Le droit à percevoir la NBI de manière rétroactive pour les IBODE

Publié en octobre 2023 | FJH n°076 , p.355

NBI IBODE

Voir également :
  • Conseil d'État Mme B… 19/07/2023 - Requête(s) : 467057

Résumé

Les différences de technicité ou de responsabilité existant entre les fonctions exercées, dans le cas d'un exercice exclusif en bloc opératoire, par les infirmiers et les infirmiers en soins généraux, d'une part, et par les infirmiers de bloc opératoire, d'autre part, pour réelles qu'elles soient, ne sont pas de nature à justifier, au regard de l'objet de l'article 27 de la loi du 18 janvier 1991, la différence de traitement en fonction du grade résultant de l'article 1er du décret du 3 février 1992, la circonstance que certains actes seraient réservés ou destinés en priorité aux seconds ne caractérisant pas, au regard de cet objet, qui est de valoriser la technicité et la responsabilité des fonctions en cause, une différence de situation justifiant une différence de traitement à leur détriment

 

I – LE TEXTE DE L’ARRÊT

Considérant ce qui suit :

1. Mme A… B…, infirmière de bloc opératoire diplômée d'État exerçant ses fonctions au sein du centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud, a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 13 octobre 2020 par laquelle le directeur de cet établissement hospitalier a refusé de faire droit à sa demande de versement de la nouvelle bonification indiciaire, de condamner cet établissement à lui verser la somme de 3 523,26 euros au titre de la NBI pour la période du 1er janvier 2016 au 30 septembre 2020 et d'enjoindre à l'établissement de lui verser la NBI à compter du 1er octobre 2020. Elle a notamment excipé de l'illégalité, au regard du principe d'égalité, du décret du 3 février 1992 relatif à la nouvelle bonification indiciaire attachée à des emplois occupés par certains personnels de la fonction publique hospitalière, en tant que, dans sa rédaction antérieure au 1er avril 2022, ce décret ne prévoyait pas le versement d'une NBI aux infirmiers de bloc opératoire. Par un jugement du 12 juillet 2021, le tribunal administratif, faisant droit à cette exception d'illégalité, a annulé la décision du 13 octobre 2020 du directeur du centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud, condamné l'établissement à verser à Mme B…, dans la limite de la prescription quadriennale et jusqu'au jour du jugement, une NBI fixée à 13 points, en la renvoyant devant l'administration pour le calcul du montant de cette indemnité, et enjoint à l'établissement de verser à Mme B… une NBI de 13 points à compter du jugement, sauf changement dans les circonstances de droit ou de fait. Mme B… demande l'annulation de l'arrêt du 30 juin 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel du centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud, annulé ce jugement et rejeté ses conclusions présentées devant le tribunal administratif de Marseille.

Sur le pourvoi :

2. D'une part, aux termes de l'article 27 de la loi du 18 janvier 1991 portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales : « I. - La nouvelle bonification indiciaire des fonctionnaires et des militaires instituée à compter du 1er août 1990 est attribuée pour certains emplois comportant une responsabilité ou une technicité particulières dans des conditions fixées par décret (…) ». Aux termes de l'article 1er du décret du 29 septembre 2010 portant statut particulier du corps des infirmiers en soins généraux et spécialisés de la fonction publique hospitalière : « Le corps des infirmiers en soins généraux et spécialisés comprend des infirmiers en soins généraux, des infirmiers de bloc opératoire (…) ». Aux termes de l'article 2 du même décret : « Le corps des infirmiers en soins généraux et spécialisés comprend quatre grades. (…) Les infirmiers en soins généraux font carrière dans les premier et deuxième grades. / Les infirmiers de bloc opératoire et les puéricultrices font carrière dans les deuxième et troisième grades (…) ». Aux termes de l'article 1er du décret du 3 février 1992 relatif à la nouvelle bonification indiciaire attachée à des emplois occupés par certains personnels de la fonction publique hospitalière, dans sa version applicable au litige, antérieure au décret du 3 mars 2022 le modifiant : « Une nouvelle bonification indiciaire (…) est attribuée mensuellement, à raison de leurs fonctions, aux fonctionnaires hospitaliers ci-dessous mentionnés : 1° Infirmiers ou infirmiers en soins généraux dans les deux premiers grades du corps des infirmiers en soins généraux et spécialisés de la fonction publique hospitalière régi par le décret n° 2010-1139 du 29 septembre 2010, exerçant leurs fonctions, à titre exclusif, dans les blocs opératoires : 13 points majorés. ». Ces dernières dispositions ne prévoient pas, en revanche, l'attribution d'une NBI aux infirmiers de bloc opératoire, lesquels, ainsi qu'il résulte de l'article 1er du décret du 29 septembre 2010, font carrière dans les deuxième et troisième grades du corps des infirmiers en soins généraux et spécialisés.

