La communication du registre de contention et d’isolement est possible sous certaines conditions

  • Conseil d'État CCDH 22/03/2024 - Requête(s) : 471269

Résumé

Les éléments du registre de contention et d'isolement permettant d'identifier les patients doivent être occultés préalablement à sa communication, afin de ne pas porter atteinte au secret médical et à la protection de la vie privée, comme doivent également l'être celles permettant d'identifier les soignants, afin d'éviter que la divulgation d'informations les concernant puisse leur porter préjudice.

 

I – LE TEXTE DE L’ARRÊT

 

Considérant ce qui suit :

1. Le pourvoi et la requête du centre hospitalier Le Vinatier sont dirigés contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur le pourvoi :

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le centre hospitalier Le Vinatier, saisi d'une demande de l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " (CCDH) tendant à la communication d'une copie du registre de contention et d'isolement pour l'année 2020 et du rapport annuel de la même année rendant compte des pratiques de contention et d'isolement observées dans cet établissement, lui a opposé une décision implicite de refus. Le centre hospitalier Le Vinatier se pourvoit en cassation contre le jugement du 14 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Lyon, faisant droit à la demande de l'association, a annulé la décision implicite de rejet née du silence gardé par son directeur sur la demande de communication du registre à la suite de la saisine de la Commission d'accès aux documents administratifs par l'association et lui a enjoint de le lui communiquer, avec occultation des éléments du registre permettant d'identifier les patients et les soignants, mais sans occultation des identifiants " anonymisés " des patients.

3. D'une part, aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical (...) ; 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ". Aux termes de l'article L. 311-7 du même code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".

4. D'autre part, l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable en 2020, dispose : " L'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin. / Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l'agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l'article L. 3222-1. Pour chaque mesure d'isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l'ayant surveillée. Le registre, qui peut être établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires (...) ". En outre, en application de l'instruction ministérielle du 29 mars 2017 relative à la politique de réduction des pratiques d'isolement et de contention au sein des établissements de santé autorisés en psychiatrie et désignés par le directeur général de l'agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement, ce registre mentionne également un identifiant du patient concerné.

5. En application des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l'administration, les éléments du registre de contention et d'isolement permettant d'identifier les patients doivent être occultés préalablement à sa communication, afin de ne pas porter atteinte au secret médical et à la protection de la vie privée, comme doivent également l'être celles permettant d'identifier les soignants, afin d'éviter que la divulgation d'informations les concernant puisse leur porter préjudice.

6. Dans le cas où l'identité des patients a fait l'objet d'une pseudonymisation, laquelle ne permet l'identification des personnes en cause qu'après recoupement d'informations, il appartient au juge administratif d'apprécier si, eu égard à la sensibilité des informations en cause et aux efforts nécessaires pour identifier les personnes concernées, leur communication est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical. En l'espèce, compte tenu de la nature des informations en cause, qui touchent à la santé mentale des patients, et du nombre restreint de personnes pouvant faire l'objet d'une mesure de contention et d'isolement, facilitant ainsi leur identification, alors au demeurant que les autorités énumérées à la dernière phrase du deuxième alinéa de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique peuvent accéder à l'ensemble des informations figurant sur les registres et contrôler l'activité des établissements concernés, l'identifiant dit " anonymisé " figurant dans ces registres, qu'il s'agisse, selon la pratique du centre hospitalier, de " l'identifiant permanent du patient " (IPP) ou d'un identifiant spécialement défini, doit être regardé comme une information dont la communication est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical. Cet identifiant n'est donc communicable qu'au seul intéressé en vertu des dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le centre hospitalier est fondé à soutenir que le tribunal administratif de Lyon a entaché sa décision d'erreur de qualification juridique des faits en lui enjoignant de communiquer à l'association requérante le registre demandé sans occultation de l'identifiant " anonymisé " du patient.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier Le Vinatier est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque en tant seulement qu'il a annulé la décision de refus de communiquer le registre de contention et d'isolement sans occultation préalable des identifiants des patients et qu'il lui a enjoint de communiquer le registre sans cette occultation.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans cette mesure, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

9. Il est donné acte du désistement de la demande de l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " présentée devant le tribunal administratif de Lyon.

Sur la requête à fin de sursis à exécution :

10. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête du centre hospitalier Le Vinatier tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Lyon.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association CCDH la somme de 3 000 euros à verser au centre hospitalier Le Vinatier au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 14 décembre 2022 est annulé.

Article 2 : Il est donné acte du désistement de la demande de l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " présentée devant le tribunal administratif de Lyon.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 472162 tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Lyon du 14 décembre 2022.

Article 4 : L'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " versera au centre hospitalier Le Vinatier la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier Le Vinatier et à l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme ".

CE, 22 mars 2024, CCDH, n° 471269

 

II – COMMENTAIRE

 

L’arrêt rendu par le Conseil d’État le 22 mars 2024 concernait le refus de demande de communication du registre de contention et d’isolement établi pour l’année 2020 incluant les identifiants « anonymisés » des patients du centre hospitalier le Vinatier.

L'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement. Depuis la LFSS 2021, le registre doit inclure « un identifiant du patient concerné ainsi que son âge, son mode d'hospitalisation, la date et l'heure de début de la mesure, sa durée ». Il ne peut désormais qu’être occulté.

En première instance, l’association requérante obtient gain de cause, mais après s’être pourvu en cassation, l’établissement obtient l’annulation de la décision des premiers juges par le Conseil d'État.

Le message de la haute juridiction est clair : l’identifiant « anonymisé » figurant dans le registre est une information dont la communication est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical. C’est pourquoi le Conseil d’État a affirmé que cet « identifiant » n’est donc communicable qu’au seul intéressé » : « l'identifiant dit " anonymisé " figurant dans ces registres, qu'il s'agisse, selon la pratique du centre hospitalier, de " l'identifiant permanent du patient " (IPP) ou d'un identifiant spécialement défini, doit être regardé comme une information dont la communication est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical. Cet identifiant n'est donc communicable qu'au seul intéressé en vertu des dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration ».

Cette décision s’inscrit dans le droit fil d’un arrêt précédent du Conseil d’État, en date du 8 février 2023, mentionné au Recueil Lebon (CE, 08 février 2023, n°455887, FJH n° 021, p. 91, 2023). Dans une autre affaire du même jour, le CE a repris exactement son raisonnement au profit du CHU de Nîmes (08/02/2023, n°456014).