Publié en juin 2025 | FJH n°056 , p.257
Probité Contractuel de droit public Falsification Licenciement disciplinaire
Voir également :RÉSUMÉ
N’est pas disproportionnée la sanction de licenciement prononcée à l’encontre d’un agent ayant falsifié son CV et une promesse d’embauche pour obtenir un poste.
I – LE TEXTE DE L’ARRÊT
Considérant ce qui suit :
1. Mme A C a été recrutée en qualité de responsable des affaires médicales au sein du centre d'accueil et de soins hospitaliers (CASH) de Nanterre sous couvert d'un contrat à durée indéterminée du 17 septembre 2021. Ledit centre hospitalier ayant découvert que l'intéressée avait présenté des documents falsifiés à l'appui de sa candidature, Mme C a fait l'objet d'une mesure de suspension à titre conservatoire le 20 juin 2022 puis a été convoquée devant la commission consultative paritaire de Paris qui, dans sa séance du 8 novembre 2022, a émis un avis favorable à son licenciement. Par une décision du 6 décembre 2022, la directrice du CASH de Nanterre a prononcé son licenciement sans préavis, ni indemnité de licenciement. Par la présente requête, Mme C demande l'annulation de cette décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. À cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (…) 2° Infligent une sanction ; (…). » Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : « La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. »
3. En l'espèce, la décision attaquée comporte l'énoncé suffisamment précis des circonstances de droit et de fait qui la fondent. Par conséquent, le moyen tiré de l'insuffisante motivation des décisions attaquées doit être écarté.
4. En deuxième lieu, il ne ressort ni des termes de la décision en litige, ni des pièces du dossier, que la directrice du CASH de Nanterre se serait crue liée par l'avis rendu le 8 novembre 2022 par la commission consultative paritaire de Paris. Dès lors, il n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence. Par suite, le moyen tiré d'une erreur de droit doit être écarté.
5. Aux termes de l'article 40 du décret du 6 février 1991 susvisé, dans sa version applicable au litige : « Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité signataire du contrat. / L'agent contractuel à l'encontre duquel une sanction disciplinaire est envisagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes. Il a également le droit de se faire assister par les défenseurs de son choix. / L'intéressé doit être informé par écrit de la procédure engagée et des droits qui lui sont reconnus. » Aux termes de l'article 43 du même décret : « Le licenciement ne peut intervenir qu'à l'issue d'un entretien préalable. L'intéressé est convoqué à l'entretien préalable par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation. / L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation. / L'agent peut se faire accompagner par la ou les personnes de son choix. / Au cours de l'entretien préalable, l'administration indique à l'agent les motifs du licenciement et le cas échéant le délai pendant lequel l'agent doit présenter sa demande écrite de reclassement ainsi que les conditions dans lesquelles les offres de reclassement sont présentées. »
6. Il ressort des pièces du dossier que, par deux courriers notifiés les 18 octobre 2022 et 24 octobre 2022, le CASH de Nanterre a informé Mme C de l'engagement d'une procédure disciplinaire ainsi que de ses droits, notamment de la possibilité de consulter son dossier, faculté dont elle a usé le 4 novembre 2022, et de sa convocation à un entretien préalable, initialement prévu le 20 octobre 2022 puis reporté au 4 novembre 2022, au cours duquel elle a pu faire valoir ses observations. En outre, si la requérante fait valoir que cet entretien préalable s'est tenu quatre jours avant la commission consultative paritaire ayant émis un favorable à son licenciement, aucun texte ne prévoit un délai minimal entre les deux et Mme C, qui a été mise à même de consulter son dossier dès le 18 octobre 2022, a bénéficié d'un délai raisonnable lui permettant de préparer sa défense devant la commission consultative paritaire qui s'est réunie le 8 novembre 2022. Par suite, le moyen tiré d'un vice de procédure doit être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 39-2 du décret du 6 février 1991 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de la fonction publique hospitalière : « Tout manquement au respect des obligations auxquelles sont assujettis les agents publics, commis par un agent contractuel dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, est constitutif d'une faute l'exposant à une sanction disciplinaire, sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par le code pénal. » L'article 39 du même décret prévoit que : « Les sanctions disciplinaires susceptibles d'être appliquées aux agents contractuels sont les suivantes : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° L'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours ; 3° bis L'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre jours à six mois pour les agents recrutés pour une durée déterminée et de quatre jours à un an pour les agents sous contrat à durée indéterminée ; 4° Le licenciement, sans préavis ni indemnité de licenciement. / (…). »
