La CJUE conforte sa position sur l'indemnisation des congés annuels non pris en cas de démission

Les travailleurs ont-ils le droit de monétiser leurs congés annuels payés non pris ? En d’autres termes, peuvent-ils décider de ne pas faire usage de leur droit à se reposer de leur travail et de recevoir à la place l’équivalent en argent à la fin de leur relation de travail ? Le droit de l’Union empêche-t-il les États membres d’adopter des mesures qui visent à empêcher les travailleurs de faire un tel choix ?

Telles sont les premières lignes des conclusions de Mme l'Avocate Générale TAMARA ĆAPETA et les questions juridiques posées à la Cour de justice de l'Union européenne qui vient d'y répondre dans son arrêt C-218/22 du 18 janvier 2024

En l'espèce, un fonctionnaire italien démissionne pour prendre une retraite anticipée et demande le paiement de 79 jours de congés non pris sur la période allant de 2013 et 2016 (dont 55 dus avant 2016). La réglementation italienne interdit tout paiement, ce qui peut apparaître contraire au droit européen (l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9), ainsi que de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) et à la construction jurisprudentielle de la CJUE. Et ce, d'autant que La Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) a donné sa propre interprétation de la disposition en cause et a considéré que, avec cette interprétation, cette disposition n’était contraire ni à la Constitution italienne ni au droit de l’Union applicable … la règle en cause a été interprétée comme interdisant le versement d’une indemnité financière dans les cas où il était possible de planifier la prise des congés en temps utile, y compris dans différentes situations, dont la démission. Selon la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle), cette interprétation est également conforme aux arrêts de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) et du Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), qui reconnaissent aux travailleurs le droit au versement d’une indemnité financière pour congés non pris pour des raisons qui ne leur sont pas imputables.

La position actuelle est de considérer que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines et que l'indemnité financière ne peut être versée qu'en cas de cessation de la relation de travail, sans autre condition (arrêt du 25 novembre 2021, job-medium, C-233/20) ; dès lors, même si le travailleur est à l'origine de cette cessation, l'indemnité financière peut être due. Et dans son arrêt du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C-684/16, la CJUE a admis encore qu'une réglementation nationale pouvait prévoir la perte dudit droit à la fin d’une période de référence ou d’une période de report, à condition toutefois que le travailleur dont le droit au congé annuel payé est perdu ait effectivement eu la possibilité d’exercer le droit

La réponse de la CJUE est dans le droit fil de sa jurisprudence :

- le travailleur n’a droit à une indemnité financière que s’il dispose encore de son droit à des congés annuels payés ;

- l'indemnité financière peut encore ne pas être versée lorsque le travailleur s’est abstenu de prendre ses congés annuels payés délibérément et en toute connaissance de cause quant aux conséquences appelées à en découler, après avoir été mis en mesure d’exercer effectivement son droit à ceux‑ci, mais sans que l’employeur soit contraint d’imposer à ce travailleur d’exercer effectivement ce droit.

Ainsi, poursuit la Cour, l’employeur est notamment tenu, eu égard au caractère impératif du droit au congé annuel payé et afin d’assurer l’effet utile de l’article 7 de la directive 2003/88, de veiller concrètement et en toute transparence à ce que le travailleur soit effectivement en mesure de prendre ses congés annuels payés, en l’incitant, au besoin, formellement, à le faire, tout en l’informant, de manière précise et en temps utile pour garantir que lesdits congés soient encore propres à garantir à l’intéressé le repos et la détente auxquels ils sont censés contribuer, de ce que, s’il ne prend pas ceux-ci, ils seront perdus à la fin de la période de référence ou d’une période de report autorisé, ou ne pourront plus être remplacés par une indemnité financière. La charge de la preuve incombe à l’employeur (voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C‑684/16, EU:C:2018:874, points 45 et 46).

En conclusion:

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 7 de la directive 2003/88 et l’article 31, paragraphe 2, de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui, pour des raisons tenant à la maîtrise des dépenses publiques et aux besoins organisationnels de l’employeur public, prévoit l’interdiction de verser au travailleur une indemnité financière au titre des jours de congé annuel payé acquis, tant au cours de la dernière année d’emploi que des années antérieures, qui n’ont pas été pris à la date de la cessation de la relation de travail, lorsque celui-ci met volontairement fin à cette relation de travail et qu’il n’a pas démontré qu’il n’avait pas pris ses congés au cours de ladite relation de travail pour des raisons indépendantes de sa volonté.