Les élèves des IFSI en cours théorique peuvent afficher ostensiblement leur appartenance religieuse puisqu’ils sont majeurs et sans relation avec des malades

  • Cour administrative d'appel Paris AP-HP 06/12/2016 - Requête(s) : 15PA03527
  • Cour administrative d'appel Paris AP-HP 06/12/2016 - Requête(s) : 15PA03528

I – Le texte de l'arrêt


1re espèce : Le port d'un foulard par une élève infirmière ne revêt pas un caractère religieux ostentatoire


1. Considérant que par une décision du 13 mai 2014, la directrice de l'institut de formation en soins infirmiers de l'hôpital Saint-Antoine, lequel relève de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), a infligé un avertissement à Mme A…, étudiante en deuxième année dans cet institut, pour avoir porté dans l'enceinte de l'institut, les 7 et 12 mai 2014, une tenue faisant ostensiblement référence à une religion ; que par un jugement du 3 juillet 2015, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé cette décision et, d'autre part, condamné l'AP-HP à verser à Mme A… la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral ; que l'AP-HP fait appel de ce jugement ;


2. Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » ; qu'aux termes de l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » ; 


3. Considérant qu'il résulte notamment des dispositions précitées que le principe de liberté de conscience ainsi que ceux de laïcité de l'État et de neutralité des services publics s'appliquent aux étudiants des instituts de formation en soins infirmiers ; que ces élèves infirmiers, qui accomplissent des études supérieures, lesquelles s'effectuent dans des locaux situés dans des établissements de santé, ne peuvent être regardés comme des élèves d'une école, d'un collège ou d'un lycée, qui sont soumis, en application des dispositions de l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation, à l'interdiction de port de signe manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ; que dans le cadre de leur formation pratique, ils sont associés au service public hospitalier ainsi qu'à celui de l'éducation nationale et sont à ce titre en contact avec des patients ou des élèves et ne peuvent, lorsqu'ils sont en stage à l'hôpital, ou lorsqu'ils interviennent dans des établissements scolaires, manifester leurs croyances religieuses ; que dans le cadre des cours théoriques qui leur sont dispensés, ils disposent de la liberté d'expression garantie par la Constitution ; que, toutefois, il résulte des normes constitutionnelles précitées que cette liberté d'expression ne saurait leur permettre le port de signes d'appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient arborés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande à l'égard des autres usagers du service public, ni de perturber les activités d'enseignement, ou de troubler l'ordre dans l'établissement ou le bon fonctionnement du service public ; que, de même, le port de certains signes religieux peut être légalement interdit pour des raisons de sécurité ou d'hygiène ;


4. Considérant qu'aux termes du chapitre 1 du titre II de l'annexe IV à l'arrêté du 21 avril 2007 susvisé portant règlement intérieur s'appliquant à l'ensemble des usagers de l'institut de formation, personnels et étudiants : « Les étudiants disposent de la liberté d'information et d'expression. Ils exercent cette liberté à titre individuel et collectif, dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d'enseignement et dans le respect du présent règlement intérieur. Les signes et les tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance à une religion sont interdits dans tous les lieux affectés à l'institut de formation ainsi qu'au cours de toutes les activités placées sous la responsabilité de l'institut de formation ou des enseignants, y compris celles qui se déroulent en dehors de l'enceinte dudit établissement » ; que, de même, les dispositions du règlement intérieur de l'institut de formation en soins infirmiers de l'hôpital Saint-Antoine rappellent que les étudiants disposent de la liberté d'information et d'expression et interdisent dans les lieux d'enseignement « les signes et tenues faisant ostensiblement référence à une religion » ;


5. Considérant que ces dispositions ne prohibent pas de manière générale et absolue le port par les élèves infirmiers de tout signe distinctif d'appartenance religieuse mais uniquement le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement l'appartenance à une religion dans le respect des principes énoncés au point 3 ; qu'ainsi, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la sanction contestée n'a pas été prise en application d'un règlement illégal ; que l'AP-HP est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés, pour annuler la sanction en litige, notamment sur l'illégalité des dispositions précitées de l'arrêté du 21 avril 2007 et du règlement intérieur de l'institut de formation en soins infirmiers de l'hôpital Saint-Antoine ;