3. D'autre part, aux termes de l'article R. 4311-1 du Code de la santé publique : « L'exercice de la profession d'infirmier ou d'infirmière comporte l'analyse, l'organisation, la réalisation de soins infirmiers et leur évaluation, la contribution au recueil de données cliniques et épidémiologiques et la participation à des actions de prévention, de dépistage, de formation et d'éducation à la santé. / (…) ». Les fonctions de l'infirmier comprennent notamment les actes et soins énumérés à l'article R. 4311-5, les gestes techniques énumérés aux articles R. 4311-7 et R. 4311-9 et la participation à la mise en œuvre par les médecins des techniques énumérées à l'article R. 4311-10. Aux termes de l'article R. 4311-11 : « L'infirmier ou l'infirmière titulaire du diplôme d'État de bloc opératoire ou en cours de formation préparant à ce diplôme, exerce en priorité les activités suivantes : / 1° Gestion des risques liés à l'activité et à l'environnement opératoire ; / 2° Elaboration et mise en œuvre d'une démarche de soins individualisée en bloc opératoire et secteurs associés ; / 3° Organisation et coordination des soins infirmiers en salle d'intervention ; / 4° Traçabilité des activités au bloc opératoire et en secteurs associés ; / 5° Participation à l'élaboration, à l'application et au contrôle des procédures de désinfection et de stérilisation des dispositifs médicaux réutilisables visant à la prévention des infections nosocomiales au bloc opératoire et en secteurs associés. / En per-opératoire, l'infirmier ou l'infirmière titulaire du diplôme d'État de bloc opératoire ou l'infirmier ou l'infirmière en cours de formation préparant à ce diplôme exerce les activités de circulant, d'instrumentiste et d'aide opératoire en présence de l'opérateur (…) ». Aux termes de l'article R. 4311-11-1, dans sa version applicable au litige : « L'infirmier ou l'infirmière de bloc opératoire, titulaire du diplôme d'État de bloc opératoire, est seul habilité à accomplir les actes et activités figurant aux 1° et 2° : / 1° Dans les conditions fixées par un protocole préétabli, écrit, daté et signé par le ou les chirurgiens : / a) Sous réserve que le chirurgien puisse intervenir à tout moment : / - l'installation chirurgicale du patient ; / - la mise en place et la fixation des drains susaponévrotiques ; / la fermeture sous-cutanée et cutanée ; / b) À court d'une intervention chirurgicale, en présence du chirurgien, apporter une aide à l'exposition, à l'hémostase et à l'aspiration ; / 2° Au cours d'une intervention chirurgicale, en présence et sur demande expresse du chirurgien, une fonction d'assistance pour des actes d'une particulière technicité déterminés par arrêté du ministre chargé de la santé ». Il résulte de ces dispositions que, si les infirmiers et infirmiers en soins généraux sont susceptibles, comme les infirmiers de bloc opératoire, d'exercer en bloc opératoire, ces derniers bénéficient cependant d'une priorité d'exécution pour les actes mentionnés à l'article R. 4311-11 et détiennent une compétence exclusive pour la réalisation des actes mentionnés à l'article R. 4311-11-1.

4. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article 27 de la loi du 18 janvier 1991 citées au point 2 que le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire est lié aux seules caractéristiques des emplois occupés, au regard des responsabilités qu'ils impliquent ou de la technicité qu'ils requièrent. Le bénéfice de cette bonification, exclusivement attaché à l'exercice effectif des fonctions, ne peut ainsi être limité par la prise en considération du corps, du cadre d'emploi ou du grade du fonctionnaire qui occupe un emploi dont les fonctions ouvrent droit à ce bénéfice. En outre, le principe d'égalité exige que l'ensemble des agents exerçant effectivement leurs fonctions dans les mêmes conditions, avec la même responsabilité ou la même technicité, bénéficient de la même bonification.

5. En deuxième lieu, il résulte des dispositions du Code de la santé publique citées au point 3 que les différences de technicité ou de responsabilité existant entre les fonctions exercées, dans le cas d'un exercice exclusif en bloc opératoire, par les infirmiers et les infirmiers en soins généraux, d'une part, et par les infirmiers de bloc opératoire, d'autre part, pour réelles qu'elles soient, ne sont pas de nature à justifier, au regard de l'objet de l'article 27 de la loi du 18 janvier 1991, la différence de traitement en fonction du grade résultant de l'article 1er du décret du 3 février 1992, la circonstance que certains actes seraient réservés ou destinés en priorité aux seconds ne caractérisant pas, au regard de cet objet, qui est de valoriser la technicité et la responsabilité des fonctions en cause, une différence de situation justifiant une différence de traitement à leur détriment.

