainsi que son âge, son mode d'hospitalisation, la date et l'heure de début de la mesure, sa durée ».

La question est donc de savoir si l’identifiant peut être communiqué.

En l’espèce, le centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer, saisi d'une demande de l'association « commission des citoyens pour les droits de l'homme » (CCDH) tendant à la communication d'une copie du registre de contention et d'isolement de l'année 2017 et du rapport annuel de la même année rendant compte des pratiques de contention et d'isolement observées dans cet établissement, lui a opposé une décision de refus. Le TA de Lille l’a annulé en 2021 et « a enjoint de communiquer ces documents en occultant les éléments permettant d'identifier les patients et les personnels de santé, mais sans occultation de l'identifiant "anonymisé " du patient et des mentions relatives au début, à la fin et à la durée des mesures d'isolement et de contention ».

Après avoir repris le cadre de la communication des documents administratifs et la position de la CADA, le CE expose que « les éléments permettant d'identifier les patients doivent, en application des articles L. 311-6 et L. 311-7 du Code des relations entre le public et l'administration, être occultés préalablement à la communication du registre de contention et d'isolement, afin de ne pas porter atteinte au secret médical et à la protection de la vie privée, comme doivent également l'être celles permettant d'identifier les soignants, afin d'éviter que la divulgation d'informations les concernant puisse leur porter préjudice ».

Au moment de la demande de l’association, l’article L.3222-5-1 ne prévoyait pas d’identifiant pour le patient concerné par la mesure. La pratique de l’établissement consistait à effectuer une pseudonymisation de son identité. Pour le CE, il s’agit là d’une « information dont la communication est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical. Cet identifiant n'est donc communicable qu'au seul intéressé en vertu des dispositions de l'article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l'administration ». Et le CE conclut : « l'identifiant du patient inscrit au registre de contention et d'isolement constitue une information qui ne peut être communiquée qu'à l'intéressé. Par suite, la demande de l'association requérante tendant à ce que cet identifiant soit communiqué sans occultation préalable ne peut qu'être rejetée ».

Désormais, l’identifiant est prévu par la réglementation. Il ne pourra être qu’occulté.

Dans une autre affaire du même jour, le CE a repris exactement son raisonnement au profit du CHU de Nîmes (08/02/2023, n°456014).