6. Considérant, toutefois, que pour annuler la sanction litigieuse, le tribunal administratif a également estimé que les faits reprochés à Mme A… n'étaient pas, eu égard au principe de la liberté d'expression religieuse dont disposent les élèves de ces instituts, de nature à justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire ;


7. Considérant que le foulard par lequel Mme A… entendait exprimer ses convictions religieuses ne saurait être regardé comme un signe présentant, par sa nature, un caractère ostentatoire ou revendicatif et dont le port constituerait, par lui-même, un acte de pression ou de prosélytisme ;


8. Considérant qu'il est constant que Mme A… est entrée à au moins deux reprises, en mai 2014, dans les locaux de l'institut de formation en soins infirmiers en portant un foulard, ou un bandeau recouvrant ses cheveux, manifestant ainsi son appartenance à une religion ; que, toutefois, il n'est pas contesté par l'AP-HP qu'elle n'effectuait alors aucun stage ou action de formation la mettant en contact avec des usagers du service public hospitalier ou avec des élèves du secondaire ; que, si l'AP-HP soutient que les étudiants infirmiers côtoient, dans les enceintes des établissements de santé, des agents publics soumis en permanence à une obligation de neutralité et de laïcité, il n'est pas établi que cette coexistence aurait troublé le bon fonctionnement du service public ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A… aurait porté ce foulard dans des conditions telles que ce port aurait revêtu le caractère d'un acte de pression ou de prosélytisme ; qu'ainsi, l'AP-HP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le port, par Mme A…, dans les locaux de l'institut, d'un foulard ou d'un bandeau recouvrant ses cheveux ne pouvait justifier une sanction disciplinaire ;


9. Considérant, il est vrai, que l'AP-HP demande à la cour de substituer au motif de sanction initialement retenu celui tiré de ce que Mme A… se serait présentée, le 13 mai 2014, portant un bonnet sur la tête, pour une intervention destinée à des élèves d'un collège public dans le cadre d'une action d'éducation pour la santé ; que l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ; qu'il appartient alors au juge, après avoir mis à même le défendeur de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif ; que dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas l'intéressé d'une garantie procédurale liée au motif substitué ; qu'en l'espèce, Mme A… n'a pu, avant que ne soit décidé l'avertissement en litige, s'expliquer sur ces nouveaux faits qui lui sont reprochés et qui constitueraient, pour l'AP-HP, le nouveau motif de la sanction ; que, dans ces conditions, la substitution de motifs sollicitée par l'AP-HP priverait l'intéressée des garanties de la procédure disciplinaire ; qu'elle ne peut, par suite, être accueillie ;


10. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 7 à 9 ci-dessus que l'avertissement prononcé à l'encontre de Mme A… est entaché d'illégalité et que cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'AP-HP ; que l'évaluation du préjudice retenue par le tribunal administratif n'est pas contestée en appel par l'AP-HP ;


11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'AP-HP n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé la décision en litige et l'a condamnée à verser à Mme A… la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice ; que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AP-HP le versement à Mme A… de la somme de 1 500 euros au titre des mêmes dispositions ;


DÉCIDE :


Article 1er : La requête de l'AP-HP est rejetée.


Article 2 : L'AP-HP versera à Mme A… la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.


Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et à Mme B… A…


CAA Paris, AP-HP, 6 décembre 2016, n° 15PA03527



2e espèce : Un élève ne peut être sanctionné pour avoir subi trois avertissements au motif que l'on ne peut être sanctionné une deuxième fois pour les mêmes faits


1. Considérant que par une décision du 12 septembre 2013, prise après avis du conseil de discipline du 11 septembre 2013, la directrice de l'institut de formation en soins infirmiers de l'hôpital Saint-Antoine, lequel relève de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), a infligé, en application des dispositions de l'arrêté du 21 avril 2007 susvisé, un blâme à Mme D…, étudiante en deuxième année dans cet institut, au motif que celle-ci avait fait l'objet de trois avertissements lors de sa première année d'études d'infirmière, l'un pour avoir porté une tenue faisant ostensiblement référence à une religion dans les lieux d'enseignement et les deux autres pour absences injustifiées ; que, le 13 mai 2014, elle a prononcé un avertissement à l'encontre de Mme D…, pour avoir porté dans l'enceinte de l'institut, les 7 et 12 mai 2014, une tenue faisant ostensiblement référence à une religion et pour avoir fait preuve d'agressivité verbale ; que par un jugement du 3 juillet 2015, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé ces deux décisions et, d'autre part, condamné l'AP-HP à verser à Mme D… la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral ; que l'AP-HP fait appel de ce jugement ;


Sur la légalité du blâme prononcé le 12 septembre 2013 :


2. Considérant qu'aux termes de l'article 19 de l'arrêté du 21 avril 2007 susvisé : « Le conseil de discipline émet un avis sur les fautes disciplinaires. Il peut proposer les sanctions suivantes : avertissement, blâme, exclusion temporaire d'une durée maximale d'une semaine ou exclusion définitive de l'étudiant de l'institut de formation. La sanction est prononcée de façon dûment motivée par le directeur de l'institut de formation. Elle est notifiée par écrit à l'étudiant, dans un délai maximal de cinq jours après la réunion du conseil de discipline. Elle figure dans son dossier pédagogique » ; 


3. Considérant que pour justifier le blâme infligé le 12 septembre 2013, l'AP-HP se prévaut du règlement intérieur de l'institut de soins infirmiers de l'hôpital Saint-Antoine, selon lequel « trois avertissements provoquent la saisine du conseil de discipline » ; que, toutefois, ces dispositions, qui s'insèrent dans un paragraphe concernant uniquement les absences injustifiées, ne sauraient légalement, comme l'ont estimé à bon droit les premiers juges, conduire le directeur de l'institut de soins infirmiers à sanctionner une nouvelle fois, après saisine du conseil de discipline, des faits ayant déjà été sanctionnés, même sous la forme d'avertissements ; qu'il ressort des pièces du dossier que Mme D… a fait l'objet de trois avertissements successifs au cours de sa première année d'études et que le blâme a été prononcé à raison des mêmes faits uniquement parce qu'ils avaient fait l'objet de trois avertissements au cours de la première année d'études ; que l'AP-HP n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé la décision du 12 septembre 2013 prononçant un blâme à son encontre, pour avoir méconnu le principe « non bis in idem » ; 


Sur la légalité de l'avertissement prononcé le 13 mai 2014 :


4. Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » ; qu'aux termes de l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » ;


5. Considérant qu'il résulte notamment des dispositions précitées que le principe de liberté de conscience ainsi que ceux de laïcité de l'État et de neutralité des services publics s'appliquent aux étudiants des instituts de formation en soins infirmiers ; que ces élèves infirmiers, qui accomplissent des études supérieures, lesquelles s'effectuent dans des locaux situés dans des établissements de santé, ne peuvent être regardés comme des élèves d'une école, d'un collège ou d'un lycée, qui sont soumis, en application des dispositions de l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation, à l'interdiction de port de signe manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ; que dans le cadre de leur formation pratique, ils sont associés au service public hospitalier ainsi qu'à celui de l'éducation nationale et sont à ce titre en contact avec des patients ou des élèves et ne peuvent, lorsqu'ils sont en stage à l'hôpital, ou lorsqu'ils interviennent dans des établissements scolaires, manifester leurs croyances religieuses ; que dans le cadre des cours théoriques qui leur sont dispensés, ils disposent de la liberté d'expression garantie par la Constitution ; que, toutefois, il résulte des normes constitutionnelles précitées que cette liberté d'expression ne saurait leur permettre le port de signes d'appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient arborés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, à l'égard des autres usagers du service public, ni de perturber les activités d'enseignement, ou de troubler l'ordre dans l'établissement ou le bon fonctionnement du service public ; que, de même, le port de certains signes religieux peut être légalement interdit pour des raisons de sécurité ou d'hygiène ;