6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que pour faire droit à l'appel du centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud, la cour administrative d'appel de Marseille a jugé que, eu égard aux conditions d'exercice des infirmiers de bloc opératoire au sein d'un bloc opératoire, l'article 1er du décret du 3 février 1992 avait légalement pu exclure cette catégorie d'infirmiers de son bénéfice. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 qu'en statuant ainsi, elle a commis une erreur de droit qui justifie l'annulation de son arrêt.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-1 du Code de justice administrative.

Sur le règlement au fond :

8. Ainsi qu'il été dit au point 5, si les fonctions exercées, dans le cas d'un exercice exclusif en bloc opératoire, par les infirmiers et les infirmiers en soins généraux, d'une part, et par les infirmiers de bloc opératoire, d'autre part, présentent une technicité et comportent une responsabilité différentes, ces différences ne sont pas de nature à justifier, au regard de l'objet de l'article 27 de la loi du 18 janvier 1991, la différence de traitement en fonction du grade résultant de l'article 1er du décret du 3 février 1992, dans sa rédaction antérieure au 1er avril 2022. Est sans incidence sur cette analyse la circonstance, invoquée par le centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud, que les infirmiers de bloc opératoire auraient bénéficié durant la période en cause d'un traitement indiciaire plus favorable que les infirmiers en soins généraux.

9. Le centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud n'est, par suite, pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement dont il relève appel, le tribunal administratif de Marseille s'est fondé sur l'illégalité de l'article 1er du décret du 3 février 1992, en tant que cet article ne prévoyait pas le versement d'une NBI aux infirmiers de bloc opératoire, pour faire droit aux conclusions de Mme B….

Sur les frais de l'instance :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud une somme de 4 000 euros à verser à Mme B… au de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative, pour l'instance de cassation et pour l'instance d'appel. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme B…, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

 

DÉCIDE

Article 1er : L'arrêt du 30 juin 2022 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.

Article 2 : La requête présentée par le centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud devant la cour administrative d'appel de Marseille est rejetée.

Article 3 : Le centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud versera la somme de 4 000 euros à Mme B… au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative. Les conclusions présentées par le centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud au titre du même article sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A… B… et au centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud.

CE, 19 juillet 2023, Mme B…, n° 467057

 

II – COMMENTAIRE

L’arrêt rendu par le conseil d’État le 19 juillet 2023 fera date pour les IBODE en ce qui leur donne droit à percevoir une NBI de manière rétroactive.

Dans cette affaire, une IBODE avait saisi le juge administratif d’un recours en annulation contre la décision de refus de sa demande de versement de la NBI.

En première instance, la requérante avait obtenu gain de cause, mais après avoir interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Marseille, l’établissement hospitalier avait obtenu l’annulation du jugement. La requérante avait alors saisi le Conseil d’État d’un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 30 juin 2022 (n°21MA03 804, FJH n°073, p.305, 2022).

Le pourvoi a fait mouche pour le dire prosaïquement, et par conséquent l’arrêt de la juridiction d’appel est cassé.

À la différence des juges d’appel, le Conseil d’État admet que les différences de technicité et de responsabilité pour un exercice exclusif en bloc opératoire ne justifient pas différence de traitement entre les IBODE et IFSG.

La cour administrative d’appel de Marseille avait considéré l’inverse : les IBODE exercent des fonctions spécifiques qui ne requièrent pas la même technicité et n’impliquent pas le même niveau de responsabilité que celles dévolues aux IFSG lorsque ces derniers exercent en bloc opératoire.

Pour le Conseil d’État, « si les fonctions exercées, dans le cas d'un exercice exclusif en bloc opératoire, par les infirmiers et les infirmiers en soins généraux, d'une part, et par les infirmiers de bloc opératoire, d'autre part, présentent une technicité et comportent une responsabilité différentes, ces différences ne sont pas de nature à justifier, au regard de l'objet de l'article 27 de la loi du 18 janvier 1991, la différence de traitement en fonction du grade résultant de l'article 1er du décret du 3 février 1992, dans sa rédaction antérieure au 1er avril 2022. »

Cette jurisprudence a le mérite de clore le débat mais soulignons que, 4 mois avant cet arrêt du 19 juillet 2023, le tribunal administratif de Paris, dans une affaire concernant un IBODE de l’APHP, avait ouvert la voie puisqu’il reconnaissait aux IBODE le droit à percevoir la NBI de manière rétroactive (TA de Paris, 13 mars 2023, n°2103313/2-2).

Quoiqu’il en soit, le décret n°2022-313 du 3 mars 2022 étend aux infirmiers de bloc opératoire le bénéfice de la NBI de 13 points majorés à compter du 1er avril 2022. Le débat est ainsi doublement clos.