8. Il incombe à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
9. En l'espèce, il ressort de la décision attaquée que, pour prononcer le licenciement de la requérante, la directrice du centre d'accueil et de soins hospitaliers de Nanterre lui a reproché le fait que « en vue de son recrutement par le CASH, Madame A C a falsifié son CV et falsifié une promesse d'embauche d'un précédent employeur, l'Institut Curie (modification de la date d'embauche, du poste occupé et de la rémunération perçue) ; qu'elle a par ailleurs demandé à reporter sa date d'entrée au CASH en se prévalant d'un contrat en cours auprès de l'Institut Curie, lequel contrat avait en réalité pris fin depuis plusieurs mois ; qu'elle n'a jamais communiqué au CASH, malgré les demandes de celui-ci, les documents qui lui étaient demandés et qui auraient révélé qu'elle avait falsifié son CV et sa promesse d'embauche ; que ce comportement constitue un manquement à l'obligation de probité » et que « ce comportement ayant consisté à cacher l'insuffisante expérience de Madame A C est à l'origine de désorganisations du service dès lors que l'intéressée a inévitablement rencontré des difficultés dans le traitement des tâches qui lui étaient confiées ». La requérante soutient que les reproches ainsi formulés, à les supposer établis, caractériseraient une insuffisance professionnelle insusceptible de fonder une sanction disciplinaire et que la sanction est disproportionnée.
En ce qui concerne la matérialité et la qualification juridique des faits reprochés :
10. Il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre de son recrutement sur le poste de responsable des affaires médicales au sein du CASH de Nanterre en septembre 2021, Mme C a déclaré qu'elle occupait le poste de « responsable du personnel médical » au sein de l'institut Curie depuis le 1er octobre 2019 et a produit en ce sens des documents prétendument établis par cet institut. Toutefois, les difficultés rencontrées par la requérante dans l'exercice de ses missions ont conduit le CASH de Nanterre à s'interroger sur la réalité de cette expérience professionnelle et à contacter l'institut Curie, qui l'a informé que Mme C y avait uniquement occupé le poste de « chargée du personnel médical » du 4 mai 2020 au 11 octobre 2020, date à laquelle il a été mis fin à sa période d'essai. En outre, la comparaison entre les documents produits directement par l'institut Curie et ceux produits par Mme C dans le cadre de son recrutement démontre que ces derniers ont été sciemment falsifiés afin d'y mentionner un poste de responsabilité supérieure, une durée d'emploi plus longue et une rémunération plus importante. Au demeurant, Mme C ne conteste pas sérieusement cette duperie, dont elle se borne à relativiser les conséquences. Dans ces conditions, la matérialité des faits reprochés est établie.
11 En outre, si Mme C fait valoir que la décision attaquée fait également état d'une insuffisance professionnelle, laquelle ne peut être à l'origine d'une sanction disciplinaire, il est constant que « les difficultés dans le traitement des tâches qui lui étaient confiées » sont évoquées à titre surabondant et ne sont que la conséquence de la falsification lui ayant permis d'occuper un poste d'un niveau de responsabilité supérieure à celui auquel elle aurait pu prétendre. Par suite, le moyen tiré d'une erreur de qualification juridique des faits doit être écarté.
En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction prononcée :
12. Les faits reprochés à Mme C sont constitutifs d'une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire et constituent des manquements aux devoirs de probité, loyauté et d'intégrité qui, en outre, sont de nature à rompre tout lien de confiance avec son employeur. Dans ces conditions, la sanction de licenciement n'apparaît pas disproportionnée.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de Mme C à fin d'annulation de la décision attaquée doivent être rejetées. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte doivent également être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les frais exposés en cours d'instance et non compris dans les dépens soient mis à la charge du CASH de Nanterre qui, dans la présente instance, n'est pas la partie perdante.
15. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de Mme C une somme de 1 500 euros à verser au CASH de Nanterre sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C est rejetée.
Article 2 : Mme C versera une somme de 1 500 euros au centre d'accueil et de soins hospitaliers de Nanterre au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme A C et à la directrice du centre d'accueil et de soins hospitaliers de Nanterre.
TA de Cergy-Pontoise, 30 avril 2025, n° 2301462
II – COMMENTAIRE
Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 30 avril 2025 ne manquera pas d’intéresser les recruteurs, de plus en plus confrontés à des problématiques de falsification de CV et de diplômes.