6. Considérant qu'aux termes du chapitre 1 du titre II de l'annexe IV à l'arrêté du 21 avril 2007 susvisé portant règlement intérieur s'appliquant à l'ensemble des usagers de l'institut de formation, personnels et étudiants : « Les étudiants disposent de la liberté d'information et d'expression. Ils exercent cette liberté à titre individuel et collectif, dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d'enseignement et dans le respect du présent règlement intérieur. Les signes et les tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance à une religion sont interdits dans tous les lieux affectés à l'institut de formation ainsi qu'au cours de toutes les activités placées sous la responsabilité de l'institut de formation ou des enseignants, y compris celles qui se déroulent en dehors de l'enceinte dudit établissement » ; que, de même, les dispositions du règlement intérieur de l'institut de formation en soins infirmiers de l'hôpital Saint-Antoine rappellent que les étudiants disposent de la liberté d'information et d'expression et interdisent dans les lieux d'enseignement « les signes et tenues faisant ostensiblement référence à une religion » ;


7. Considérant que ces dispositions ne prohibent pas de manière générale et absolue le port par les élèves infirmiers de tout signe distinctif d'appartenance religieuse mais uniquement le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement l'appartenance à une religion dans le respect des principes énoncés au point 5 ; qu'ainsi, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la sanction contestée n'a pas été prise en application d'un règlement illégal ; que l'AP-HP est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés, pour annuler la sanction en litige, notamment sur l'illégalité des dispositions précitées de l'arrêté du 21 avril 2007 et du règlement intérieur de l'institut de formation en soins infirmiers de l'hôpital Saint-Antoine ;


8. Considérant, toutefois, que pour annuler la sanction litigieuse, le tribunal administratif a également estimé que les faits reprochés à Mme D… n'étaient pas, eu égard au principe de la liberté d'expression religieuse dont disposent les élèves de ces instituts, de nature à justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire ;


9. Considérant que le foulard par lequel Mme D… entendait exprimer ses convictions religieuses ne saurait être regardé comme un signe présentant, par sa nature, un caractère ostentatoire ou revendicatif et dont le port constituerait, par lui-même, un acte de pression ou de prosélytisme ;


10. Considérant qu'il est constant que Mme D… est entrée à au moins deux reprises, en mai 2014, dans les locaux de l'institut de formation en soins infirmiers en portant un foulard, ou un bandeau recouvrant ses cheveux, manifestant ainsi son appartenance à une religion ; que, toutefois, il n'est pas contesté par l'AP-HP qu'elle n'effectuait alors aucun stage ou action de formation la mettant en contact avec des usagers du service public hospitalier ou avec des élèves du secondaire ; que, si l'AP-HP soutient que les étudiants infirmiers côtoient, dans les enceintes des établissements de santé, des agents publics soumis en permanence à une obligation de neutralité et de laïcité il n'est pas établi que cette coexistence aurait troublé le bon fonctionnement du service public ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme D… aurait porté ce foulard dans des conditions telles que ce port aurait revêtu le caractère d'un acte de pression ou de prosélytisme ; qu'enfin, il n'en ressort pas davantage que la directrice de l'institut aurait pris la même décision en se fondant sur le seul caractère « agressif », à le supposer établi, des propos qu'aurait tenus Mme D… ; qu'ainsi, l'AP-HP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le port, par Mme D…, dans les locaux de l'institut, d'un foulard ou d'un bandeau recouvrant ses cheveux ne pouvait justifier une sanction disciplinaire ;


11. Considérant, il est vrai, que l'AP-HP demande à la Cour de substituer au motif de sanction initialement retenu celui tiré de ce que Mme D… se serait présentée, le 13 mai 2014, portant un bonnet sur la tête, pour une intervention destinée à des élèves d'un collège public dans le cadre d'une action d'éducation pour la santé ; que l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ; qu'il appartient alors au juge, après avoir mis à même le défendeur de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif ; que dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas l'intéressé d'une garantie procédurale liée au motif substitué ; qu'en l'espèce, Mme D… n'a pu, avant que ne soit décidé l'avertissement en litige, s'expliquer sur ces nouveaux faits qui lui sont reprochés et qui constitueraient, pour l'AP-HP, le nouveau motif de la sanction ; que, dans ces conditions, la substitution de motifs sollicitée par l'AP-HP priverait l'intéressée des garanties de la procédure disciplinaire ; qu'elle ne peut, par suite, être accueillie ;


12. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les sanctions prononcées à l'encontre de Mme D… sont entachées d'illégalité et que cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'AP-HP ; que l'évaluation du préjudice retenue par le tribunal administratif n'est pas contestée en appel par l'AP-HP ;


13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'AP-HP n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé les deux décisions en litige et l'a condamnée à verser à Mme D… la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice ; que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AP-HP le versement à Mme D… de la somme de 1 500 euros au titre des mêmes dispositions ;


DÉCIDE :


Article 1er : La requête de l'AP-HP est rejetée.


Article 2 : L'AP-HP versera à Mme D… la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.


Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'AP-HP et à Mme A… D…


CAA Paris, AP-HP, 6 décembre 2016, n° 15PA03528



II – COMMENTAIRE


Décidément, le foulard islamique, c'est-à-dire le fichu porté par des personnes de sexe féminin pour marquer leur allégeance musulmane, passe mal dans les établissements publics. Il n'est pas exagéré de penser que derrière cette tenue, il y a une volonté provocatrice.


Dans les deux espèces, le port d'un foulard est la cause des avertissements prononcés par la directrice de l'IFSI. La seconde espèce s'en distingue pour l'application du principe juridique que l'on ne peut être sanctionné deux fois pour les mêmes causes.


Le cas du port du foulard, qui a fait l'objet d'avertissements de la part de l'IFSI prévus par le règlement intérieur dudit institut, est accepté par la cour administrative d'appel de Paris car pour les magistrats administratifs, les usagers de cette école ne sont pas des élèves mais des étudiants par hypothèse majeurs, disposant du discernement nécessaire au port volontaire de ce foulard. Les locaux d'un IFSI ne sont pas assimilables à ceux d'un lycée et donc les étudiants peuvent disposer de la liberté de se vêtir à leur guise à condition que cela ne contrevienne pas aux bonnes règles d'hygiène et de pudeur, et à condition que cela n'attente pas à l'ordre public, c'est-à-dire que ce port ne soit pas rejeté par une partie des étudiants pétitionnant librement.


Par une argumentation exhaustive, les juges de la cour administrative d'appel de Paris ne rejettent pas le caractère coercitif du règlement intérieur de l'institut mais considèrent que celui-ci ne peut remettre en cause un principe constitutionnel de liberté religieuse tant que son exercice ne présente pas un trouble parmi les autres usagers du service public.


Rappelons que cette liberté de choix de révéler cette appartenance religieuse ne peut s'appliquer aux enseignants qui doivent respecter la stricte neutralité qui sied à un titulaire d'une autorité publique dans un local public.


La seconde espèce confirme que trois avertissements ne peuvent donner naissance à une nouvelle sanction, nonobstant le caractère réitéré des causes qui les ont justifiés. C'est un principe de droit bien compréhensible que l'on ne peut être condamné pour deux raisons identiques, mais cela peut apparaître un peu vétilleux pour le profane car, manifestement, il y a de la part de l'intéressée, une volonté absolue de provoquer la directrice de son établissement.