En l’espèce, Madame A a été recrutée en qualité de responsable des affaires médicales au sein du Centre d’accueil et de soins hospitaliers (CASH) de Nanterre, sous couvert d’un contrat à durée indéterminée à compter du 17 septembre 2021. Le centre hospitalier ayant découvert que l’intéressée avait présenté des documents falsifiés à l’appui de sa candidature, l’agent a fait l’objet d’une mesure de suspension à titre conservatoire le 20 juin 2022, puis a été convoqué devant la commission consultative paritaire de Paris qui, dans sa séance du 8 novembre 2022, a émis un avis favorable à son licenciement. Par une décision du 6 décembre 2022, la directrice du CASH de Nanterre a prononcé son licenciement sans préavis ni indemnité de licenciement.
C’est dans ce contexte que l’affaire a été portée devant le TA de Cergy-Pontoise.
Le tribunal a rejeté la requête de l’agent et a mis en exergue deux points importants.
D’une part, il rappelle les règles de la procédure disciplinaire applicable aux agents contractuels, notamment le droit pour l’agent de consulter son dossier. Le tribunal ajoute à bon escient : « Si la requérante fait valoir que cet entretien préalable s’est tenu quatre jours avant la commission consultative paritaire ayant émis un avis favorable à son licenciement, aucun texte ne prévoit un délai minimal entre les deux, et Mme C, qui a été mise à même de consulter son dossier dès le 18 octobre 2022, a bénéficié d’un délai raisonnable lui permettant de préparer sa défense devant la commission consultative paritaire qui s’est réunie le 8 novembre 2022. Par suite, le moyen tiré d’un vice de procédure doit être écarté. »
Si ces règles sont classiques, leur rappel est toujours opportun.
D’autre part, et c’est là l’aspect le plus intéressant, la juridiction se prononce sur le fond de l’affaire. En l’espèce, dans le cadre de son recrutement au poste de responsable des affaires médicales au sein du CASH de Nanterre en septembre 2021, l’agent a fourni des documents frauduleux relatifs à son expérience professionnelle antérieure. Elle a notamment affirmé avoir occupé, à l’Institut Curie, le poste de « responsable du personnel médical » depuis le 1er octobre 2019. À l’appui de cette déclaration, elle a produit un curriculum vitae et une promesse d’embauche présentés comme émanant de cet établissement.
Toutefois, des vérifications ultérieures menées par le CASH ont révélé que l’agent n’y avait été employé que comme « chargée du personnel médical », du 4 mai 2020 au 11 octobre 2020, soit pour une période bien plus courte que celle déclarée, et que son contrat avait pris fin à l’issue de sa période d’essai. En outre, les documents remis par l’agent ont été reconnus comme falsifiés : ils mentionnaient une fonction plus élevée, une durée d’emploi plus longue, ainsi qu’une rémunération plus importante que celles effectivement perçues.
Le tribunal rejette la demande de l’intéressée et rappelle que ce comportement, constitutif d’un manquement à l’obligation de probité, a directement conduit à des dysfonctionnements dans le service, liés aux difficultés rencontrées par l’agent dans l’exercice de ses missions.
D’ailleurs, dans cette affaire, ce qui est relativement rare, des frais de justice ont été mis à la charge de la requérante.
Les établissements de santé sont de plus en plus confrontés à ces problématiques de falsification et n’hésitent pas à sanctionner lourdement. Les juridictions administratives, d’ailleurs, les suivent généralement (CAA de Nantes, 14 octobre 2022, n° 21NT03257, FJH n° 086, p. 357, 2022 ; CAA de Marseille, 21 octobre 2021, n°20MA03267, FJH n° 088, p. 355, 2021 ; CAA de Bordeaux, 7 février 2017, n°15BX01288, FJH n° 031, p. 159, 2017).
Pour la petite histoire, nous avons déjà rencontré, dans notre pratique, le cas d’un faux médecin urgentiste qui avait confectionné un faux diplôme de docteur en médecine et avait été recruté par plusieurs établissements de santé. Après X années d’exercice, il avait été démasqué. Cependant, ou heureusement, son taux de sinistralité était égal à 0… il est vrai que les forces de l’ordre avaient trouvé chez celui-ci une littérature médicale pléthorique ; il apprenait donc la médecine de manière autodidacte… mais il existait un préjudice d’ordre financier pour les établissements de santé puisque le contrat par lequel le faux médecin avait été recruté était nul et non avenu. « Fraus omnia corrumpit », enseignait-on autrefois aux étudiants en droit ; autrement dit le contrat avait un caractère frauduleux et n’avait pas pu produire ses effets… c’est ainsi que nous avions eu une expérience de partie civile pour un hôpital devant le juge répressif.